Un vent terrible balaye en cette froide journ�e du mois de f�vrier la cour du centre d�accueil du SAMU social � Dely-Ibrahim. La directrice, Mme Aberkane nous prie de rejoindre son bureau. D�embl�e, nous entrons dans le vif du sujet : dans ce centre d�accueil provisoire de personnes en d�tresse et notamment des femmes, les amendements apport�s dans le code de la famille et op�r�s l�ann�e derni�re ont-ils eu un effet sur le nombre de femmes qui se sont retrouv�es au centre, donc � la rue? Sont-elles plus au courant de leurs droits ? Non, r�pond sans h�siter notre interlocutrice, nous n�avons remarqu� aucun changement et encore moins une diminution du nombre de femmes qui, jet�es hors de leurs domiciles, se retrouvent livr�es � elles-m�mes et aux affres de l�errance dans la rue souvent avec leurs enfants. La conversation est interrompue par une jeune femme qui h�site sur le pas de la porte du bureau. Tenant par la main un petit gar�on ne d�passant par deux ans, elle demande timidement � la directrice une autorisation de sortie pour aller voir son avocat. Mme Aberkane en profite pour lui demander de raconter son histoire. Sans h�siter et ne se d�partissant pas de son calme, la jeune femme relate en quelques phrases les �v�nements qui ont fait basculer sa vie. Depuis deux ans elle vit au centre o� d�ailleurs elle a mis au monde son enfant : �C�est une ancienne, son enfant est n� chez moi, nous avons organis� sa circoncision et m�me fait une f�te pour l�occasion�, pr�cise Mme Aberkane. Malika menait une vie plus ou moins sereine au sein de sa famille � M�d�a, jusqu�au jour o� elle a fait la connaissance d�un jeune homme qui lui avait promis le mariage. Il s��tait av�r� par la suite qu�il �tait d�j� mari� et avait des enfants. Tomb�e enceinte, et en plein d�sarroi, elle avoua sa m�saventure � sa m�re. �Ma m�re �tait choqu�e et pein�e, de mon c�t�, j�ai essay� de prendre contact avec lui, mais en vain. Quand j�ai atteint les sept mois de grossesse, la situation �tait devenue intenable chez moi et je suis partie vers Alger. J�ai �t� orient�e vers ce centre apr�s m��tre dirig�e vers l�asile de personnes �g�es. Je vis ici depuis, c�est notre foyer � mon fils et � moi, nous n�avons pas o� aller�. Intervenant � son tour, la directrice du centre explique : �Nous essayons de travailler pour convaincre le p�re de reconna�tre au moins l�enfant et lui donner son nom. Et pourquoi pas un mariage � blanc pour que cette jeune femme puisse retourner dans sa famille et retrouver une vie normale, elle est jeune, elle n�a que 28 ans apr�s tout. Ici, le centre est normalement un simple relais, un centre d�h�bergement d�urgence; nous travaillons donc pour la r�insertion dans les familles. Ceci n�est pourtant pas facile puisque la soci�t� est dure pour les femmes dans ce genre de situation. Nous, nous ne pouvons pas les mettre � la rue, elles nous font confiance.� Autorisation de sortie en main, Malika part consulter son avocat pour tenter de recouvrer ses droits et ceux de son enfant. Mari�e uniquement par la Fatiha et trait�e en esclave Nous nous sommes rapproch�es pour discuter avec une autre jeune femme se trouvant au centre depuis deux jours. Mme Aberkane pr�cise que pr�s de 60% des femmes qui se retrouvent accueillies par le Samu social sont victimes de duperies et mari�es seulement avec la fatiha. Dans ce cas, elles sont sans droits et les enfants ne sont pas reconnus. Ainsi, le calvaire de cette femme, originaire de la r�gion de Khenchela et qui a trouv� refuge au centre avec une petite fille dure depuis dix ann�es. Dix ann�es d�incertitude, de doute et de vie servile, confie-t- elle, avec un mari qu�elle a �pous� avec la b�n�diction de sa m�re et qui a toujours refus� le mariage civil. �J�ai eu droit � une f�te � l��poque, lors de mon mariage, mais mon mari n�a pas voulu r�gulariser les papiers. Quand les probl�mes ont surgi dans notre couple, je ne savais pas � qui m�adresser, ma