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Kateb Yacine, jeux de m�moire et traces d�Histoire
Publié dans Le Soir d'Algérie le 29 - 10 - 2011


Par Ahmed Cheniki
Il n�est nullement possible de parler du th��tre en Alg�rie et dans les pays anciennement colonis�s sans �voquer la question de l�alt�rit� et, bien entendu, des jeux m�moriels qui marquent la repr�sentation artistique. Nous essaierons, dans cet expos�, de voir rapidement comment se manifestent les traces m�morielles et les lieux de l�histoire dans la production th��trale de Kateb Yacine et comment utilisent-ils les diff�rentes techniques th��trales.
Le th��tre, tel qu�il fut et est pratiqu� en Alg�rie, est un art d�emprunt, adopt� dans des conditions pr�cises, marqu� par les circonstances de son appropriation, portant les stigmates de la culture d�emprunt, c�est-�-dire la culture europ�enne et des r�sidus de la culture autochtone. Cette situation ambigu�, ambivalente, caract�rise le paysage artistique alg�rien o� s�entrem�lent essentiellement deux m�moires, tissant une �criture double marqu�e essentiellement par la pr�sence de deux univers culturels apparemment distincts, voire conflictuels, porteurs de deux projets diff�rents. C�est vrai que les Alg�riens n�ont emprunt� le th��tre que tr�s tardivement, suite � la rencontre tragique avec la colonisation, alors qu�il �tait possible de le puiser directement d�Ath�nes, � un moment o� les Arabes avaient assum� enti�rement l�h�ritage d�une Gr�ce tardivement r�cup�r�e et appropri�e par l�Europe pour les besoins vraisemblablement d�une certaine l�gitimation historique et id�ologique. L�assimilation du mod�le fran�ais n�effa�a pas les lieux culturels populaires qui se manifestaient dans les pi�ces �crites par les auteurs trop marqu�s par l�imaginaire collectif et les stigmates de la litt�rature populaire. C�est vrai que plusieurs formes �traditionnelles � connurent une relative disparition, une fois le th��tre adopt� par les Alg�riens, et surtout sous la pression des changements et des �v�nements qui secouaient de fond en comble la soci�t� alg�rienne, engendrant une profonde coupure �pist�mologique et l��mergence d�un nouveau discours et d�un nouveau langage. C�est ce que le sociologue tunisien, Mohamed Aziza, appelle �hypoth�que originelle�, et Jean Duvignaud nomme �les mythes et les id�ologies dramatiques �. Cette situation de �syncr�tisme paradoxal �, une sorte d��criture diss�min�e, caract�rise tous les espaces culturels et politiques des pays anciennement colonis�s qui ont d�couvert dans des conditions particuli�res ce type d�alt�rit�, d�ailleurs impos�e, mais non consentie, et fonctionnant paradoxalement comme une structure triadique. Le th��tre est ainsi en Alg�rie et dans les pays anciennement colonis�s un lieu fondamental o� s�entrechoquent pans de m�moires et lieux d�histoire dont les traces sont �videntes. D�ailleurs, toute la production kat�bienne s�articule autour des jeux c�r�moniels et de la f�te. D�o� la fascination qu�avait sur lui l�exp�rience ath�nienne. Ainsi, des pans m�moriels puis�s dans la pratique th��trale grecque, le jeu �lisab�thain, la culture populaire, l�histoire et la politique ainsi que le propos journalistique participent de la mise en �uvre de son discours th��tral. Une m�moire plurielle et une histoire r�invent�e marquent son territoire dramatique. A commencer par ses premiers textes r�unis dans son ouvrage �dit� en 1959, Le cercle des repr�sailles, une suite t�tralogique (deux trag�dies, une satire et un po�me dramatique). Ce qui fait d�j� penser � Ath�nes et � la trag�die d�Eschyle. L�id�e de f�te caract�rise toute son aventure. Plusieurs m�moires travaillent le texte de Kateb Yacine, s�entrem�lant, s�entrechoquant et participant de la mise en forme d�finitive du texte. La m�moire devient le lieu de pr�dilection contribuant � la subversion de toute histoire officielle. Kateb use des jeux m�moriels pour neutraliser une histoire trop prisonni�re de certains sch�mas id�ologiques. La