Il fait horriblement chaud et Sonelgaz trouve particulièrement inspiré de demander aux gens d'éteindre les climatiseurs pour pouvoir admirer leur design comme on admire un tableau de maître. Il serait intéressant de savoir combien d'appareils il y a en Algérie et la proportion que cela représente par rapport au nombre de foyers. Mais on n'en a pas besoin, puisque, sans recensement, sans même une estimation approximative, Sonelgaz nous dit l'essentiel : il y a assez de climatiseurs dans le pays pour perturber l'alimentation en électricité, ce qui évidemment, explique les coupures, ou, pour employer le terme «in», les «délestages». C'est fou ce qu'on nous apprend comme mots savants, quand il fait chaud. Sauf qu'on en vient à douter de leur sens, puisqu'ils reviennent aussi quand il fait… froid ! La chaleur étant le contraire du froid, pourquoi délestage ne serait pas le contraire de… délestage ? La dernière blague racontée à Alger : il paraît que Sonelgaz envisage une géniale recommandation, ne pas dire aux amis et proches «sabah ennour», pour économiser l'énergie ! Ce n'est qu'une blague parce que personne ne dit «sabah ennour» mais elle n'est pas à exclure. Après tout, on demande bien aux Algériens de garder éteints des climatiseurs qu'ils n'ont pas, non ? Il fait horriblement chaud mais les plages sont horriblement vides. Il est plus «confortable» de dormir en délirant dans sa sueur que d'aller chercher une fraîcheur… fraîchement interdite. Il fait horriblement chaud mais il y a des gens pour acheter des abricots à six cent dinars le kilo. D'autres suffoquent rien qu'en entendant ça mais ce n'est pas important. A quarante degrés sans clim, on ne pense pas aux abricots. Il fait horriblement chaud pour se rendre compte que le pays n'a toujours pas de gouvernement, mais ce n'est pas grave, on s'est rarement rendu compte qu'on en avait un. Il fait horriblement chaud et les sportifs algériens doivent rentrer à la maison. Ils doivent s'estimer heureux d'être restés à Londres jusqu'à la fin des Jeux olympiques, puisqu'ils auraient dû rentrer depuis longtemps. Ou ne pas y aller du tout. Il fait horriblement chaud, y compris à Cherchell, où Baâziz se fait dresser un bûcher pour avoir dit à une employée qu'il n'a peut-être pas besoin d'une carte d'identité pour acheter une puce de téléphone. Tellement chaud que personne ne s'est posé la question : Baâziz est une star-haggar ou un client qui ne se laisse pas marcher sur les pieds ? Il fait horriblement chaud et la connexion internet est horrible. Le fournisseur a inventé quelque chose d'unique dans la galaxie : il vous coupe le jus avant le terme de votre abonnement payé, il faut donc aller payer une semaine à l'avance. Il fait horriblement chaud et la Tunisie n'est plus une destination pour les vacances des Algériens qui ne sont ni assez riches pour aller ailleurs ni assez pauvres pour rester chez eux. Il fait horriblement chaud et il y a des miracles, puisqu'il y a de l'eau à Alger. On ne nous demande même pas de fermer le robinet ou en réduire sensiblement le débit quand on se brosse les dents. Normal, il y en a très peu qui le font pendant le Ramadhan, ça fait longtemps qu'on a décrété que le dentifrice casse le jeûne. On ne nous demande pas non plus de ne pas utiliser les machines à laver. Normal, aussi, on consomme plus d'eau en lavant à la main. Une autre preuve que ce sont les pauvres qui gaspillent plus. Il fait horriblement chaud et l'Aïd approche. On fera semblant d'être heureux et de faire la fête, en s'ennuyant horriblement. On fera semblant d'aimer des parents qu'on est pressé de voir partir et d'aider les pauvres qu'on est heureux de voir pauvres. Il paraît qu'il fera horriblement chaud jusqu'après l'Aïd. Un bonheur n'arrive jamais seul mais la chaleur nous l'a fait oublier. Slimane Laouari
