Depuis la nuit des temps, le figuier, tout comme l'olivier, a été inéluctablement reconnu dans la société kabyle comme un don du Seigneur destiné à tous, sans distinction de classe, et a été même considéré comme un élément de survie dans cette région pauvre. Remplir son grenier de figues sèches en prévision des temps de «disette» était une assurance. Mouloud Feraoun le disait si bien et fort à propos dans L'Anniversaire : «Un merveilleux festin d'imma Thamer'rousth (ma mère figuier), plats du Bon Dieu offerts pour tous et que tous doivent goûter». De ce fruit partagé dans la communauté, le fils du pauvre dira également, «parce que, cela il faut le dire, nous avons un très vif amour de la propriété : chacun mange jalousement ses poires, ses glands ou ses pommes de terre mais ses figues, non. C'est un don d'en haut qu'on ne peut refuser au pauvre». Nommé lakhrif ou tabekhsist, ce terme est synonyme de «régal» en Kabylie où de nos jours, avec la disparition graduelle des figueraies pour cause d'abandon et des effets des incendies, on n'hésite plus à le qualifier de «fruit nommé désir». La raison ? A Tizi Ouzou-ville, ce fruit défendu est proposé à pas moins de 200 DA le kg. Il n'est plus aujourd'hui à la portée de tous. Autres temps, autres mœurs Dans un passé pas lointain, la figue fraîche était le fruit qu'on ne pouvait refuser à quiconque. En Kabylie maritime, on raconte qu'autrefois, un pèlerin étranger qui venait juste de faire son pèlerinage, passait à Sidi Khaled, là il vit des enfants rentrer dans les figueraies et se servir de belles figues fraîches sans que cela ne dérange le propriétaire qui veillait juste à ce que les branches ne soient pas cassées, alors, il dit : «C'est ici la maison de Dieu !». Autres temps, autres mœurs. Aujourd'hui des figues de piètre qualité sont proposées au prix fort dans des bidons en plastique à même le trottoir dans la ville de Tizi Ouzou, au lieu du panier en osier tressé et réservé autrefois pour honorer ce fruit. Il faut dire que la récolte de la saison est des plus insignifiantes. Selon les fellahs, la qualité de la figue a été altérée par les conditions météorologiques, surtout les grandes chaleurs qui ont même asséché les feuillages. En Kabylie maritime plus précisément, la présente saison est catastrophique. Il faut parcourir à la loupe de nombreux figuiers pour dénicher une figue pulpeuse à savourer. Une marchandise de qualité médiocre toute poussiéreuse provient essentiellement des villages périphériques de la ville de Tizi Ouzou, comme Betrouna, Oued Aïssi, Beni Z'menzer, Ihassnaouène ... où la récolte est également en deçà des attentes. Elle est vendue par des jeunes et moins jeunes pour se faire un peu d'argent de poche, ou tout simplement en vue de se procurer une ressource d'appoint pour faire face aux dépenses incompressibles de la rentrée scolaire et du ramadhan. Ainsi, autrefois considérée comme «le fruit du pauvre», la figue fraîche est devenue à présent un fruit «exotique». La négligence de la terre a conduit inéluctablement à la baisse du nombre de figueraies qui s'est rétréci comme une peau de chagrin. Le net recul de la production de figues, cantonnée aujourd'hui dans les derniers îlots que sont Tala Amara, Illoula Oumalou où est célébrée, chaque année la fête annuelle des figues, fait que cette denrée coûte si cher aujourd'hui. C'est à se demander combien coûterait la figue sèche qui se vendait auparavant à 320 DA le kg.