m�moire se conjugue d�sormais au pr�sent, narguant ostensiblement l�histoire. C�est ce qui avait s�duit Jean-Marie Serreau qui monta en 1959, en pleine guerre de Lib�ration, Le cadavre encercl�. Chez Kateb Yacine, la pr�sence d'Eschyle (notamment au niveau du fonctionnement du ch�ur) et de Shakespeare (dans le rapport qu'entretient l'histoire avec le mode tragique) est �vidente. Kateb qui �tait en d�saccord avec Brecht r�agit vivement � propos de la notion de trag�die dans une rencontre organis�e en 1959 par Serreau en soutenant, contre Brecht, l�id�e d�une sorte de contamination de la trag�die telle qu�on la conna�t par les jeux tragiques quotidiens de la guerre et la m�moire qu�elle porte et transporte. Pour lui, �la trag�die est anim�e d'un mouvement circulaire et ne s'ouvre et ne s��tend qu�� un point impr�visible de la spirale comme un ressort. Ce n'est pas pour rien qu'on dit, dans le m�tier : les �ressorts de l'action�. Mais cette circularit� apparemment ferm�e, qui ne commence et ne finit nulle part, c'est l'image m�me de tout univers po�tique et r�el�. C�est le retour � Eschyle et au jeu singulier de la contamination des m�moires, de toutes les m�moires. Jean-Marie Serreau poursuit dans ce sens, il �crit ceci � propos de cette pi�ce : �La trag�die de Kateb Yacine est celle de l'homme alg�rien dont les blessures sont imm�moriales et confondues dans le temps, et qui n�en finit pas de se chercher � travers un monde en r�volution�. Le cercle des repr�sailles dont fait partie Le cadavre encercl� est une suite t�tralologique emprunt�e � l�espace grec. La r�f�rence est �vidente. La trag�die est, chez Kateb Yacine, paradoxalement vou�e � l�optimisme ; la mort donne naissance � la vie. Le mythe tribal ne constitue nullement un retour aux sources mais une mani�re de se d�finir par rapport � un pass� accoucheur d�un pr�sent ambigu et ab�tardi. Le jeu avec le temps et l�espace, un des �l�ments essentiels de la dramaturgie en tableaux, est li� � la qu�te de la nation encore perturb�e et insaisissable. La l�gende, lieu d�affirmation-interrogation de l�histoire, investit l�univers dramatique de Kateb Yacine. Dans Le cadavre encercl�, le h�ros tragique Lakhdar, meurtri et bless� � mort, �volue dans un univers �pique. L'�pique et le tragique se donnent en quelque sorte la main. Le conflit et les d�sirs individuels du h�ros s'effacent pour s'int�grer dans l��pop�e collective du peuple travers� par de multiples malheurs et de perp�tuels drames. Ce n'est pas pour rien que Lakhdar, poignard� par un tra�tre, se sacrifie, pas pour des int�r�ts �go�stes, mais pour ob�ir au proc�s collectif de l'histoire. Sa mort n'est pas pr�sent�e comme une fatalit�, mais comme une n�cessit� historique. Ainsi, on peut parler de �libert� tragique�. La transcendance s'identifie ici � l'histoire. Comme chez Eschyle, le ch�ur prend une importante place dans le mouvement dramatique. Il explique les situations tout en prenant position avec les patriotes. Il incarne en quelque sorte le peuple. Sa parole prend parfois des accents �piques et s'insurge contre l'inauthenticit� d'un monde oppressif, n�gateur de toute possible lib�ration. Toute r�conciliation est impossible. Seule la victoire des patriotes peut permettre l'�mergence d'un monde authentique. Contrairement � de nombreuses pi�ces tragiques, Le cadavre encercl� propose une issue, une ouverture. La qu�te de Lakhdar, m�me mort, reste ouverte : la lib�ration de la patrie. Nous avons ici affaire paradoxalement � une trag�die optimiste. Le premier metteur en sc�ne de la pi�ce, Jean Marie Serreau, parlait ainsi du personnage de Lakhdar : �Lakhdar, presque immobile, au centre d'un univers qui tourne autour de lui [...]