L'Algérien est un fêtard né. C'est connu et c'est reconnu. Là où il est, il se fait remarquer et se fait entendre. Souvent avec fierté, parfois avec excès, beaucoup même. Et ça n'a évidemment pas raté mardi soir, après la proclamation des résultats du bac. A Alger, et sans doute dans d'autres grandes villes, on a eu droit à une nuit très agitée. Illuminée, voire explosive par endroits. Certaines détonations produites par de gros pétards crevaient les tympans. Les feux d'artifice, les concerts de klaxons, les youyous stridents qui fusaient des balcons auront supplanté les belles veillées ramadhanesques. Fêter la réussite au bac, chez nous, doit obligatoirement être sonore. On exprime la joie jusqu'à commettre, parfois, l'irréparable, comme ces accidents de la circulation provoqués par des ados qui foncent à toute allure dans les artères de nos villes, les pieds sur les banquettes, les têtes dehors et l'esprit ailleurs… ça n'a malheureusement pas raté, une nouvelle fois, puisque deux bacheliers n'ont pas eu le temps de savourer leur succès en passant de vie à trépas à Tipasa, durant cette folle nuit de mardi. C'est comme cela ; l'Algérien est expressif, excessif dans la joie comme dans la douleur. Il aime le faire savoir. Pour partager son bonheur et quelquefois pour narguer ses ennemis. On l'a bien vérifié, il y a quelques jours, quand des centaines de personnes sortirent dans la rue pour fêter… la défaite de la France en finale de l'Euro contre le Portugal. Pourquoi diantre, sentons-nous ce désir de montrer nos sentiments fussent-ils sympathiques à l'égard du Portugal ? Que veulent signifier ces jeunes – mais pas que – qui s'égosillaient pour la défaite de la France en sortant leur attirail des grands jours ? Que nous soyons un peuple chaud prêt à mettre le feu ; ça on le sait quand il s'agit d'une réjouissance nationale, d'un exploit sportif de nos Verts ou de nos athlètes. Mais de là à «ex-territorialiser» notre adrénaline et la mettre au service d'une équipe étrangère, cela mérite un scan psychosociologique. On a longtemps mis en avant le retour du refoulé des années tragiques du terrorisme pour justifier cette envie irrépressible et débordante de faire la fête. Il y a sans doute cette fureur de vivre poussée à pleins poumons. Mais les jeunes de 20 ans qui reprennent le flambeau – au propre comme au figuré – ne savent pas grand-chose de cette décennie noire. Et pourtant, ils développent les mêmes réflexes et affichent le même état d'esprit qui se décline avec une overdose d'ostentation un peu limite. Faudrait-il s'étonner alors que le succès au bac soit aussi explosif ? Que le bonheur des heureux reçus soit synonyme de cauchemar pour ceux qui ne sont pas concernés par cet examen, contraints de vivre une nuit blanche ? Non, bien sûr. C'est comme cela et ça le restera aussi longtemps que les blessures béantes, les frustrations enfouies et les douleurs muettes n'auront pas été traitées. On ne peut manquer pour autant de s'interroger pourquoi les fêtes nationales, les vraies, ne mobilisent pas grand monde. Cela fait très longtemps qu'on n'a pas vu des voitures défiler dans la rue pour fêter le 1er Novembre, mais surtout le 5 Juillet qui marque notre Indépendance. Cela paraît bien bizarre quand on observe une telle débauche d'énergie et d'argent pour des occasions parfois futiles, comme cette défaite de la France contre le Portugal. Ironie du sort et de l'histoire, nous qui sortons le million et demi de martyrs à tout bout de champ pour plastronner devant l'étranger, ne faisons rien pour enraciner notre épopée révolutionnaire. Notre roman national ne trouve hélas plus de lecteurs ou si peu. Les nouvelles générations sont davantage abreuvées des exploits de Messi et Ronaldo que des sacrifices d'Abane, Ben M'hidi et Ben Boulaïd. C'est triste et disproportionné par rapport à cette joie indescriptible qu'on observe pour un succès au bac. A croire que l'Algérien affiche son patriotisme évanescent uniquement à l'étranger. Là-bas, il est prompt à dégainer l'emblème national pour marquer son territoire. Le drapeau écume tous les grands stades européens, Paris, Ghaza, et même le pôle Nord, comme si nos expatriés veulent dire au monde qui ils sont. Il n'est pas contre-indiqué de faire la fête, mais il faut se garder de faire dans l'excès et la démesure. La frontière est tellement ténue entre certaines expressions de joie et quelques formes de violence, dont celle sonore du bac. Cela pourrait être un bon sujet de philo pour le prochain bac. Félicitations tout de même.