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L'œuvre prodigieuse de l'Association des Oulémas musulmans algériens (2e partie)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 05 - 08 - 2020


Par Kamel Bouchama, auteur
Cheikh Embarek El Mili est né à Milia en 1897, dans une famille modeste. Il a fait ses premières études à Mila, les études secondaires à Constantine, chez Abdelhamid Ben Badis, et s'est déplacé, par la suite, à la Zeïtouna, pour prendre, comme ses prédécesseurs, sa part de connaissances et de diplômes.
Il a enseigné à Constantine après son retour de Tunis, où il a été l'un des premiers pionniers de «l'école badissienne» et du mouvement réformiste religieux. Il a enseigné, ensuite, à Laghouat. Dans cette dernière localité, connue pour ses traditions culturelles, il a eu toutes les occasions pour répandre sa science et ses idées révolutionnaires. Il a eu le temps, parce que l'ambiance s'y prêtait, de présenter une œuvre particulièrement remarquable sur l'histoire de l'Algérie. C'est peut-être l'un des rares ouvrages en ce temps, écrit proprement par un militant algérien, qui relate la vérité sur notre passé.
Après avoir terminé sa mission dans cette région, il a accompli un bref séjour à Bou Saâda avant de retourner à Mila. A Constantine, il est devenu pratiquement le bras droit de Ben Badis.
Cheikh Larbi Tébessi est né en 1895 dans la région du Djebel Labiodh, à 70 km au sud-ouest de Tébessa.
«Larbi Tébessi était d'une fière allure, on voyait en lui, déjà, depuis son jeune âge, d'après ses traits et son regard, des signes d'une forte personnalité et d'une vive intelligence», écrivait Mohamed Ali Debbouz. Ces bonnes prédispositions ont fait de lui un excellent élève, d'abord, à la célèbre zaouïa de Khenguet Sidi Nadji, ensuite, à la zaouïa de Nefta, en Tunisie, cette ville connue pour sa culture ancestrale et ses nombreuses promotions d'érudits.
Il a pris le chemin de la Zeïtouna, comme ceux de sa génération, puis celui d'El Azhar où il a reçu d'autres distinctions. Il est retourné à Tunis au moment où le mouvement des réformateurs nationalistes prenait forme et se créait le Parti libre du Destour. Il a adhéré à cette formation politique et donnait le meilleur de lui-même.
Il est retourné une deuxième fois au Caire et y a séjourné pendant sept ans. Mais quand il a appris, par le moyen des correspondances et des journaux qu'il recevait, le travail positif que menaient, en Algérie, sur le plan des réformes, les savants revenus de leur exil, il a décidé de rentrer au bercail et d'adhérer tout naturellement à ce qu'il considérait comme une mission sacrée pour libérer le peuple de l'emprise colonialiste. Il faut dire aussi, pour l'Histoire, que, du Caire, il envoyait des écrits de haute facture pour le journal Al-Chihab. Il a regagné le pays natal en 1927 et s'est associé à l'action du mouvement des réformistes.
Cheikh Lamine Lamoudi est né en 1890 à El-Oued, dans une famille très connue pour sa piété et son érudition dans les sciences religieuses. Il a appris le Coran dans la même localité, tout en fréquentant l'école française. De par sa vivacité et sa persistance, il a réussi à acquérir la langue de l'étranger «pour mieux le combattre», disait-il à ses amis qui n'avaient pas la chance de connaître l'école de Jules Ferry. Ne voulant pas s'arrêter à ce stade, il persistait à rejoindre la Médersa de Constantine, ou comme on l'appelait, communément, le lycée franco-musulman, cet établissement qui devait former, selon le vœu de l'occupant, les auxiliaires de l'administration coloniale. Il en sera renvoyé pour ses activités politiques.
Il s'est occupé comme aoun bach'adel (fonctionnaire de la justice musulmane) à Fedj Mzala, mais il n'y est pas resté longtemps car il a été radié du corps par l'administration française qui voyait en lui un redoutable propagandiste d'idées nouvelles (entendez par là des idées nationalistes) et un agitateur dangereux. Il est retourné à Biskra pour s'installer comme oukil judiciaire sans rompre avec ses activités politiques.
Fervent partisan et proche de l'Emir Khaled, il a été membre fondateur du mouvement des Jeunes Algériens. Il a connu d'autres formations dont les Jeunesses du Congrès musulman, et plus tard, les partis politiques. Il a été non seulement respecté, écouté, mais considéré comme «l'enfant terrible».