. Personnage fixe au centre d'un monde qui n'en finit pas de se d�sorganiser et de se recomposer. C'est ainsi qu'il est au sens le plus large, encercl� [...], ce cadavre sans cesse renaissant et sans cesse assassin� �chappe au r�alisme conventionnel d'une histoire qui suivait un d�roulement unilat�ral du temps. La trag�die de Lakhdar est celle de l'homme alg�rien dont les blessures sont imm�moriales et confondues dans le temps, et qui n�en finit pas de se chercher � travers un monde en r�volution�. Le discours originel laisse place � une transmutation dramatique mettant l�une � c�t� de l�autre deux m�moires, deux conceptions du monde et de l��criture dramatique. Cette transmutation des signes op�re un surinvestissement du sens et met en mouvement un geste double, mais concourant paradoxalement � la mise en �uvre d�une unit� discursive. Les signes portent et produisent un syst�me de repr�sentation engendrant une sorte d�ambivalence discursive. Nous sommes en pr�sence d�une unit� diss�min�e. Notre objectif n�est nullement de proposer une analyse exhaustive de ce texte � de nombreux travaux lui ont �t� consacr�s �, mais de fournir les traits g�n�raux de cette trag�die qu�on retrouve dans la mise en sc�ne de Mustapha Kateb. Les anc�tres redoublent de f�rocit�, de veine tragique, met en situation deux personnages, Hassan et Mustapha en qu�te du chemin du Ravin de la Femme sauvage, lieu mythique o� se trouve Nedjma, hant�e par le vautour incarnant Lakhdar. Mustapha et Hassan r�ussissent � d�livrer la Femme sauvage, enlev�e par un ancien soldat de l�Arm�e royale marocaine. Hassan meurt, Mustapha est arr�t� par l�arm�e ennemie. Le troisi�me volet de cette t�tralogie est constitu� par une pi�ce satirique, La Poudre d�Intelligence, qui tourne en d�rision les arrivistes, les faux-d�vots et les opportunistes. Nuage de fum�e, rencontre dans ses nombreuses balades mufti, cadi et marchands qu�il ridiculise et qu�il tourne en bourrique. Ce texte servira de point de d�part � toutes les pi�ces d�apr�s les ann�es 1970 comme Mohamed, prends ta valise, La guerre de 2 000 ans, Le roi de l�Ouest, Palestine trahie� Cet ensemble dramatique puis� dans l�histoire de l��poque avec ses contradictions et ses ambigu�t�s, caract�ris� par la pr�sence de traits lyriques et l�utilisation d�une langue simple, ne s�arr�te pas uniquement � la dimension politique et la guerre, mais la d�passe et interroge l��tre alg�rien d�chir�, mutil�. Le r�seau des oppositions est large et travers� par un discours ambivalent. Tragique et �pique se c�toient, se donnent en quelque sorte la r�plique. Le �je� singulier (relation amoureuse de Lakhdar et de Nedjma par exemple) alterne avec le �nous� collectif (inscription du personnage dans le combat collectif). La disparition d�un personnage individuel (Lakhdar ou Mustapha) laisse place � l��mergence d�un personnage collectif : le peuple, la patrie. La fin est ouverte, jamais
totalement n�gative. La mort n�est pas marqu�e du sceau de la n�gativit�, elle arrive � cr�er les conditions d�un sursaut et d�un combat � poursuivre. Lakhdar est le lieu d�articulation de plusieurs temps (pass�, pr�sent et futur virtuel), il proph�tise l��-venir. Ses paroles pr�monitoires sont le produit de son combat. Le ch�ur prend en charge le discours du peuple et s�insurge contre les sournoises rumeurs de la mort. Il est v�rit� �ternelle : �Non, ne mourrons pas encore, pas cette fois.� L�histoire s�inscrit comme �l�ment de lecture d�une r�alit� pr�cise, d�un v�cu alg�rien ambigu, pi�g� par ses propres contradictions. Ce n�est ni le pass� ni le pr�sent qui sont surtout valoris�s mais le futur, lieu de la qu�te existentielle et politique de l�Alg�rie incarn�e par Nedjma ou la Femme sauvage, ce personnage �cartel� entre deux voies diff�rentes, sinon oppos�es et porteur d�une mort productrice d�une vie nouvelle. Le paradigme f�minin, noyau central des deux trag�dies, fonctionne comme un espace ambigu, mythique. Nedjma, �toile insaisissable autour de laquelle tournent tous les protagonistes masculins, incarnerait l�Alg�rie meurtrie, terre � r�cup�rer. Elle est �galement le symbole des femmes combattantes. Dans Le Cadavre encercl� et Les Anc�tres redoublent de f�rocit�, les m�mes personnages reviennent et peuplent l�univers di�g�tique. L�histoire, espace