A Bagdad, un journaliste algérien travaillant pour une chaîne polonaise a été tué par des coups de feu tirés par des individus non identifiés qui se trouvaient à bord d'une voiture. Plus au Nord, dans une grande ville russe, un Algérien qui dirige une entreprise russe a été lui aussi assassiné par des inconnus. Certes, à Bagdad l'état de guerre ne permet de se faire aucune illusion quant à la possibilité d'interpeller les auteurs de l'assassinat du journaliste algérien et de ses collègues polonais, mais la situation plus stable de la Russie est de nature à permettre de diligenter une bonne enquête policière, de trouver les mobiles du crime, ensuite de découvrir et d'arrêter les assassins. Mais dans les deux cas, il serait intéressant de connaître les réactions de nos ambassades et de nos consulats en Irak, en Pologne et Russie. Nous savons déjà que de nombreux ressortissants algériens croupissent en prison dans les pays étrangers, en Libye notamment, ou bien en Espagne ou en Italie. Le silence assourdissant de nos représentations diplomatiques tranche avec l'agitation médiatique des autres capitales, dès que l'un de leurs ressortissants est en difficulté en pays tiers. L'autre aspect à relever à propos de ces affaires, c'est le fait que cela soit annoncé d'une manière tout à fait banale. L'assassinat en Russie d'un ressortissant algérien est présenté comme un simple fait divers, alors que c'est loin d'être le cas. On aimerait avoir d'autres informations sur cet Algérien : depuis quand est-il en Russie? Quel est le nom de son entreprise et que produit-elle? De quelles qualités dispose cet homme qui a pu s'imposer dans un grand pays comme la Russie, dans un pays où de surcroît la mafia politico-financière est bien implantée. Quel genre d'études a-t-il fait? Est-il marié et a-t-il des enfants? A-t-il une famille en Algérie? Nous connaissons déjà le nom du journaliste algérien tué à Bagdad et nous connaissons son métier. Nous savons aussi qu'il a de la famille en Algérie, mais cela est-il suffisant? Comment est-il parti en Pologne et pourquoi s'est-il retrouvé à Bagdad? Nous ne doutons pas des qualités humaines et professionnelles de ces deux Algériens morts en terre étrangère, mais c'est un fait que de nombreuses zones d'ombre demeurent et nous ne savons pas quelles sont les institutions algériennes, en dehors des représentations diplomatiques, qui sont chargées de faire la lumière sur ce genre d'affaires. Bagdad, on le sait, c'est l'enfer par excellence, un nouveau Vietnam dont on ne voit pas l'issue, un départ de feu sous les zooms des caméras du monde entier, un bourbier qui va sûrement coûter leur réélection à Bush et à Blair, qui filent du mauvais coton. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont prétexté des armes de destruction massive pour envahir le croissant fertile, parce qu'en fait, ce qu'ils convoitaient c'était son pétrole et ses richesses et sa position stratégique aux portes de l'Asie. Comme dans un jeu de dominos, la chute de Bagdad doit entraîner celle des autres régimes arabes, y compris les plus inféodés à l'Oncle Sam, comme l'Arabie Saoudite et l'Egypte. C'est le syndrome de la poule aux oeufs d'or. Bush veut tout le pétrole et toutes les richesses arabes et toute l'âme arabe. Mais c'est la cupidité de trop qui le mènera à sa perte. Aujourd'hui, tout le monde constate qu'il n'y a pas d'ADM, et même si le régime dictatorial de Saddam Hussein est tombé, la vraie résistance ne fait que commencer. A côté de tous les Algériens qu aiment l'aventure et qui s'en vont tenter le sort loin du soleil natal, il y a Lakhdar Brahimi, ce diplomate de haut vol qui a réussi de nombreuses missions délicates dans les endroits les plus chauds de la terre, que ce soit en Somalie, en Afghanistan ou ailleurs. Et puis aussi, voilà subitement un Algérien qui vaut 10.000 grammes d'or. Malgré le pétrole à 40 dollars le baril, rares sont les Algériens qui peuvent se vanter de coûter aussi cher. Cela nous rappelle cette anecdote racontée par Balzac dans son roman La Peau de chagrin, dont le personnage principal, pauvre et désargenté s'apprêtait à se jeter dans la Seine, et puis il est tombé sur cette annonce d' un institut de médecine légale qui achète des cadavres pour 500 francs: «Vivant, je ne vaux rien, mais mort je vaux 500 francs !» (nous citons de mémoire). En mettant à prix les têtes de Bush, de Brahimi et de Annan, le chef d'Al-Qaîda n'apporte rien de nouveau. Il ne fait qu'imiter la triste fetwa de l'imam Khomeyni contre l'écrivain britannique Salman Rushdie, ouvrant la voie à la série d'assassinats de journalistes, d'écrivains et d'intellectuels en Algérie, en Egypte, en Turquie et un peu partout dans le monde, en se cachant derrière l'Islam, mais en oubliant qu'Allah ne permet pas qu'on tue des vies humaines. Par ces fetwas irréfléchies, ces imams de pacotille ont fait beaucoup de mal à l'Islam, religion de lumière et de tolérance.