En 1931, Lamine Lamoudi a été le principal rédacteur des statuts de l'Association des Oulémas, après avoir rejoint Alger sur demande de Ben Badis.
Lamine Lamoudi a laissé de nombreuses publications. Il a été le fondateur, le directeur et le rédacteur en chef de deux importants journaux : El Djahim (L'Enfer) en langue nationale, un journal qui, selon lui, «respirait une fois par semaine» — une bonne occasion pour montrer son dégoût du colonialisme — et La Défense, en langue française, pour les droits des musulmans algériens. Poète émérite, il nous lègue une floraison de qaçaïde superbes, qui attestent de son grand talent d'homme cultivé.
Enfin, il a connu plusieurs fois la prison au cours de son activité au sein de l'association, en plus de ses fréquentes interpellations. Il disait d'ailleurs, non sans une pointe d'ironie, à chaque convocation : «De toute façon, ma valise est toujours prête.»
Lamine Lamoudi a rejoint le Seigneur, en martyr de la Révolution, le 10 octobre 1957. Il a été lâchement assassiné à Aïn Laâdjiba, tout près de Bouira, par la sinistre organisation de la Main rouge, en réalité par les services secrets français. Ahmed Tewfik El Madani est né à Tunis le 1er novembre de l'année 1898. Il raconte lui-même : «Je suis né à la fin du siècle dernier, à quelques mois près, descendant de deux authentiques familles guerrières algériennes, vivant alors en exil. De mes père et mère, je n'avais sans cesse entendu que relation de la cruelle barbarie des Français après leur forfait contre Sidi-Fredj en 1830.
J'étais bien jeune, et des faits précis, vécus par mon pays, mon peuple et ma famille, ainsi relatés, auraient saisi d'horreur n'importe quelle créature vivante» (in Mémoires de combat).
Ses parents, issus d'une lignée de nobles, ont émigré en Tunisie lorsque la domination française était devenue plus coercitive à Alger. Son père Mohamed El Madani El Kobbi El Gharnati était un érudit et son grand-père était cheikh de la municipalité de la capitale sous la régence turque.
Le jeune Tewfik a fait de bonnes études et a côtoyé de grands savants. Il s'intéressait beaucoup à la politique. C'était le temps des grands bouleversements dans le monde et la poursuite de la politique de domination en Afrique du Nord. Il ne restait pas insensible à tout cela, lui qui était d'un esprit ardent, très intelligent, doté de beaucoup de discernement et d'opinions sincères.
N'avait-il pas déclaré au journal marocain El Alam, concernant l'unité du Maghreb :
«Un jour viendra, Dieu aidant, où l'unité des trois contrées du Maghreb arabe sera une réalité... Je prie Dieu de prolonger ma vie jusqu'au jour où sera exaucé ce vœu, dans le grand épanouissement de notre Seigneur, le Commandant des Croyants !»
Il a fait de la prison en Tunisie, à la suite de la parution de son livre La Tunisie martyre et d'autres affiches révolutionnaires d'une extrême dureté contre la France. «Dans ses discours, il n'hésite pas à accuser la France d'être responsable de la guerre mondiale en 1914. Il accuse également la France dans ses articles (le Journal Afrique) d'avoir défendu avec zèle la politique impérialiste en agressant l'Emir Abdel Krim et en refusant l'idée de réconciliation que ce dernier proposait», soulignait un rapport de la Résidence générale de France, daté du 9 juin 1925.
Il est rentré à Alger en 1925, expulsé de Tunisie par le ministre Résident général qui lui reprochait ses activités politiques et sa fougue nationaliste. Il était alors secrétaire du Parti libre du Destour aux côtés du militant Abdelaziz Thaâlbi. De même qu'il était secrétaire général de la Ligue de la plume, membre de l'Académie tunisienne des sciences et responsable du Groupe Es Saâda, un groupe du théâtre révolutionnaire, sous l'égide du Parti du Destour.
Il a de nombreuses publications dont la première a été son livre L'Almanach d'El-Mansour.