r�el c�toie la l�gende, lieu du mythe. Histoire et histoire s�entrechoquent et s�entrem�lent. Histoire et l�gende semblent se r�pondre comme dans une sorte d�affabulation sublim�e, paradoxalement vraisemblable. Le discours sur la nation suppose une diversit� et une multiplicit� des r�seaux spatio-temporels. Le temps historique, paysage des r�f�rents existentiels (mai 1945, guerre de Lib�ration�), localis� dans des lieux clos (prison�) ou dans la ville, laisse place au temps mythique, instance occup�e sur le plan g�ographique par la campagne, le d�sert ou le ravin de la Femme sauvage. Le d�placement de l�histoire � la l�gende se fait surtout par le retour � la tribu, source du v�cu populaire et territoire-refuge de tous les personnages qui reviennent � cet espace afin de retrouver leur force. Le mythe tribal ne constitue nullement un retour aux sources mais une mani�re de se d�finir par rapport � un pass� accoucheur d�un pr�sent ambigu et ab�tardi. Le jeu avec le temps et l�espace, un des �l�ments essentiels de la dramaturgie en tableaux, est li� � la qu�te de la nation encore perturb�e et insaisissable. La l�gende, lieu d�affirmation-interrogation de l�histoire, investit l�univers dramatique de Kateb Yacine. A c�t� de sa suite t�tralogique, Kateb Yacine allait mener une nouvelle exp�rience o� les jeux de m�moire et d�Histoire investissent fondamentalement ses textes, notamment apr�s 1970 et sa pi�ce Mohamed, prends ta valise�. Apr�s 1970, le discours de l�auteur se veut fondamentalement politique. Il reprend dans ses textes des personnages et des situations de ses chroniques journalistiques, des actions puis�es dans le conte populaire, des jeux d��criture pris de formes ath�niennes, vietnamiennes et des sayn�tes reprises de Ksentini. Ce n�est pas sans raison qu�il reprend la chansonnette comme espace de ponctuation de ses pi�ces. Kateb Yacine avait toujours voulu s�imposer sur la sc�ne th��trale en mettant en forme un �th��tre de combat� prenant en charge les pr�occupations et les probl�mes des couches populaires tout en mettant en �uvre un discours internationaliste �pousant les contours de moments r�volutionnaires (Vietnam, Chili, pays arabes, Palestine, Afrique�) que la m�moire r�invente. Les intentions de l�auteur sont, d�s le d�part, politiques et id�ologiques. Son exp�rience de l��criture dramatique et sa rencontre capitale avec Jean-Marie Serreau lui donn�rent la possibilit� de r�fl�chir � la transformation radicale de l�espace sc�nique. Kateb Yacine eut �galement la chance, au gr� des circonstances, de faire la connaissance d�une extraordinaire �quipe dirig�e par Kaddour Naimi, aujourd�hui en Europe, Le Th��tre de la mer qui marqua profond�ment son �poque (fin des ann�es 1960-d�but des ann�es 1970), gr�ce � ses recherches et � sa capacit� d�utiliser, dans sa mise en sc�ne, de nouvelles techniques faisant notamment appel � l�expression corporelle et gestuelle. Il �crivit et monta, avec la collaboration du groupe, sa pi�ce-f�tiche, Mohamed, prends ta valise. Ce fut le d�part d�une exp�rience qui allait durer plus d�une vingtaine d�ann�es. Du Th��tre de la mer au Th��tre r�gional de Sidi-Bel-Abb�s (Oranie) en passant par l�Action culturelle des travailleurs (ACT), Kateb Yacine qui voulait, � tout prix, toucher un public de travailleurs et de jeunes tentait constamment d�adapter l�outillage technique � la r�alit� du public-cible. Mohamed, prends ta valise, en rupture tr�s relative, avec les pr�c�dentes pi�ces, �crites en fran�ais ( Le cercle des repr�sailles et L�homme aux sandales de caoutchouc), fut un �v�nement-phare dans l�exp�rience de Kateb qui s�enorgueillissait souvent d�avoir touch� � l��poque plus de soixante-dix mille �migr�s. Ce fut un v�ritable exploit et une premi�re remise en question de l��difice th��tral conventionnel. L�auteur �voquait ainsi cette aventure : �Au d�but, la troupe s�appelait Th��tre de la mer ; c��tait une jeune troupe subventionn�e par le minist�re du Travail (1970-1971). J�avais