La réalisatrice Razika Mokrani veut que les algériens regardent au-delà de la mer pour découvrir le drame qui se déroule quotidiennement devant leurs yeux. À la fin des festivités marquant la Journée internationale de la femme qui se sont déroulées à la maison de la culture Rachid-Mimouni de Boumerdès, les autorités de cette wilaya ont assisté au premier tour de manivelle du tournage d'une fiction long métrage (75 minutes). Le grand cimetière de l'exil, le film que réalisera Razika Mokrani avec le soutien du CNCA (Centre national du cinéma et de l'audiovisuel), du ministère de la Culture, des wilayas de Boumerdès et Tizi-Ouzou, abordera un sujet, à bien des égards, dramatique. Il s'agit de la harga et des harragas. En fait, il relatera la vie des gens qui, pour échapper à une impasse sociale, économique, culturelle et même politique, s'engouffrent, au péril de leur vie, dans une autre impasse. Selon la réalisatrice, ce film traitera le problème sous l'angle de la sensibilisation. Réussira-t-elle à convaincre avec son art et ses convictions le jeune Algérien qui regardera son œuvre que la harga n'est pas la solution ? Et comment, que ce n'est pas la solution. Ce sera certainement un film bilan. Un bilan adressé aux responsables chargés de stabiliser la société pour leur dire, preuves à l'appui, que leur gouvernance a échoué. La réalisatrice du film, situé à mi-chemin entre documentaire et fiction, veut aller au charbon, comme on dit, pour donner la force de persuasion à son constat. Elle veut suivre «le parcours chaotique des migrants algériens qui font un saut vers l'inconnu. C'est une petite Afrique qui part pour l'Europe avec la caravane de l'exil, ils forcent le destin en bravant la mer et la mort. L'Europe est encore loin. Nous allons suivre le parcours de ces émigrés-clandestins partis d'Algérie jusqu'aux portes de l'Europe». Des acteurs professionnels seront engagés pour effectuer «des reconstitutions qui mettent en scène le naufrage de certaines embarcations de fortune, des cadavres de disparus aux bords de la Méditerranée, qui flottent ici et là mais souvent au fond des mers, découverts par la population. Des scènes alarmantes et plus que traumatisantes...», écrit la réalisatrice dans le synopsis du film. «Ce docu-fiction permettra au public de prendre conscience de la souffrance de ces migrants clandestins. A leurs récits captés sur le vif des humiliations subies, des dangers de la mer, de l'esclavage sexuel, des arrestations, de la faim, la soif, le froid, et la dignité confisquée se mêle le témoignage des autorités sur les pratiques institutionnelles et politiques destinées à les faire cesser et dévoiler la violence de l'exil et la dureté de la clandestinité.» Pour arriver à dévoiler une partie de l'amère vérité, Razika Mokrani compte aller au fond de ses investigations. Elle veut visiter les prisons et les camps de rétention. Elle veut aller à la rencontre des gens exilés entre deux frontières, rejetés par les uns et les autres à cause de la pandémie de coronavirus. Plus important, elle s'est posé des questions. «Pour quelle raison ? De quelle manière ? Qui en est responsable ? Qui est l'auteur de ces opérations suicidaires ? Quel est leur destin ? Est-ce que les harragas ont été forcés de fuir ? Ou est-ce simplement un choix ?» Trouvera-t-elle des réponses ? Pas sûr. Pour les familles, c'est tabou. Ça l'est plus pour les responsables politiques. En fait, qui pousse les jeunes Algériens au suicide ? Donc comme toujours, c'est la jeunesse qui va continuer à payer. Abachi L.