La grande majorité de nos administrations se met en mode veille dès la mi-journée. Après une semaine de jeûne, les citoyens apprécient différemment les multiples changements que le mois sacré impose. Un dénominateur qui reste commun à toutes les régions du pays. Le Ramadhan, censé être un mois de piété, d'entraide, de solidarité... tend à perdre ses valeurs et être synonyme de bouffe, d'empressement, de dépenses, de fainéantise. A quelques exceptions près, toutes les administrations «tournent» au ralenti. Les marchés ont connu et connaissent des hausses injustifiées. Les nerfs sont à fleur de peau et les bagarres faciles à déclencher. Au regard de ces constats, la question devient une évidence: que reste-t-il des préceptes de ce mois préféré des autres mois de l'année? Avant d'essayer de répondre, il est utile peut-être de tenter de définir ce mois. Il y a quelques années, sur une chaîne publique française. Lors de l'émission Ramadhanesque animée par Fréderic Mitterrand, une star de la chanson raï définissait le Ramadhan comme «le mois où on ne boit pas!». Heureusement que sur le plateau était présent Idir, le chanteur kabyle qui interviendra et remettra les pendules à l'heure. La restriction du mois de jeûne à une simple abstinence de manger, de boire du lever du soleil à son coucher, reste une conclusion hâtive et trop brève. Ce mois est une épreuve qui met le musulman face à plusieurs défis. Les yeux, les oreilles, le corps entier sont mis à rude épreuve. Ces épreuves sont bien sûr largement plus aisées que celles vécues du temps du prophète (Qsssl) et de ses compagnons. La climatisation, les moyens de transport, les acquis du modernisme en général sont là pour faciliter la mission du jeûneur. En marge de ce modernisme, les écarts entre les couches sociales ont grandi. Le mois du jeûne, du moins localement, reste une occasion pour que le nanti remercie le Créateur et comprenne partiellement les douleurs sociales. Quand l'être humain se prive de tout pendant 12 heures, il peut ressentir les envies et les souffrances de celui qui, quotidiennement et toute l'année, observe malgré lui le jeûne par manque et non par une quelconque conviction. Le Ramadhan est aussi utilisé par beaucoup comme justification. La grande majorité de nos administrations se met en mode veille dès la mi-journée. «Revenez demain» est désormais la réponse standard brandie dans les services. Certains vont dans leur excès et leur culot, jusqu'à reprocher à l'administré d'être venu les déranger en ce mois. Le manque à gagner sur le plan économique est excessivement élevé, selon les économistes. Voilà une conclusion contraire au principe de ce mois. «On dort le jour et on vit la nuit.» Ce constat concerne une grande frange de la jeunesse. Déjà que pendant les 11 autres mois, ces jeunes, beaucoup de diplômés, font les murs, sont blasés par l'inactivité, alors que dire pendant un mois où la vie s'arrête le jour. 2014 a la particularité d'être l'année de la Coupe du monde. L'événement planétaire sportif a grandement changé les habitudes. Les matchs retransmis en clair par les chaînes allemandes ont suscité l'engouement. Les exploits de notre Onze aussi a participé à changer l'ambiance et la morosité qui s'installe chaque année. Le jour du 8e de finale contre les Allemands, les mosquées ont été désertées et les prières de «taraouih» très écourtées. Si on excepte les grandes métropoles comme Alger, Oran, Constantine, Sétif... la grande majorité des villes et villages à travers le territoire national vit banalement ce mois. «Rares sont les directions de la culture qui ont tracé des programmes d'animation, en ciblant toutes les composantes de la société. Quand on fait un gala, il se termine toujours en queue de poisson. On ne pense jamais aux familles, on se limite à des défouloirs pour jeunes surexcités», nous confiera un citoyen. Après la rupture du jeûne, pour beaucoup de citoyens, les cafés demeurent les seuls lieux de rencontre, d'échange et Coupe du monde oblige, pour voir les matchs. Les veillées «ramadhanesques» sont pratiquement à l'identique, elles donnent l'impression de déjà-vu, d'un copier-coller, tant les opportunités pour des manifestations culturelles demeurent très aléatoires pour ne pas dire inexistantes. Le manque de structures d'accueil, les établissements pour jeunes quand ils sont disponibles, ouvrent aux heures administratives et ferment dès 17 heures, réduisant la jeunesse à vaquer, errer sans destination. En attendant d'éventuelles améliorations, les Bouiris continueront à jeûner le jour et tenter de trouver une place tranquille le soir en quête d'un peu d'air frais...