rencontr� Ali Zamoum qui �tait directeur de la formation professionnelle. C��tait lui qui avait aid� la troupe. Nous avions pens� qu�on pouvait faire une pi�ce sur l��migration, c��tait un th�me d�actualit�. C��tait aussi le temps de parler et j�avais beaucoup de choses � dire. L��migration �tait une chose que je sentais parce que j�ai v�cu dix ans d�exil. Alors, nous avions constitu� cette troupe. Apr�s huit mois de travail intensif, nous �tions all�s en France et nous avions fait pendant cinq mois le tour de ce pays avec Mohamed, prends ta valise. C��tait une tourn�e unique dans son genre. Nous avions touch� pr�s de 70 000 �migr�s. Notre style de th��tre est simple : peu de costumes, peu d�argent. Si on veut vraiment faire bouger le th��tre, il faudrait �tre l�ger.� Cet extrait de l�entretien que j�ai r�alis� avec Kateb Yacine en 1986 r�sume toutes les intentions et la probl�matique sc�nique de cet auteur qui avait pris la courageuse d�cision d�abandonner le roman, � la grande d�ception de certains de ses admirateurs qui connaissaient mal l�auteur et qui d�valorisaient la fonction de l�art th��tral, pour se lancer dans l��criture th��trale. Son objectif �tait clair : toucher le maximum de personnes et faire du th��tre une arme de combat. Il se d�pla�ait dans des lieux ouverts (hangars, places publiques, march�s, casernes�) et utilisait un dispositif sc�nique extr�mement l�ger. Les choix politiques et id�ologiques le poussaient � opter pour un lieu ouvert, susceptible de contribuer � la mise en circulation de son discours id�ologique. L�essentiel �tait de se d�placer vers les gens pour transmettre une parole contestataire, � contre-courant de la politique officielle. Kateb avait donc la possibilit� de d�placer sa troupe dans divers endroits, des espaces ouverts conf�rant plus de libert� de mouvement et de man�uvre aux com�diens qui pouvaient ainsi se mouvoir ais�ment sur le plateau. La sc�ne fonctionne comme un espace interchangeable, ouvert � toute transformation et remodelage des signes de la repr�sentation. Le signe se pose comme espace alternatif. La sc�ne est presque vide. Le dispositif sc�nique est s�rieusement all�g�. Les acteurs op�raient ais�ment dans les diff�rentes aires de repr�sentation. Kateb Yacine expliquait ainsi cette r�alit� : �C�est le temps du th��tre, du grand public. Maintenant, je pense que le th��tre peut aller � la rue, au stade� La culture, c�est qu�on laisse le th��tre sortir dans la rue. On l�a fait. A H�amr el-A�n (un village) par exemple : pour attirer le public, on a pris quelques com�diens et on a commenc� � chanter dans la rue. Et tout de suite, �a avait march�, le public �tait l�. On a fait des spectacles dans les douars (petits villages) et dans les domaines de la r�volution agraire. On p�che le public � la source. Une fois, nous �tions all�s � Kh�missa (est de l�Alg�rie), et comme nous �tions arriv�s � la tomb�e de la nuit, et que nous �tions oblig�s de partir, nous n�avions jou� que vingt minutes, �clair�s par les phares des gendarmes. Nous avons jou� dans des cit�s universitaires. Nous avons touch� une tr�s grande force d��tudiants qu�on ne peut n�gliger.� C�est ainsi qu�il opta pour un attirail l�ger permettant � ses com�diens de jouer dans n�importe quel lieu. Ce qui facilitait consid�rablement la communication. C��tait un th��tre qui allait vers les gens et qui se d�pla�ait juste dans les lieux de travail et les petits villages. Les conditions de production du discours th��tral impliquaient la mise en branle de m�canismes souples lib�rant le com�dien des contraintes d�un attirail lourd et d�un espace fig� et favorisaient la participation active des spectateurs qui avaient �galement la possibilit� de se d�placer et de converser entre eux. Le th��tre de Kateb Yacine �tait un th��tre nu, un �espace vide� pour reprendre la belle expression de Peter Brook. Les objets, identifiables et dot�s d�une forte charge symbolique, dominaient la repr�sentation. Dans toutes ses pi�ces ( Mohamed, prends ta