Ahmed Tewfik El Madani a été une bonne recrue pour l'Association des Oulémas. Il était convaincu de la difficile tâche qui attendait les militants. Il déclarait : «C'est le relâchement de la société, la détérioration de l'édifice, la désunion, la soumission aux colonisateurs, l'absence de disposition à répondre à l'agression — autant de transgressions aux commandements de Dieu — qui ont seuls permis à l'ennemi de nous mettre sous son joug, de fouler à nos pieds nos idéaux, de nous couvrir du vêtement de l'avilissement et de l'humiliation.» Il y en avait d'autres, aussi valeureux, et non moins pugnaces dans leur travail et fidèles dans leur engagement vis-à-vis de la patrie.
La création de l'association, avec cette importante formation où l'on comptait d'illustres personnages, des hommes repus de sciences, n'était pas la bienvenue «chez tout le monde», et elle ne pouvait avoir l'assentiment de tous les hommes de culte, notamment certains chefs de confréries et de zaouïas auxquels la société attribuait un «pseudo-charisme» exploité à des fins diverses. Il y avait parmi eux des inféodés à l'administration coloniale, mais aussi des charlatans, au sens propre du terme, tenant en leur pouvoir des masses d'ignorants. Il y avait également d'autres, heureusement pas dans le même genre, mais aussi dangereux car ils pèchaient par leur inconsistance et leur manque d'envergure. Ceux-là et les autres n'ont pu se recycler aussi facilement avec les véritables et respectables hommes de culte et de culture, propagateurs de saines réformes, et n'ont pu suivre leur démarche hautement plus significative et déterminante pour l'avenir. Cheikh El Bachir El Ibrahimi confirmait leur ignorance, leur complicité et leur travail de sape :
«Ceux-là avaient peur de nous, parce que nous avions mené des campagnes pour dénoncer leur passivité et nous les avions considérés comme un malheur pour la communauté et la religion, à cause de leur silence devant les méfaits et les vilenies qu'endurait le peuple, et parce qu'ils devenaient des ‘'expédients'' pour les tenants de la colonisation en humiliant et en asservissant leurs propres frères au nom de valeurs que la morale et la religion ne connaissent pas.»
En effet, l'Association des Oulémas ne pouvait agréer ceux-là car, dans ses fondements et principes généraux, beaucoup d'orientations étaient incompatibles avec sa démarche.
Dans le programme des Oulémas figuraient, entre autres, la recherche de la vérité, l'affirmation des valeurs ancestrales du peuple algérien et son attachement aux vertus morales prêchées par l'Islam. De plus, ils œuvraient pour une contribution authentique au progrès des diverses branches du savoir : lettres, grammaire et morphologie de la langue arabe, exégèse coranique, hadith, droit islamique, au moment où ceux qu'ils dénonçaient œuvraient pour la déstabilisation du peuple et la pérennisation du colonialisme. «L'institution des confréries est une innovation (bidaâ). Elle n'existait pas aux premiers temps de l'Islam. Elle est d'ailleurs basée sur des principes antireligieux. Le sectarisme qui la caractérise se traduit par la soumission aveugle au marabout, ce qui aboutit pratiquement à une exploitation éhontée, à l'asservissement total des esprits, à l'avilissement, à l'abrutissement et à tant d'autres maux», disait Abdelhamid Ben Badis en rédigeant les bases fondamentales de la doctrine des Oulémas.
Quoi qu'il en soit, l'Association n'en a jamais fait un point de fixation. Investie d'une mission, elle se conformait aux idéaux à appliquer au sein des masses qui avaient tant besoin de ce souffle nouveau. Son but était de répondre aux impératifs immédiats et directs de restauration de la langue arabe à des niveaux qui étaient les siens, aux temps mémorables de la grande civilisation musulmane universelle et, quelles que soient les controverses, de mener une lutte aux plans psychologique, philosophique et politique, systématiquement et en permanence, pour remodeler la conscience du peuple et faire de l'attachement profond en la foi l'une des solutions pour échapper à l'empire colonial.
Il y avait de la matière pour cela. N'est-ce pas là, d'ailleurs, l'explication de Ben Badis : «Un pays unifié par l'Islam, par Dieu, ne peut être divisé par l'homme», ou encore, quand il parlait de liberté : «Les circonstances peuvent nous façonner, mais elles ne peuvent nous annihiler.»
