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Histoire d'un passé qui ne passe pas
LE MAGHREB ET L'EUROPE
Publié dans L'Expression le 11 - 10 - 2004

«Nous querellons les miséreux pour mieux nous dispenser de les plaindre.» Vauvenargues
Pour la énième fois, l'Europe du Sud se réunit avec le Maghreb en vue de définir «une politique commune de bon voisinage de coopération». Naturellement les recommandations faites à l'issue des travaux, brillent, le croyons-nous, par le manque d'imagination. Nous allons voir dans ce qui suit que le problème de l'immigration, c'est-à-dire celui de la sécurité de l'Europe, parce qu'en fait, c'est de ça qu'il s'agit, est mal posé. Au Maghreb, on parle plutôt de survivance au quotidien. Pendant que l'Europe détruit ses surplus agricoles, pendant que ses citoyens et citoyennes expérimentent le plaisir sous toutes ses formes en bafouant ce qui reste de morale et de pudeur, les «sujets» des républiques et royaumes maghrébins n'en finissent pas de gémir devant un quotidien de plus en plus difficile et une incurie établie en règle de fonctionnement qui explique, dans une large mesure, le besoin d'évasion pour une vie meilleure à tout prix, même au prix de cette vie.
Naturellement il ne s'agit pas des politiques gouvernementales des deux bords qui, à des degrés divers, sont complices entre elles pour garder les différents statu quo de part et d'autre de la Méditerranée. Mais est-ce la position des gouvernés? Si en Europe globalement les droits de l'homme sont plus ou moins respectés et les citoyens sont consultés sur les grands dossiers au point que, globalement, il y a adhésion sur les grands dossiers entre les citoyens et les gouvernants, bien que dans tous les cas, la République soit tyrannique, c'est la seule à l'heure actuelle à asseoir une légitimité prenant ainsi la place des anciennes légitimités vaincues, la royauté et l'Eglise. Au Sud, il en est autrement, au-delà des promesses électorales non tenues, au-delà des méthodes certaines fois discutables d'accès au pouvoir. Les citoyens ne sont pas consultés sur les grands dossiers qui engagent leur devenir.
L'Europe parle de sécurité. Qu'entend-on par Europe? Est-ce une Europe géographique de l'Atlantique à l'Oural selon le voeu du général de Gaulle? Ou est-ce une Europe frileuse judéo-chrétienne à la De Villiers et autre Le Pen, Haïder ou Berlusconi pour qui la civilisation chrétienne est de loin meilleure que la civilisation islamique? Dans le premier cas, on ne comprend pas pourquoi la Turquie, relativement plus proche que l'île de Malte, soit tenue soigneusement à la porte de l'Europe depuis sa demande de 1964.
Est-ce à dire que nous sommes dans le second cas, l'adhésion à l'Europe ne peut-être qu'ethnique ou religieuse, on comprend alors mieux pourquoi la Grèce a gardé jusqu'à récemment, le fait d'indiquer la religion du titulaire de la carte d'identité, dans une Europe censée être laïque; mais on excuse tout à la Grèce ; n'est-ce pas, elle, la mère de la civilisation occidentale? De même, l'admission de Malte ne peut être comprise que par le fait que c'était, dit-on, le dernier «rempart de la chrétienté» avec les fameux chevaliers de Malte. Pour Chypre, l'incohérence est plus flagrante: la partie grecque est admise à l'Union européenne malgré un vote négatif, par contre la partie turque qui a voté massivement pour le oui a vu, naturellement, son adhésion refusée. La discrimination entre deux populations qui ont vécu des millénaires ensemble, indépendamment de leur religion, est intolérable. Nous verrons, bientôt, d'un côté de la route, l'abondance, le développement, de l'autre le Moyen Age. Cette question de la Turquie a créé des lignes de fracture, non pas là où on aurait penser les trouver entre partis de droite et de gauche mais au sein de ces partis. Ainsi, le président Jacques Chirac et Michel Rocard, ancien Premier ministre français, sont foncièrement pour. Par contre, dans l'autre camp, on trouve, sans surprise, Valéry Giscard d'Estaing, mais aussi, et curieusement, Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères dont la position est pour le moins énigmatique.
