Condamnées par des journées caniculaires à limiter leurs activités extérieures au strict minimum, les familles constantinoises n'ont de choix pour se délasser que d'ouvrir les portes de la nuit et investir la ville jusqu'à des heures tardives. L'activité nocturne est d'ailleurs propice pour le simple citoyen, le commerçant, le taxieur et le faiseur de spectacles. En un mot, chacun trouve son compte dans une ville qui n'a pas beaucoup l'habitude de rester «animée» pendant la nuit. Le spectacle du pont suspendu illuminé et la place de la Brèche qui scintille de mille feux valent bien le détour. Elle est vraiment belle Constantine la nuit, quand elle prend la peine d'offrir à ses habitants un bol d'air et de fraîcheur afin de leur permettre d'oublier la canicule de la journée et pour certains le stress du jeûne! Depuis le début du mois sacré de Ramadhan, la capitale de l'Est s'est débarrassée de sa vieille habitude de baisser les rideaux après le coucher du soleil, à la grande joie de la plupart des citoyens qui n'ont pas manqué de saluer les nouvelles dispositions offertes par la ville. Dès la fin des prières rogatoires, des tarawih, les quartiers du Centre-ville sont pris d'assaut par des milliers de personnes de tout âge. Commerces ouverts et illuminés, trottoirs bondés de monde et une circulation automobile dense mais moins infernale que la journée. L'ambiance est conviviale. Elle est agrémentée par une présence familiale de plus en plus imposante qui donne des couleurs et des lumières à des soirées constantinoises qu'on croyait perdues à jamais. Même si certains ont tendance à coller ce «réveil» nocturne à des impératifs d'ordre commercial, ce qui n'est pas totalement faux, de vieux accros aux vieilles habitudes le considèrent comme un sursaut d'ordre qualitatif à mettre au compte des moeurs constantinoises et d'une population avide de revivre en renouant avec les traditions citadines d'antan. Que ce soit à Belouizdad, ex-Saint-Jean, au niveau de la mythique place de la Brèche, sur les hauteurs à Sidi Mabrouk ou à travers les ruelles et les rues de l'antique Casbah, la bonne humeur est de retour et la bonne humeur fait sa réapparition avec le sentiment de sécurité et de sérénité partagé de tous ceux que nous avons pu interroger le long d'une virée qui nous a menés du faubourg de Bab El Kantara Bel air en traversant l'emblématique pont de Sidi Rached et l'ancestrale Souika. Malgré des incidents caractérisés par des actions de banditisme qui ont émaillé la vie ramadhanesque du populeux quartier d'Oued El Had et qui ont vu la riposte énergique des forces de l'ordre mettre fin à ces «fausses» notes, tout à fait contradictoires avec l'esprit et la lettre de ce mois sacré, plus les jours passaient et plus la ville se réappropriait son activité d'autan. Autant les journées sont consacrées aux effets du jeûne en période caniculaire et à la montée vertigineuse des prix à cause d'une impitoyable spéculation, autant les soirées sont dédiées, comme d'un commun accord, à la récréation et à la recherche de moyens pour se libérer de la fatigue de 13 heures d'abstinence religieuse. Pour quelques heures, les cafés, les salons de thé, les magasins, les places publiques, les lieux de manifestations culturelles et les cybers sont pris d'assaut par toutes les catégories sociales d'une population qui ne supporte plus l'enfermement imposé par l'insécurité et la claustrophobie causée par ces nuits de couvre-feu non décrété. Des vieux, des jeunes en groupes, des femmes et des familles s'accaparent, ou plutôt récupèrent des «tranches» de vie nocturne qui leur appartiennent en espérant que les veillées ramadhanesques ne constituent pas une renaissance éphémère qui s'éteindra la veille de l'Aïd et que l'on sera obligé d'attendre pendant onze mois encore. Mais cela est une autre question liée à l'histoire de Constantine.