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La singulière expérience théâtrale de Abdelkader Alloula (1re partie)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 17 - 03 - 2014


Par Ahmed Cheniki
De nombreux hommes de théâtre arabes, européens, africains, asiatiques et américains ont commencé, ces dernières décennies, à s'interroger sur leur propre pratique, à tenter de nouvelles expériences, à remettre en question le discours théâtral conventionnel et à se tourner vers les formes dramatiques populaires.
Ces expériences, marquées parfois par un parti-pris théorique et les velléités d'une pratique souvent traversée par le schéma brechtien, mirent en question les lourdeurs et les inadéquations du lieu théâtral conventionnel. Le public (ou le récepteur) a déterminé sérieusement cette manière de faire. Abdelkader Alloula, un de nos plus grands hommes de théâtre, d'une extraordinaire culture, qui a débuté sa carrière avec des pièces classiques (El Ghoula ou L'ogresse de Rouiched, 1964, Essoultane el Hair ou Le roi inquiet de Tewfik el Hakim et Monnaie d'or de Chu Su Sen, 1967), et un regard conventionnel, a entrepris, avec Homk Selim (adapté du Journal d'un fou de Gogol), en 1968, une intéressante expérience, singulière et fort enrichissante, consistant en une tentative de mettre en forme une sorte de théâtre total, une synthèse de deux structures dramatiques. Alloula cherchait à se libérer des carcans et des normes d'une pratique qui lui semblait en porte-à-faux avec les besoins d'un public accoutumé à une mise en espace de la parole et à une attentive écoute des péripéties et des rumeurs d'un récit associant humour et situations répétitives.
Pour comprendre cette expérience, il est primordial d'interroger les différents lieux de la formation de l'auteur qui dispose d'une connaissance approfondie du théâtre. Il faudrait tout d'abord interroger l'apport de Cordereau et d'Hermantier qui ont permis à l'auteur de mieux comprendre les relations entre la structure théâtrale et les formes dramatiques populaires. Au Maroc, par exemple, durant les années 1950, Tayeb Saddiki et Tayeb El Alj ont connu la même expérience avec André Voisin, qui leur inculqua l'art de la scène et les poussa à s'intéresser aux formes populaires tout en les initiant aux techniques de l'écriture dramatique et scénique. Il n'est nullement possible d'approcher la représentation sans l'interrogation des rapports qu'elle entretient avec les productions du Théâtre du Soleil de Peter Brook, de Meyerhold, Brecht, Piscator et de la Commedia dell'arte. Mais cela ne veut nullement dire que l'expérience de Alloula et des autres auteurs arabes et africains ayant suivi la même voie se limite à ces territoires. Elle est déterminée par le terrain et la pratique scéniques. Abdelkader Alloula a, à l'instar de Brook et de Brecht, une formation classique qu'il tente de subvertir, par la suite, avec des résultats divers dans sa trilogie de la «halqa» (Legoual, Lejouad, Lithem). Est-il possible de rompre radicalement avec le théâtre «conventionnel»? La question reste posée. Comment a-t-il entrepris cette expérience ? Déjà, Homk Selim posait les jalons de ce théâtre permettant à Alloula d'utiliser certaines techniques du conte. Selim devenait une sorte de créateur d'espaces et de temps pluriels, le porteur de signes qu'il convertit dans un autre système. Cette paradoxale réappropriation des signes de l'univers culturel populaire entraîne une autre manière d'appréhender la représentation théâtrale. Le signe théâtral, mouvant, se déplace vers l'instance d'une parole qui favorise les structures figées, fixes. Commençaient à poindre à l'horizon les premiers signes de la contestation de la pratique dramatique conventionnelle. Tout a, selon lui, définitivement basculé lors de la présentation de deux pièces écrites et montées collectivement par une équipe du Théâtre régional d'Oran (dirigée par Alloula) en 1972 et en 1974. L'auteur m'avait ainsi expliqué le démarrage de cette expérience dans un entretien paru dans l'hebdomadaire Algérie-Actualité : «Il y a d'abord une expérience qu'on a entamée il y a quelque temps et qui a pour origine un type d'activité qui a longtemps existé dans notre pays : la halqa, le meddah. Toute cette réflexion sur notre patrimoine n'a pu connaître le jour, qu'après la réalisation d'El Meïda (La table, pièce qui traite de la nécessité de l'application de la révolution agraire.(...) Nous sommes partis à Aurès el Meïda (un village situé dans l'Oranie, à l'ouest de l'Algérie) avec un camion décor, c'est-à-dire un décor qui correspond à celui utilisé sur les scènes de théâtre.