valise, Sawt ennissa ou la voix des femmes, La guerre de deux mille ans, Palestine trahie, Le roi de l�Ouest�), l�auteur employait des objets et des accessoires qui participaient d�une occupation de l�espace imaginaire incluant la participation active et dynamique du spectateur. Le regard du spectateur construisait les d�cors n�cessaires � la repr�sentation et structurait la sc�ne donnant l�impression que le plateau �tait dispos� en fonction de calculs sc�nographiques pr�cis. L�objet qui �tait un �l�ment central du th��tre de Kateb se transformait et remodelait continuellement l�espace sc�nique. Le d�cor �tait surtout
constitu� d�accessoires qui fonctionnaient parfois comme des substituts de personnages pr�cis. Un simple chapeau pouvait signifier un pays ou un dirigeant politique. Les objets utilis�s produisaient et articulaient une pluralit� de signes qui ne perturbaient nullement le regard parce que renvoyant � des mod�les et � des situations pr�cises. Les signes sc�niques mettaient en pi�ces le regard traditionnel et subvertissaient le discours officiel. Le public avait la possibilit� de voir les com�diens se changer, les musiciens jouer et les objets changer de statut et de fonction au fur et � mesure du d�roulement de la pi�ce. La sc�ne �vide� s�emplit d�accessoires qui changeaient de fonctions et d�attributs permettant � l��il de tenter de d�construire et de reconstruire des faits et des �v�nements connus par le public. Tous les effets utilis�s concourent � installer une distance entre le(s) com�dien(s) et le(s) personnage(s) et le(s) personnage(s) et le spectateur. Les com�diens, en s�habillant sur sc�ne et en interpr�tant plusieurs personnages, r�duisent consid�rablement les possibilit�s d�identification et perturbent la relation cathartique (sans la supprimer d�finitivement) et l�illusion. Les com�diens �taient appel�s � ma�triser plusieurs cat�gories d�interpr�tation pour pouvoir bien donner � voir des situations et des �v�nements renvoyant � des r�alit�s historiques et politiques particuli�res. Mais le manque de formation et de professionnalisme de beaucoup de ses com�diens desservaient son discours et neutralisaient sa force suggestive. Kateb Yacine reprenait l�id�e de distanciation � Bertolt Brecht, m�me si dans certains de ses entretiens, il attaquait ce proc�d� qu�il consid�rait comme peu op�ratoire et inefficace dans des soci�t�s comme l�Alg�rie. Le chant constituait un important �l�ment de ponctuation permettant la transition entre diff�rents tableaux et l�acc�l�ration ou la d�c�l�ration du rythme. L�auteur qui, s�inspirant du conte populaire, construisait son texte comme une suite de sauts elliptiques, privil�giant une sorte d��criture en fragments qui mettait c�te � c�te contes, aphorismes familiers, complaintes et vieilles chansons satiriques. Ce qui retenait surtout l�attention, c��tait cette propension � transformer le contenu des chansons populaires et � conserver les airs et le rythme. Chez Kateb, les musiciens, install�s sur sc�ne durant tout le long du spectacle, se transformaient en com�diens et participaient ainsi activement � la repr�sentation. La musique est �galement impliqu�e dans l�action. Elle n�a plus uniquement une fonction d�illustration. Elle prend en charge les moments forts de la pi�ce et contribuait � l�articulation et � l�harmonisation des tableaux. Les com�diens devaient, dans le th��tre de Kateb Yacine, interpr�ter plusieurs r�les et prendre en charge plusieurs fonctions. R�ussirent-ils � assimiler le message de l�auteur ? Dans de nombreux cas, la performance des com�diens d�naturaient le discours th��tral. L�espace vide (ou lieu nu) exige de s�rieuses qualit�s et une pr�paration sans faille. Le corps devait conjointement � la parole dessiner les contours de l�espace sc�nique. L�usage des techniques du conteur populaire et le choix du personnage l�gendaire Djeha exigeaient des acteurs une formation rigoureuse et pr�cise, et une s�rieuse connaissance des conditions d��mergence et du