La publication am�ricaine de r�f�rence Political Affairs accordait, il y a peu, � ses lecteurs le privil�ge d�interviewer � distance Ian Bremmer autour des questions actuelles du capitalisme d�Etat et de l�avenir de l��conomie de march� (*). L�int�r�t de l�exercice tient � ce que Ian Bremmer est pr�sident de Eurasia Group, leader mondial de la recherche sur le risque politique et r�f�rence incontournable en mati�re de strat�gies d�investissement. Il est, au demeurant, heureux et encourageant de constater que l�Alg�rie ne figure enfin plus parmi les risques majeurs recens�s dans le monde pour 2009. Pour revenir � l�objet de la rencontre virtuelle (le capitalisme d�Etat), Ian Bremmer commence par l�associer � la gestion par des gouvernements � hors de toute id�ologie, de toute promotion d�un id�al et de tout culte de la personnalit� � de la performance des march�s � long terme, de leur survie politique et, dans certains cas, de gains personnels. Dans cette configuration, il lui semble �tr�s peu probable que l'Etat puisse jamais remplacer le capitalisme de libre march� tel qu�il existe dans le monde d�velopp�, comme en Australie, au Canada en Europe, au Japon et aux Etats-Unis � malgr� leurs variations dans le degr� et l��tendue de la r�gulation du march� et l'intervention de l'Etat, momentan�e ou plus prolong�e, ponctuelle ou plus syst�matique. Le seul changement structurel qui puisse frapper fondamentalement le syst�me ne lui semble aussi nullement envisageable : �Je pense qu'il faudrait une v�ritable catastrophe �conomique et politique, une pand�mie mondiale qui tue des millions de personnes, une attaque terroriste men�e avec des armes de destruction massive, sur une grande ville occidentale, une guerre au Moyen-Orient qui pousse les prix du p�trole � de nouveaux sommets stup�fiants, pour que soit repens� � plus long terme le r�le de l�Etat dans l'activit� �conomique. L'objectif principal de l'interventionnisme gouvernemental en ce moment est de r�tablir la sant� du march� libre, non de ne pas le remplacer.� Comment alors expliquer le sauvetage bancaire par les gouvernements autrement que comme une r�sultante de l'interd�pendance des relations entre les �chelons sup�rieurs de la politique et des finances ? A l�instar de ce qu�a fait l'Administration Obama, ces gouvernements ont �veill� � ce que le c�ur du syst�me bancaire continue de battre� et �vit� le �risque de d�faillance g�n�rale du syst�me�. �Pour d�barrasser les banques des actifs toxiques, l'Administration Obama a adopt� une approche ax�e sur le march� plut�t que la nationalisation. Et sa solution pour Chrysler a �t� de fusionner avec un autre acteur du march� et de garder les mains relativement libres. Au-del� de quelques �sacrifices des chefs d'entreprises �, peu de raisons permettent de croire que l'Administration elle-m�me va s�impliquer dans la gestion active de l'une des banques ou entreprises automobiles�, assure encore Ian Bremmer. Comment des entreprises priv�es, qui reposent sur des connaissances tr�s sophistiqu�es inconnues de la moyenne des citoyens, peuvent-elles � la longue convaincre les citoyens de leur fiabilit� ? Et comment le capitalisme peut-il att�nuer le foss� naturel entre ceux qui ont le savoir pour sp�culer sur les bulles et ceux qui ne savent pas ou ne veulent pas le faire et restent sans protection ? �Vues dans une perspective plus large, je ne suis pas convaincu que ces bulles soient une mauvaise chose pour la croissance de l'investissement et l'innovation technologique. Il y a plus de perdants que de gagnants lorsque la bulle �clate, mais bon nombre des plus grands avantages durent plus longtemps que nous ne le croyons.� �Quant � la question de la confiance, les entreprises priv�es ont clairement perdu beaucoup de cr�dibilit� au cours des derniers mois, mais il est moins important de leur faire confiance que de les r�glementer intelligemment. Nous serons toujours � la recherche d'un juste �quilibre entre la libert� et la r�glementation pour les entreprises du secteur priv�. De lourdes restrictions handicapent la capacit� des entreprises � innover en vue d'une plus grande efficacit� et rentabilit�, mais les gouvernements auront toujours un r�le � jouer dans la protection des consommateurs en veillant � pr�server la concurrence sur le march� et � faire jouer des g�n�rateurs de co�ts externes avec une mercuriale de prix.