Parti d'une réflexion théorique, notre travail initial se voyait mis en question sur le terrain. Les spectateurs nous recevaient sur le plateau. Nous jouions en plein air, nous nous changions en public. Les spectateurs s'asseyaient autour des comédiens, ce qui faisait penser à la halqa (cercle). Cette réalité nous obligeait à supprimer progressivement certains éléments du décor (surtout là où le public nous regardait de dos). Certains spectateurs nous regardaient avec un air hautain. Une attitude gestuelle ou verbale remplaçait tout élément ou objet enlevé. A la fin de chaque représentation, on ouvrait un débat avec les paysans.» Deux expériences (Homk Selim et El Meïda) ont donc constitué les éléments centraux autour desquels allait s'articuler la réflexion sur la nécessité de transformer l'univers théâtral dominant. Le lieu théâtral, le mode d'agencement du récit, le jeu des comédiens et le dispositif scénique sont autant d'espaces appelés à être remis en question, remodelés et transformés. Mais cela est-il suffisant pour convoquer un autre public ou déraciner une forme dramatique de son terreau originel, naturel pour la déplacer dans un espace artificiel : le théâtre ? Le risque d'une lecture archéologique du fait théâtral et de l'expérience dramatique populaire n'est nullement à écarter d'autant que, pour reprendre le sociologue Jean Duvignaud, le théâtre appartiendrait à l'espace urbain. Est-il possible de reprendre la halqa ou le goual sans les emprisonner dans le carcan théâtral ? Les intentions de l'un des plus grands hommes de théâtre maghrébins, Abdelkader Alloula, sont certes généreuses et louables, mais les jeux de la réception pourraient, comme pour Brecht, travestir son discours. Ce sont ces questions qui nous ont intéressé dans le questionnement de l'écriture de Abdelkader Alloula. La question du lieu théâtral demeure le sujet essentiel autour duquel se mobilisent de nombreux hommes de théâtre qui veulent en finir avec un lieu clos qui ne correspondrait pas, selon eux, à la réalité actuelle. Peter Brook parle d'«espace vide», Lucien Attoun de «théâtre ouvert». Le Living Theater occupe la rue. En Algérie, c'est surtout Abdelkader Alloula, fort d'une expérience concrète réalisée dans un village, Aurès el Meïda, qui s'insurge contre un lieu clos qui altère la communication et la rend inefficiente. Ainsi, la scène à l'italienne fut l'objet de très sérieuses contestations et critiques d'autant plus qu'un large public ne s'y reconnaissait pas, favorisant la remise en question du mode d'agencement conventionnel. Le travail élaboré par Alloula dans Legoual (Les dires), Lejouad (Les généreux) et Litham (Le voile) s'est heurté naturellement à la question du lieu théâtral. Où jouer ? Telle était la question-clé qui taraudait l'esprit de Alloula qui savait pertinemment qu'interpréter ces textes dans des salles conventionnelles n'apporterait rien de nouveau et neutraliserait tout simplement toutes les possibilités de transformation scénique. La halqa est avant tout un cercle, c'est-à-dire une forme qui suggère la présence d'une structure circulaire, mais paradoxalement ouverte. Il y a une sorte de transmutation des signes, une entreprise de communication directe qui favorise l'échange pluriel. Le signe se caractérise ici par le mouvement et la circularité. L'expérience avait montré, il faut le dire, ses limites. Les salles du Théâtre national algérien (TNA, Alger), ou des théâtres régionaux, fermées et excluant toute possibilité de participation, ne pouvaient correspondre au discours développé par Abdelkader Alloula. Le piège se refermait tout bonnement sur cette expérience qui se définissait également comme une sorte de continuité de l'entreprise brechtienne. D'ailleurs, Brecht lui-même, malgré la présence d'un appareillage technique extraordinaire et la disponibilité du Berliner Ensemble, ne réussit pas à réaliser ses desseins, étant prisonnier du primat de l'appareil scénique conventionnel. Alloula s'était mis, à l'instar du dramaturge allemand, à s'interroger sur sa propre expérience et ses propres limites. Comment s'en sortir ? Faut-il revoir les instances scénographiques ? Faut-il multiplier les espaces de jeu ? Toutes ces questions posaient essentiellement le problème de l'espace physique de la représentation et de la relation avec le public, univers catalyseur de la plupart des recherches dramatiques et théâtrales. Le rêve de l'auteur était de jouer ses pièces dans des espaces ouverts qui permettraient aux spectateurs de participer au spectacle et d'éviter l'identification factice et l'illustration de l'action.