Ainsi, après avoir fait preuve de lucidité en parlant du nécessaire dialogue des civilisations: «...Nous n'aurons pas d'autre choix que de coexister. Il n'y aura pas de communauté internationale tant que nous n'aurons pas écarté le spectre d'un affrontement Islam-Occident, tant que nous n'aurons pas su lui ôter toute justification et lui substituer une autre vision partagée de l'avenir de l'humanité, en nous libérant des siècles qui nous prédéterminent». Le même ministre est, paradoxalement, furieusement contre l'adhésion de la Turquie à l'Europe, proposant de la ghettoiser dans le premier cercle de coopération avec l'Europe. C'est dire si l'adhésion de la Turquie transcende les luttes partisanes et convoque, selon le discours porteur du moment, le rationnel et l'irrationnel.
Quelle ressemblance entre le Méridional, l'Italien ou l'Espagnol et le Nordique du Nord ou le Polonais du bout du monde. Et pourtant le monde s'agrège par affinité culturelle (ceci est discutable) et religieuse. Pourtant les Maghrébins sortent du même moule culturel que celui des anciennes puissances coloniales. Il n'empêche que les Espagnols préfèrent de plus en plus embaucher des Ukrainiens venant de 5000 km pour leur agriculture plutôt que les Marocains qui sont à 50 km, et avec lesquels ils partagent l'histoire, la langue et beaucoup de traditions. La seule explication ne peut être trouvée que dans l'approche religieuse.
La sécurité de l'Europe est une utopie. On ne peut pas barricader l'Europe. Pour le moment ce sont des épaves qui tentent de prendre pied à Lampedousa, première terre avancée européenne ou par le détroit de Gilbraltar. Ce n'est pas en dépensant 150 millions d'euros pour le système de radar SIVE que l'Europe se sentira en sécurité.
Les mouvements migratoires, matrice de la coopération des 5 + 5
Les êtres humains se sont toujours déplacés. Selon les Nations unies, environ 150 millions de personnes, soit 3% de la population mondiale, vivent en dehors de leur pays de naissance. Pour une part d'entre eux, les migrants cherchent à combler ailleurs les besoins ne pouvant être satisfaits dans leur pays d'origine. L'attractivité de la société de consommation provoquée par la diffusion mondiale des médias occidentaux, et la facilitation des transports par la baisse de leur coût amplifient le phénomène. A titre d'exemple, l'extraordinaire métissage de la France (15 millions de Français ont au moins un grand-parent d'origine étrangère) témoigne de la permanence historique des flux migratoires liant ce pays au reste du monde. L'histoire des mouvements migratoires est en fait, l'histoire du monde.
La mondialisation économique de type libéral, en même temps qu'elle en accentue le caractère structurel, dévoile toute la contradiction des politiques migratoires: dans ce monde, les biens, les marchandises et les capitaux circulent de plus en plus facilement, tandis que la libre circulation est de plus en plus difficile pour les plus pauvres et les moins qualifiés. Au coeur des peurs, l'invasion migratoire, comme la libre circulation mettrait en péril les identités sociétales. Faut-il alors se replier sur soi, fermer les frontières? Est-ce même possible? La construction européenne ainsi que l'extension des activités de police affectent les questions centrales d'identité, de frontière, de souveraineté de l'Etat.(1).
Parallèlement, on a modifié les moyens et les cibles des contrôles en «ethnicisant» certains des critères pratiques de surveillance (distinction entre les étrangers non communautaires et les membres de l'Union), ce qui n'est pas sans poser problème quant aux libertés publiques. Le débat sur les identités tient moins à la question philosophico-juridique des relations entre nationalité et citoyenneté qu'à la manière dont on contrôle en pratique ces identités, désormais considérées comme une dimension de la sécurité individuelle, mais aussi collective. Etre différent revient potentiellement à attenter à l'identité nationale, à menacer la sécurité intérieure comme extérieure.
On suit et on anticipe les transhumances humaines, en punissant moins mais en surveillant et en normalisant plus. L'Europe permet à des organismes transétatiques d'agir sans légitimité et d'échapper à leurs gouvernements sans être contrôlés à un autre niveau. Une situation qui rejoint les interrogations de Michel Foucault dès 1977 sur les changements dans l'art de gouverner: «Passons-nous d'un Etat territorial à un Etat de population?».(2).