Les fondements de l'association
Pour confirmer la justesse de la démarche entreprise par l'association ainsi que ses importantes projections sur l'avenir, le professeur Abdelkrim Bousefsaf souligne à ce propos :
«Nous n'exagérons en rien si nous déclarons que certains pays indépendants du tiers-monde ne sont pas arrivés, jusqu'au jour d'aujourd'hui, à réaliser des projets culturels, religieux et unitaires comme ceux réalisés par l'Association des Oulémas en son temps. Il a donc raison celui qui disait que l'Association des Oulémas était ‘'un Etat dans un Etat'', et cela n'est pas venu par hasard, ni même de manière irréfléchie, c'est en effet une réalité concrète.»
Ensuite, il résume l'essentiel du programme de l'association en sept points :
- régénérer la pratique religieuse et la purifier en la débarrassant de toutes les tares et les impuretés qui l'ont altérée depuis les derniers siècles ;
- œuvrer concrètement pour la restauration et le développement de la culture arabo-islamique et inscrire comme première préoccupation la généralisation de la langue arabe qui a failli sombrer dans l'oubli ;
- travailler pour unir le peuple algérien sous la bannière de l'Islam et de l'arabisme ;
- militer inlassablement pour propager le sentiment national et élever le niveau politique des masses ;
- déployer des efforts pour le retour de l'Algérie parmi les siens, c'est-à-dire dans son milieu naturel : la communauté arabo-musulmane ;
- se mobiliser concrètement pour la réalisation de l'unité du Maghreb et pour la lutte contre l'ennemi commun. Cette unité est indispensable quand on sait que les citoyens du Maghreb sont un même peuple, divisé malheureusement par le colonialisme ;
- soutenir matériellement et politiquement les peuples arabes et musulmans, notamment le peuple palestinien, dans leur juste cause contre l'impérialisme et le sionisme.
Voilà résumé l'essentiel du programme politique qui, du reste, n'a jamais été soumis à l'approbation des autorités de l'époque. D'ailleurs, il aurait déclenché les foudres du ciel, du fait qu'il aurait été interprété, sans aucun doute, comme de la provocation et, pis encore, comme de la rébellion. Quant à la doctrine de l'association, elle a été proposée avec les statuts et rendue publique. Nous relevons dans les «bases fondamentales» ces quelques points :
- «L'Islam est, par excellence, la religion de l'humanité, il prêche la fraternité non seulement entre les musulmans mais aussi, et à titre égal, pour tout le genre humain, il décrète l'égalité absolue au point de vue de la dignité humaine et des droits humains, entre tous les hommes, sans distinction de races et de couleurs, il condamne l'iniquité dans ses formes les plus variées, il condamne l'asservissement de l'homme par l'homme ainsi que le despotisme... Il est essentiellement démocratique et n'admet point l'absolutisme sous toutes ses formes.»
- «Les faits et gestes de ‘'Essalef-Essalih'' (la Sainte Génération) : les Compagnons du Prophète, leurs disciples, sont l'application la plus conforme à l'esprit de l'Islam des préceptes et principes de cette religion. Les interprétations des hommes appartenant à cette génération sont les plus sûres et les plus exactes. La bidaâ est toute innovation en matière de culte et de pratiques religieuses, elle est une hérésie...»
«Les pratiques consistant à édifier des koubbas sur les tombes, à y allumer des cierges, à y immoler des bêtes dans une intention pieuse, implorer les morts dont ces tombes renferment les dépouilles, sont des pratiques païennes, comme celles qui étaient en usage à l'époque antéislamique (la djahilia).»
«Devant l'intérêt général de la communauté, il faut oublier et reléguer au dernier plan toute controverse susceptible d'entretenir la discorde, de briser l'union et d'introduire les germes du mal. C'est un devoir impérieux pour tous de se solidariser et de se serrer les coudes jusqu'à ce que se dénoue la crise et s'écarte le danger.»
Peut-on considérer que ce programme a été entièrement appliqué ? Sans prétention aucune, nous pouvons avancer que la majeure partie a été réalisée et proprement, n'en déplaise à ceux, parmi les «francophiles», les éternels insatisfaits qui ne portent pas l'association dans leur cœur, ceux qui ont toujours jeté l'opprobre sur ces combattants de la foi, les traitant d'incapables, d'hommes de peu d'épaisseur ou de rationalité. Ce discours vindicatif vient du fait que ces Oulémas n'ont pas sombré dans la flagornerie et la capitulation, comme certains le prétendent. Ils ont, par contre, relevé le défi et travaillé efficacement au profit des populations qui gardent, aujourd'hui, le bon souvenir de ces hommes d'une trempe exceptionnelle, de ces apôtres de la science et de la liberté, dont l'Histoire retiendra qu'ils ont été les promoteurs de ces principaux leviers d'action sur la conscience sociale et le travail idéologique.