fonctionnement des sch�mes et des mod�les de la culture populaire. Ce qui n��tait pas le cas de l��quipe de Kateb dont beaucoup d��l�ments semblaient ignorer les rudiments �l�mentaires du jeu d�acteur. Djeha, install� sur un plateau de th��tre, devait acqu�rir un double statut et de multiples lieux r�f�rentiels : il est personnage de th��tre, mais �galement conteur ou narrateur. Les personnages typ�s ou les arch�types correspondaient en quelque sorte � des marionnettes qui apportaient une note de gaiet� et de sympathie. La redondance est une des particularit�s essentielles de l��uvre dramatique de Kateb Yacine. On retrouvait des s�quences enti�res reprises dans toutes ses pi�ces. Mais c�est Djeha (Nuage de fum�e ou Moh Zitoun) qui, en quelque sorte, colle les morceaux et apporte une sorte de caution et de l�gitimit� au r�cit. Il tr�ne au-dessus de la m�l�e, fournit des indications, sous forme de paraboles ou de m�taphores et trace les contours de la construction dramaturgique. All�ger le dispositif sc�nique devenait une n�cessit� imp�rieuse et permettait ainsi � la troupe de se d�placer en toute libert� dans tous les lieux de repr�sentation. Kateb Yacine me parlait ainsi de son public : �Le public, ce n�est pas une chose dans l�absolu. (�). Nous avons jou� pour eux (les travailleurs), et avec de jeunes travailleurs, nous allons dans les centres professionnels, dans les lyc�es, dans les lieux o� on peut rencontrer de jeunes travailleurs, des jeunes en g�n�ral. (�) Pour une troupe comme la n�tre, et pour ce qu�on veut faire, il faut d�finir ce public � pas n�importe quel public �, c�est pour �a que nous ne voulons pas affronter ce qu�on appelle le grand public.� Le travail s�articulait autour du public qui d�terminait les contours de l�espace sc�nique, marquait les instances esth�tiques et artistiques et imposait un type de lieu pr�cis (souvent ouvert). La troupe qui se d�pla�ait dans des villages de l�Alg�rie profonde jouait devant des gens qui n�avaient jamais entendu parler de th��tre, mais qui pouvaient, une fois le personnage de Djeha et les airs musicaux reconnus, participer pleinement � la repr�sentation. Kateb Yacine ne pouvait nullement �chapper � cette r�alit�. La m�moire s�introduisait par effraction dans un univers nouveau qui ne pouvait r�sister � cette incursion transformant fondamentalement la structure th��trale. Profond�ment ancr�s dans l�imaginaire populaire, les faits culturels originels se r�veillent, de fa�on d�sordonn�e et �parse, au contact de valeurs et de formes ext�rieures. La latence est marqu�e par la dur�e. Les signes latents caract�risent le v�cu social et restent en �veil, en attente. On ne peut �vacuer un �l�ment important, La culture populaire, pr�tendument disparue et consid�r�e comme d�finitivement morte, se m�tamorphose subitement et r�ussit jusqu�� transformer les formes dites savantes, produit d�une autre histoire et lieu d�articulation d�une autre m�moire. C�est surtout l�inattendu qui caract�rise cette intrusion dans des espaces apparemment ferm�s. La place publique s�introduisait ainsi en force, virtuellement, dans le th��tre. Le spectateur la transportait dans les salles de spectacles. Contrairement � cette nouvelle mode de certains hommes de th��tre qui, quittant la salle � l�italienne, ne font finalement que la d�placer dans un lieu ouvert condamn� paradoxalement � une certaine cl�ture. Kateb Yacine articulait la structure narrative autour du personnage de Djeha (devenu, pour la circonstance Nuage de Fum�e ou Moh Zitoun) qui se transformait radicalement sur sc�ne et qui devenait le centre d��v�nements actuels, porteur de deux espaces m�moriels. Il faisait appel � Djeha, d�multipliant les espaces et les temps et fragmentant le r�cit, renouant essentiellement avec l�exp�rience du th��tre ath�nien, d�sirant rompre avec le th��tre europ�en (mais en conservant Shakespeare) qu�il consid�re comme trop �loign� de l�exp�rience ath�nienne.


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