Les marchés populaires et les places publiques séduisaient énormément l'auteur. Ces lieux constituaient les univers privilégiés du conteur populaire. Cette «participation» supposée ou attendue du spectateur donnait au signe théâtral une densité et une capacité de mouvement extraordinaires. Jusqu'à présent, nous n'avons pas d'information sérieuse sur la position et l'origine sociale des spectateurs. Le signe était en quelque sorte traversé par de multiples césures et de trous qui étaient comblés par la manifestation physique du spectateur.
La scène devient la mise en abyme de tout le spectacle. Alloula se résigna malgré lui à transporter le «gouwal» (conteur) et la halqa dans des scènes à l'italienne qui étouffaient la représentation populaire condamnée à obéir à la structure conventionnelle. L'expérience était donc vidée d'une partie de ses éléments fondateurs. Le gouwal opérant dans un espace clos devenait tout simplement un simple comédien du théâtre dit «aristotélicien» et perdait certains traits pertinents. Alloula reprend souvent cette idée de l'établissement d'un théâtre non aristotélicien, cher à Brecht.
Nous la contestons dans la mesure où le théâtre en Europe a toujours connu des ruptures et des éléments de continuité qui favorisent une certaine diversité que Brecht mésestime. Le théâtre de Brecht n'est, selon nous, qu'une expérience, parmi tant d'autres, qui contribue, certes, au changement de certains éléments du système théâtral, mais qui reprend les mêmes structures. On tombait dans le carcan du théâtre dans le théâtre. Deux structures s'entremêlent, s'entrechoquent et, parfois, se neutralisent.
La structure européenne et la structure populaire obéissent à des schèmes particuliers. Chacune d'elles porte et produit ses propres signes et comporte sa propre logique. Le fait de déplacer la structure du conte d'un espace ouvert vers un univers clos, c'est condamner celle-ci à obéir aux signes de la représentation conventionnelle.
Le dispositif scénique, mis en place dans une structure à l'italienne, ne coïncide nullement avec les accessoires «mouvants» du spectacle populaire. D'ailleurs, Alloula a découvrert cette réalité lors de la présentation de sa pièce sur la révolution agraire (El Meïda) dans «un village socialiste». Les spectateurs, des paysans, entouraient le plateau. Kateb Yacine a vécu la même situation dans un village de l'est algérien, Khémissa. Mais même en jouant dans un espace ouvert (marché ou place publique par exemple), le spectateur et le comédien portent et transportent dans leur imaginaire la structure italienne, le lieu clos. Certes, dans des présentations en milieu urbain, les spectateurs pourraient peut-être reprendre leur posture originelle devant un spectacle étrange et étranger.
La question du décor est intimement liée à l'instance scénique. Les décors conçus et réalisés par Mouffok et Boukhari Zerrouki, un décorateur algérien qui a beaucoup travaillé pour Alloula, se caractérisaient par une certaine lourdeur et ne correspondaient donc pas au discours initial de l'auteur. Dans Laâlegue (Les sangsues), nous avons affaire à un décor à deux niveaux. Lejouad se caractérise, certes, par la mise en place d'un dispositif simple et plus sobre, mais ne pourrait nullement être admis par le public visé par Alloula. Le problème du décor restait sérieusement posé et marquait la réflexion de l'auteur qui cherchait à l'alléger de manière significative pour pouvoir le déplacer dans les lieux reculés de l'Algérie et communiquer ainsi avec le public souhaité. Le dispositif scénique neutralise ainsi toute l'expérience et contredit les intentions affirmées par l'auteur dans les entretiens avec la presse et ses articles «théoriques».
A. C.


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