m�re ne me demandait que de lui laisser ses enfants et de revenir aupr�s d�elle. Mais moi, je voulais sauver mon mariage, en d�pit du comportement de mon mari qui m�ignorait et qui ne s�int�ressait pas � nos enfants�, confie Khe�ra qui ne pouvait retenir ses larmes. �J��tais une esclave, j�ai m�me emmen� les moutons aux p�turages, mais cela a fini par �tre insupportable je n�avais aucun droit et ma belle-m�re g�rait toute la famille. Je ne comprends pas ma m�re, elle ne m�a pas aid�e pourtant, elle a mari� mes autres s�urs avec l�acte�et moi je ne cesse de verser des larmes depuis dix ans. La derni�re dispute en date et le fait que je suis violemment frapp�e et insult�e au point d�avoir des malaises. Je suis sortie de chez moi il y a de cela deux jours en emmenant seulement ma petite fille avec moi. J�ai laiss� mes deux gar�ons de 8 et 5 ans � une voisine. Leur p�re a d� les r�cup�rer depuis.� Khe�ra �clate en sanglots. Ce qui n�arrange en rien les choses. Elle s��tait disput�e la veille avec des femmes au centre. A c�t� d�elle, sa petite fille, insouciante, s�amuse � ramasser des bouts de papier. �J�ai �t� touch�e dans ma dignit� je ne connais pas Alger, mais j�ai pr�f�r� fuir vers la capitale.� Selon la directrice du Samu social, Khe�ra a �t� accueillie durant une nuit dans un centre d�accueil avant qu�on ne lui signifie qu�il n�y avait pas de place. Frapp�es, humili�es, chass�es et sans droits �C�est le monde � l�envers, nous assurons seulement un transit et c�est nous normalement qui orientons ces femmes vers les autres structures, mais on les envoie syst�matiquement au SAMU social�, s�indigne Mme Aberkane qui tente en m�me temps de convaincre la jeune femme d�appeler sa famille. Elle lui a pr�cis� notamment que son mari peut invoquer l�abandon de famille. �Donnez-nous au moins le num�ro de t�l�phone de votre m�re�, sugg�re la responsable. Khe�ra, les yeux hagards, terroris�e � l�id�e de retrouver son mari h�site, pour pas longtemps puisqu�elle finit par donner un num�ro � la directrice. Cette derni�re entame tout de suite le contact, un voisin dans le douar de Khe�ra se rend chez sa maman avec le portable, morte d�inqui�tude et sans nouvelles de sa fille. Cette derni�re est rassur�e par Mme Aberkane et donne des instructions pour que sa fille aille � Constantine par car, elle-m�me prendra un taxi de Khenchela pour attendre Kheira � la gare, Khe�ra pleure de plus belle et r�p�te inlassablement l�air h�b�t� : �Elle m�a promis de ne pas laisser mon mari me reprendre, elle l�a promis� je ne pensais pas que ma m�re m�aiderait�� Sans perdre de temps, Mme Aberkane organise la r�insertion de la jeune femme dans sa famille. Elle appelle le chauffeur et lui donne des instructions pour que Kheira monte bien dans un bus ou un taxi le plus t�t possible, la journ�e �tant d�j� bien avanc�e. Des femmes comme Khe�ra, bless�es dans leur dignit� de femme, aux droits bafou�s et chass�es de chez elles, il en existe �norm�ment et prises en charge par le SAMU social. Lila, originaire de Blida frapp�e, abandonn�e et chass�e par un mari qui a pris une autre femme. Elle s�est retrouv�e � la rue, ses enfants chez leur p�re. Lila dans son errance a �pous� un autre homme par la fatiha et vit de fa�on instable. Elle est de nouveau enceinte d�un mois et toujours prise en charge au centre� Karima dont les parents ont �t� assassin�s il y a de cela quelques ann�es par les terroristes et leur maison incendi�e � A�n- Defla a �t� chass�e par son mari apr�s trois mois de mariage. Au bout d�une semaine, son fr�re aussi n�a pas voulu d�elle. A la suite d�une relation avec un jeune homme, Karima se retrouve enceinte et rejoint le centre, elle est seule au monde� Autant de femmes livr�es � elles-m�mes, et souvent dans l�incapacit� de recouvrer leur droit l�gitime. Le service juridique du Samu social ne peut souvent rien pour elles, elles ont d�abord �t� condamn�es et rejet�es par la soci�t�.