Les magistrats n'ont plus le droit de s'autosaisir dans les affaires de corruption et doivent en référer à la tutelle avant d'engager toute action dans ce sens. Cette instruction émane de Belkacem Zeghmati, et elle a entraîné des réactions très différentes au sein de la justice. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - C'est donc une note écrite qui est parvenue ce jeudi aux présidents de cours et procureurs généraux, les informant que l'ouverture d'enquêtes sur des affaires de gestion et dilapidation de deniers publics impliquant un agent public est désormais interdite à leur niveau. Elle stipule aussi et surtout que toute ouverture d'enquête judiciaire à l'encontre d'un agent public, en fonction ou non, doit impérativement faire l'objet d'un « rapport détaillé établissant les faits, leur qualification juridique et mentionnant la partie qui les dénonce ». Le rapport en question doit être soumis à l'accord de la direction générale des affaires judiciaires et juridiques du ministère de la Justice. La note de Zeghmati met également l'accent sur l'interdiction qui est faite aux présidents des cours et procureurs généraux d'engager des enquêtes préliminaires, judiciaires ou de procéder à des comparutions. Ce qu'il faut savoir, c'est que cette instruction a été précédée, quelques jours auparavant, par une autre note qui émanait aussi du garde des Sceaux, mais portait en revanche sur l'obligation faite aux procureurs généraux de se conformer à l'instruction présidentielle portant sur l'interdiction de se baser sur des lettres anonymes dans les affaires de corruption. Le fait que Zeghmati ait jugé utile d'adresser la note émanant de Abdelmadjid Tebboune aux concernés a été interprété comme un véritable rappel à l'ordre. Même en l'absence d'éléments concrets ou d'informations sur le sujet, beaucoup supposent que l'action visait probablement à mettre fin à des écarts enregistrés. L'instruction interdisant l'autosaisie des présidents de cours et procureurs généraux dans les affaires de corruption répond-elle aussi à la même volonté ? Au sein des avocats, elle a en tous les cas induit des avis très partagés, parfois diamétralement opposés. Me Bouchachi a été le premier à réagir au fait. Sur son compte officiel Facebook, il a publié ce jeudi un texte dans lequel il compare l'instruction de Belkacem Zeghmati à une note émise en 2015 par l'ancien garde des Sceaux, Tayeb Louh. Cette dernière interdisait aux procureurs d'engager une action publique contre les gestionnaires publics, sauf sur plainte des organes sociaux des sociétés ayant subi ces préjudices. Me Bouchachi juge l'instruction de Zeghmati plus « grave », car « les procureurs ne peuvent pas ouvrir d'enquête sur n'importe qui ni n'importe quelle affaire ». Selon lui, « le ministre n'a pas le droit de lier les mains au procureur qui ne peut de ce fait pas ouvrir d'enquête quand il a des informations faisant état de faits de corruption ». L'avis est partagé par Me Abdelghani Badi qui y voit une « ingérence dans les affaires de la justice et une volonté de centraliser l'action publique à son niveau pour que les plaintes ne passent pas ». Ces avis ne sont cependant nullement partagés par d'autres avocats bien connus, pour lesquels le ministère de la Justice est dans son droit absolu dans cette affaire. C'est le cas de Me Ksentini qui rappelle que « le patron de l'action publique n'est autre que le ministre de la Justice. Les procureurs et magistrats dépendent de leur hiérarchie, c'est une évidence, au sommet de cette hiérarchie se trouve le ministre de la Justice et il est tout à fait en droit de le faire. Il est en droit de déclencher ou de classer des actions publiques. Lorsque l'on fait du droit, il faut laisser la politique de côté. Lorsque la hiérarchie se trompe, on se doit de la corriger, mais là, le ministre n'a pas tort ». Interrogé sur les raisons ayant conduit le garde des Sceaux à prendre une telle décision, Me Ksentini estime qu'elle est peut-être conséquente « à des abus ou des incohérences et qu'il fallait remettre de l'ordre ». Me Miloud Brahimi estime lui aussi que cette « mesure ne déroge pas au code pénal, à la loi, dans la mesure où les président de cours et procureurs généraux se trouvent sous l'autorité du ministère de la Justice. Il est évident, ajoute-t-il, que dans les dossiers sensibles, le ministère ne prend aucune initiative sans en référer au ministre, ce n'est qu'une espèce d'hommage que le vice rend à la vertu ». Il poursuit : « Sincèrement, je n'en vois pas l'utilité ni l'inconvénient, j'ajoute que le justiciable n'est pas désarmé pour autant, car s'il veut introduire une action publique, il y a la plainte après constitution de partie civile et la saisie du doyen des juges d'instruction .» A. C.