Après un long suspense qui aura tenu en haleine, des semaines durant, les opérateurs intéressés, les observateurs et les citoyens d'une manière générale, les cahiers des charges liés aux activités de fabrication et d'importation de véhicules ont finalement été publiés au Journal officiel à la fin de la semaine écoulée. Il est vrai que cette publication vient mettre un terme à une situation inédite et, du reste, jusque-là inexpliquée, mais il n'en demeure pas moins que les appréhensions exprimées par les intervenants, notamment dans le volet importation, restent toujours d'actualité. En effet, face à l'inadéquation de certaines des conditions stipulées dans le projet de texte fuité dans la presse, des opérateurs cumulant plus de 20 années d'ancienneté dans le métier avaient tenté d'apporter des clarifications fondées sur les règles de fonctionnement de l'activité, et des standards internationaux applicables chez l'ensemble des constructeurs mondiaux. Si le cahier des charges relatif à la construction automobile suscite clairement moins d'intérêt et de questionnement de la part de l'opinion publique, puisqu'il s'adresse à un panel réduit d'investisseurs potentiellement intéressé par le marché algérien, celui de l'importation de véhicules, en revanche, a été au cœur des débats, jusqu'à occuper une place de premier plan dans les médias. Et pour cause, il concerne la disponibilité, à brève échéance, de ce moyen de mobilité, dont la rareté ces derniers temps a profondément perturbé les codes du marché automobile national, avec un retour aux années de plomb où le véhicule d'occasion se négociait au prix du neuf et les perles rares du neuf flirtaient avec le firmament. Une vraie industrie automobile, un vœu largement partagé Concernant le document se rapportant à l'industrie, d'aucuns seraient d'avis sur une rigueur plus prononcée et des conditions plus sévères pour éviter les errements du passé récent et les travers d'une stratégie qui a mené le pays vers une prédation organisée, une politique à peine voilée de transfert, sans limites, des réserves en devises du pays vers l'étranger sous le couvert du paiement des importations déguisées. À ce titre, il est désormais exigé de l'investisseur étranger d'être «un acteur mondial de premier rang dans le domaine de la construction de véhicules ; s'engager à apporter son savoir-faire technologique ; apporter, au lancement du projet, un minimum de 30% en fonds propres du montant global de l'investissement, pour son financement». Pour l'investisseur algérien, les conditions sont, elles aussi, revues en profondeur. Il doit disposer «d'une assiette financière en fonds propres représentant, au minimum, 30% de sa participation dans le montant total de l'investissement envisagé ; une aptitude à la mise en place et à la gestion d'un investissement industriel, concrétisée par une précédente expérience d'un minimum de cinq années dans une activité de production industrielle, sans incident de gestion ou de paiement de ses obligations financières, ni infractions majeures constatées». Une marque «de premier rang et de renommée mondiale» Pour la troisième option, le partenariat entre investisseurs étrangers et nationaux, il est fait obligation de «limiter tout financement bancaire local, au seuil maximum de 40% du coût du projet ; le partenaire étranger doit être détenteur, dans la société de droit algérien créée à cet effet, d'une participation minimale de 30% de son capital social ; la présentation d'un protocole d'accord et/ou accord de partenariat indiquant que l'investissement projeté s'inscrit dans le cadre d'un partenariat industriel entre un investisseur algérien et un partenaire étranger de premier rang et de renommée mondiale, propriétaire de la marque». Plus loin, il est même précisé et exigé «la durée du partenariat ; la répartition des actions ; les types, modèles et volumes totaux de véhicules produits annuellement ; l'engagement du constructeur propriétaire de la marque en matière de participation effective à la réussite du projet ; le plan de formation technique du personnel de maîtrise et de l'exécution de la société ; le contrat de licence de production, le savoir-faire et l'intégration locale ; ainsi qu'une clause faisant référence à la loi relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, en vigueur en Algérie». L'incohérence de l'article 3 de l'annexe 1 Nous devons relever, à ce propos, que les rédacteurs de ce cahier des charges ont été autant exigeants sur le caractère «marque de premier rang et de renommée mondiale» pour les investisseurs étrangers et le partenariat nationaux-étrangers, autant ils n'ont guère fait allusion à cette condition majeure, pour le cas de l'investisseur algérien, tout seul. Pourquoi ne serait-il pas soumis, lui aussi, à une licence de production avec un label réputé et mondialement reconnu ? Quel investisseur algérien serait en mesure aujourd'hui de produire des automobiles dans les conditions telles que prévues par ce document fondateur, avec, notamment, une expertise d'au moins 5 ans dans le domaine de la fabrication, loin du «gonflage des pneus» ? Est-ce une omission ou est-ce une autre porte ouverte à d'autres dérives futures ? D'autant que parmi les exigences du cahier des charges, il y a lieu de signaler que l'article 19 précise clairement que « tout investissement portant sur la construction de véhicules dans le cadre du régime fiscal préférentiel doit intégrer la production de châssis et de carrosserie et de toutes parties métalliques embouties ou mécano-soudées, ainsi que leur traitement de surface, peinture et poinçonnage local, au lancement de la construction de véhicules ». À cela, on peut ajouter l'obligation pour le constructeur d'atteindre un taux d'intégration d'au moins 50% au terme de la 5e année. Le métier de concessionnaire sévèrement balisé Concernant le cahier des charges réglementant l'activité de concessionnaire de véhicules neufs, il est utile de signaler que le projet de texte, qui a été largement publié par les titres de la presse nationale, a été, au final, reproduit intégralement dans le document publié au Journal officiel, alors que beaucoup s'attendaient à des correctifs qui auraient pu être apportés à certaines dispositions. Il est aujourd'hui établi que des experts et des professionnels n'ont pas été associés à l'élaboration du document. Des exigences liées au contrat d'exclusivité avec le constructeur, les superficies des infrastructures, la propriété ou la location longue durée de ces infrastructures, l'obligation d'une zone sous-douane sont autant de conditions qui pourraient paraître en porte-à-faux avec les normes internationales de fonctionnement de cette activité. Ce sont aussi autant de conditions et d'exigences qui vont, sans aucun doute, restreindre l'accès à ce métier à quelques grosses fortunes à l'exclusion des professionnels, et surtout impacter lourdement les coûts de gestion et, par voie de conséquence, provoquer une augmentation inévitable des prix de vente des véhicules neufs importés. Conscient de cette situation, le ministre de l'Industrie, Ferhat Aït Ali, a, tout récemment, reconnu que les prix des véhicules ne seront pas à la portée de tous. B. Bellil