Toutes ces réalisations qui relèvent de motivations culturelles et civilisationnelles ont été appliquées au sein de structures opérationnelles installées par l'association sur l'étendue du territoire national et même en France, et cela malgré le contrôle systématique imposé par les autorités coloniales sur les moyens d'action dont les écoles libres, les mosquées, les écoles coraniques, la presse et les cercles ainsi que les permanences de l'association.
Ce contrôle omniprésent n'a pas empêché les militants de vaquer à leur mission, tant ils avaient la conviction qu'il fallait profiter du maximum de temps pour concrétiser un bon nombre d'actions et mobiliser les masses autour d'objectifs réalistes.
Il fallait agir rapidement pour restaurer les fondements essentiels de l'identité nationale qui se résumaient, en ce temps, à la valorisation de l'Islam, la relance de la culture arabe et l'enseignement de l'histoire du pays. Cette importante mission était conjointement menée avec une autre non moins sensible qui concernait l'unification de tous les courants politiques et religieux, par le rapprochement de leurs écoles, en vue de créer cette unité indispensable qui allait engager une gigantesque entreprise rénovatrice et salutaire pour un peuple qui avait besoin de toutes ses forces et de toutes ses capacités pour sa libération et son progrès.
Les Oulémas face au complot colonialiste
Cette unité était indispensable. Nous n'en voulons pour preuve que les effets de cet affreux complot tramé par les colonialistes qui tenaient, coûte que coûte, à nous diviser, après avoir spolié et occupé toutes nos terres. Juliette Bessis, connue pour son jugement lucide sur la colonisation, n'écrivait-elle pas ce passage accablant pour les croisés du XIXe siècle :
«Vatican et Eglise catholique de France, affaiblis sous les républiques laïques, sont à la recherche de nouveaux territoires à évangéliser. Le rêve d'entreprendre par le biais de la colonisation une nouvelle croisade contre l'Islam, sur ces terres riches des vestiges d'un antique christianisme depuis longtemps disparu, est un thème à la mode du siècle romantique. Cette nouvelle ‘'évangélisation des barbares'' par ‘'rechristianisation'' des Berbères ‘'superficiellement islamisés'' selon la fable qui va jusqu'à leur attribuer une origine celtique ou gaélique, entretiendra ‘'la politique berbère'' de la France, non destinée le moins du monde à protéger un patrimoine culturel ou une civilisation menacée, mais à affaiblir l'Islam» ?
Effectivement, les Berbères, disaient les colonialistes, en faisant allusion à une région donnée, «sont prédisposés à l'intégration» et de continuer, en affirmant que «leur Islam est léger et superficiel car ils sont, de nature, les ennemis des Arabes». D'autres, au langage plus subtil, faisaient constamment allusion à cette pseudo-indépendance des Berbères vis-à-vis du reste de l'Algérie et mettaient en relief leur indispensable relation avec la France. Ecoutons le général P. J. André :
«En définitive, comprendre le véritable esp0rit des Berbéro-Kabyles devrait permettre historiquement, raisonnablement, de parvenir à une réelle association franco-kabyle librement consentie, fondée sur la création d'un idéal commun et l'établissement d'intérêts communs. Les Kabyles fermement attachés à la possession du sol, en raison de la démographie grandissante et du peu de ressources existant en leur pays, sont par ailleurs obligés d'émigrer afin de pouvoir faire subsister leur famille et leur clan. Ils ont donc besoin de la France (...) Déjà Jules César avait souligné le caractère indépendant, émotif et fougueux des tribus gauloises. Ce caractère n'est-il pas celui des clans kabyles ?»