� Aux Etats-Unis, la Securities and Exchange Commission (SEC) veut moraliser le capitalisme en donnant plus de pouvoir aux actionnaires. Ce mois-ci, la SEC, le r�gulateur des march�s d'actions des Etats-Unis, a vot�, � une courte majorit� de 3 contre 2, des propositions visant � accro�tre le pouvoir des actionnaires en leur permettant de nommer des administrateurs issus de leurs rangs dans les conseils d'administration des firmes dot�es d'une valorisation boursi�re �gale ou sup�rieure � 700 millions de dollars. Pour exercer ce nouveau droit, il leur faudra d�tenir 1 % au moins du capital. Ce pourcentage est fix� � 3 % pour les entreprises ayant une capitalisation ou une valeur des actifs nets (dans le cas des soci�t�s d'investissement) comprise entre 75 et 699 millions de dollars. En expliquant les raisons de la proposition, la SEC fait explicitement r�f�rence � la n�cessit� de donner une r�ponse aux pr�occupations suscit�es par la crise en mati�re de r�mun�ration des dirigeants et de gestion des risques de la part de ces derniers. La commission reconna�t ainsi que les doutes sur la capacit� des conseils d'administration de surveiller les dirigeants des soci�t�s ne manquent pas de fondement. Les incoh�rences ant�rieures de l'Etat capitaliste tenaient principalement au �manque d'ind�pendance du pouvoir judiciaire pour faire respecter la primaut� du droit et d'ind�pendance des m�dias pour enqu�ter sur ces liens et les porter � la connaissance de l�opinion�. Bremmer rel�ve certains niveaux de contradictions entre l�Etat capitaliste et les grosses firmes : �Non, le gouvernement am�ricain a toujours �t� davantage impliqu� dans certains secteurs que dans d'autres. Consid�rez l'histoire des Etats- Unis du secteur p�trolier. Le p�trole brut a �t� une ressource strat�gique vitale pour les Etats-Unis depuis de nombreuses d�cennies. Pourtant, bien que le gouvernement am�ricain ait exerc� une influence politique lourde pour tenter de lancer la construction de l'ol�oduc Bakou-Tbilissi- Ceyhan, pipeline de la mer Caspienne � la Turquie, les compagnies p�troli�res ont pris beaucoup de temps � investir dans ce secteur parce que le gouvernement am�ricain tardait � leur accorder une subvention �. Des pays comme la Chine, le Mexique, la Russie et quelques autres sont des �manations de ce capitalisme d'Etat. Il en est de m�me pour les Etats-Unis : les d�penses militaires massives sur les budgets du Pentagone ont permis l�essor et la supr�matie de soci�t�s telles que General Electric, Boeing, Lockheed Martin, et bien d'autres. Les Etats-Unis enregistrent de ce fait plus de d�penses et de capacit�s militaires que toutes les autres nations dans le monde. Et ces autres nations le leur rendent bien. Y compris la Chine. Ainsi, en attendant l�issue de la transition de la d�pendance du p�trole et du gaz vers une diversification �nerg�tique qui prendra des d�cennies, dans l'intervalle, l'approvisionnement en �nergie continuera de provenir de r�gions potentiellement instables du monde: le Moyen-Orient, le bassin de la mer Caspienne et l'Afrique de l'Ouest. Avec la seule pr�sence navale mondiale, l'Am�rique peut sauvegarder la libre circulation de cette �nergie, ce qui contribue � veiller � ce que le leadership am�ricain demeure indispensable. Etat capitaliste ou non, la Chine doit garantir que le d�troit d'Ormuz reste ouvert. Elle peut le faire par un grand investissement sur plusieurs d�cennies sur ses propres capacit�s navales ou laisser les Etats-Unis assurer cette d�pense, faire le gros du travail et accepter les risques, en �change d'une coop�ration dans d'autres domaines �voire d�une certaine d�pendance. Que penser du mod�le chinois de capitalisme d�Etat ? Est-il durable ? �Le capitalisme d'Etat est finalement insoutenable en Chine. S'il y a un seul aspect du mod�le chinois dont Washington ferait bien de s'inspirer, c�est un plus grand investissement dans l'infrastructure publique, les communications, les transports, l'�ducation et l'infrastructure.� Les fonds souverains ou les caisses de retraite figurent parmi les puissants leviers dont disposent les diverses variantes de capitalisme d�Etat (cela va de l�Arabie saoudite � la Norv�ge, en passant par la Californie) pour intervenir activement dans la sph�re �conomique. Ces fonds r�v�lent des diff�rences de degr�, dans la transparence et la qualit� de leur gouvernance, selon qu�on se situe en d�mocraties lib�rales ou dans des Etats autoritaires. �Quand les fonds de Norv�ge ou de Californie font appel au politique � pour investir ou d�sinvestir d'un pays, par exemple � ils rendent compte de leurs d�cisions au public. Ce n'est pas souvent le cas pour les fonds en Chine ou les Emirats arabes unis�. Comme quoi, pour les Am�ricains, m�me leur capitalisme est meilleur. A. B. (*) Political Affairs, 28 avril 2009. Ian Bremmer est co-auteur de �The Fat Tail : The Power of Political Knowledge for Strategic Investing� (Une piste rentable : Le Pouvoir de la connaissance pour les politiques d'investissement strat�gique), avec Preston Keat. Pour l�int�gralit� du d�bat, le lecteur se reportera au site (en anglais) : http://www.eurasiagroup.net