N'était-ce pas dangereux de tenir des propos pareils et de cibler une seule région, en faisant croire au peuple que le Berbère n'existe qu'en Kabylie (le terme Kabylie s'écrit et se prononce dans un arabe classique), alors qu'ils savaient pertinemment que toutes les régions du Maghreb, et d'aucuns disent même quelques régions du Moyen-Orient, sont à l'origine des régions berbères, amazighes, islamisées et arabisées pendant les campagnes de l'expansion de l'Islam, il y a de cela des siècles ? N'avaient-ils pas compris, ces généraux de la colonisation, le message qui leur avait été adressé par une puissante tribu de la région de Kabylie et qui stipulait clairement : «Nous ne renoncerons jamais à notre religion ; si le gouvernement veut nous y contraindre, nous lui demanderons un moyen de quitter le pays ; si nous n'en trouvons pas nous préférons la mort plutôt que d'embrasser votre religion (...) Quant à ce qui regarde notre conversion, nous aimons mieux la mort que de renoncer à notre religion.» Le cardinal Lavigerie, avec lui nombre de généraux, ont travaillé d'arrache-pied, pendant les premières années de l'occupation, pour créer et entretenir la division au sein du peuple, ce peuple d'une même origine dont les racines vont jusqu'aux Masaesyles, aux Massyles et aux Gétules et, même plus loin encore, selon quelques historiens. Ne savaient-ils pas que les grands fervents de l'Islam d'abord, de l'unité nationale et de l'arabisation ensuite, ont été ces nobles Amazighs de la vallée de la Soummam et des flancs et cimes du Djurdjura ? Ceux-là l'ont bien démontré pourtant par la création de nombreuses écoles libres et zaouïas (31 écoles et 33 zaouïas en Kabylie seulement, au cours de cette même période) et par la mobilisation de ce peuple vaillant qui a compris, depuis les premiers temps, que sans le maintien des relations permanentes avec son passé, toute tentative de décolonisation n'avait pas de sens.
Abdelmoumen El Koumi n'était-il pas un Berbère de Tadjera, tout près de Nédroma, Abou Zakaria Yahia Ibn Abi Ali Ez-zouaoui, cet éminent exégète, ne venait-il pas des montagnes du Djurdjura, et cet autre, Abou El Hassen Yahia Ibn Abdel El Mo'ti Ibn Abdenour Ez-zouaoui, le poète, le grammairien qui a laissé des œuvres remarquables et qui a subjugué, par son intelligence et ses riches connaissances, Damas et Le Caire où il a longtemps vécu et Abderrahmane Etha'alibi, célèbre patron d'Alger, ne venaient-ils pas de la Grande Kabylie, Ibn Adjroum Es-Sanhadji El Mazighi El Maghribi, le non moins célèbre grammairien, qui nous a laissé cet autre chef-d'œuvre El Adjroumia, ne venait-il pas de Guerrouma, de la daïra actuelle de Lakhdaria, Abdelhamid Ben Badis n'affirmait-il pas qu'il était fier d'être Berbère de Sanhadja, et les nombreux autres, de purs Berbères Amazighs, comme Cheikh El Fodil El Ourtilani et Baâziz Ibn Amer, n'ont-ils pas été de fervents défenseurs des valeurs arabo-islamiques ? Aït Hammouda, le non moins fameux colonel Amirouche, le brave enfant du majestueux Djurdjura, n'était-il pas ce fervent membre de l'Association des Oulémas ? Et enfin, ces grandes familles de citadins et ceux qu'on a toujours appelés, dans le jargon local, les «Fahçis», qui formaient, hier, un peu avant l'indépendance, la véritable population algéroise et qui représentent, aujourd'hui, cette sympathique caste des «Ouled El Bled», ne viennent-ils pas pour la plupart, pour ne pas dire tous, de ces régions berbères d'Azzefoun, de Dellys, de Cherchell, de Miliana, de Sour El Ghozlane et de Médéa ? Que l'on se demande d'où viennent les héros «Ali la Pointe», Hassiba Ben Bouali, Lalla Zouleikha Oudaï, Zohra Drif, le «Phénix" (El Anka) ou la talentueuse littéraire, l'écrivaine Assia Djebar, pour comprendre la richesse de notre pays et la noblesse de ses enfants qui n'ont jamais posé cette insidieuse question s'ils descendaient d'un certain «Aït» je ne sais qui, ou d'un certain «Abou» je ne sais quoi et qui n'ont jamais eu à l'esprit ces histoires de régionalisme quand il a fallu défendre l'Algérie, toute l'Algérie.
Nos érudits s'étaient dressés comme un seul homme contre cette politique de partition nationale. Ils ont toujours soutenu que les Amazighs et les Arabes ont été mobilisés par l'Islam qui les a réunis dans un même creuset depuis des siècles. Ils sont un même peuple qui communie avec la religion, la langue, l'Histoire, les sentiments, les sensibilités, les souffrances et les espoirs, un peuple qu'on ne peut diviser ou «déchirer» aussi facilement.
K. B.
(À suivre)


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