Modelant et remodelant sans cesse les sociétés, les flux migratoires ont accompagné et rythmé l'histoire humaine tout entière. L'histoire méditerranéenne, celle de toutes ses civilisations, est fondamentalement une histoire de migrants. Plus que partout ailleurs, cette histoire a été mélange, syncrétisme, métissage...Aujourd'hui, nous sommes en présence d'une phase nouvelle d'un mouvement millénaire. L'Europe doit en même temps se transformer en laboratoire d'idées et de pratiques d'une société multiculturelle et multiethnique, en dernière analyse métissée. «Le métissage crée la paix» a affirmé le philosophe français Michel Serre. Telle est, écrit Bertrand Ravenel: «l'unique politique de sécurité» crédible pour l'Europe si elle ne peut pas voir sa «forteresse» rapidement et douloureusement minée par la conjugaison d'un déclin démographique interne et la pression migratoire externe, tous deux inéluctables. En 1492, en Espagne, porte du Maghreb, il fut décidé qu'il n'y aurait plus d'espace pour la diversité et donc pour les juifs et les musulmans. Qu'en sera-t-il demain?(3).
Dans son livre : «L'Occident et les autres», Sophie Bessis nous explique les fondements de la suprématie occidentale et du colonialisme. Elle nous invite à relativiser et à remettre en cause «un système depuis si longtemps établi qu'il se confond avec l'ordre naturel des choses». Sophie Bessis postule que l'identité occidentale est indissociable d'une «culture de la suprématie»: «La crainte, écrit-elle, de devoir abandonner la position hégémonique qui a forgé leur relation au monde est synonyme, dans les consciences occidentales, de la peur de voir se dissoudre leur identité.» Contrairement à ce qu'on a souvent voulu croire, cette culture s'est perpétuée, sous des formes différentes, à toutes les étapes de l'Histoire: aujourd'hui, «en contraignant chacun à reconnaître l'existence de l'autre, le rétrécissement du monde a également sophistiqué les formes de sa négation ou de sa diabolisation».(4).
Pour se limiter à l'époque moderne -depuis 1492 - on peut dire que les migrations internes et internationales ont constitué un aspect déterminant de la vie des peuples s'articulant sur la dynamique du système-monde que devient le capitalisme occidental à travers son processus d'accumulation...Pendant quatre siècles et demi, jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la direction des flux est partie de la vieille Europe vers les nouveaux mondes à conquérir, à mettre en valeur, à exploiter (tout le contient américain, l'Afrique australe, l'Océanie, etc.). L'expansionnisme colonial a été aussi un expansionnisme démographique. Le mouvement a concerné en première personne le Portugal, l'Espagne, la France, l'Italie, avec leurs ambitions de peuplement.
Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, l'Europe est devenue importatrice nette de main-d'oeuvre. C'est le grand changement structurel ; les besoins immédiats de la reconstruction amènent plusieurs pays (la France, surtout) à avoir recours à une main-d'oeuvre de proximité (Italie, Belgique), ou coloniale. Le plan Marshall de reconstruction de la France doit beaucoup aux bras des Maghrébins.
A partir des années cinquante, les belles années de l'expansion économique s'accompagnent d'une croissance quantitative des flux. De la mine à l'industrie automobile, en passant par les travaux publics, le bâtiment, la sidérurgie, et la métallurgie, la main-d'oeuvre immigrée contribue de manière déterminante au développement de la société de consommation urbaine. Depuis 1974, l'Europe a freiné l'émigration. En fait, de nouveaux flux se développent, sous forme de clandestins ou de réfugiés politiques et économiques. Face à cette tendance à l'insertion définitive des immigrés en Europe, les sociétés européennes prennent conscience de leur existence durable dans le paysage quotidien.
Le cauchemar de l'Europe
A l'époque moderne et contemporaine, la population du Bassin méditerranéen a été en grande majorité concentrée sur la rive nord. En 1900 les trois quarts, en 1950 les deux tiers. Mais la stagnation démographique de l'Europe et l'explosion du Sud ont provoqué une radicale transformation de la répartition territoriale des populations riveraines. Les caractéristiques spécifiques aux deux systèmes-monde différent, tant sur le plan démographique qu'économique, ont créé une dynamique sans précédent historique.
En 1990, la population du sud a dépassé la population du nord de la Méditerranée qui perd ainsi une très ancienne prééminence numérique. En 2020, le Sud représentera les deux tiers du total. D'ici 2020, la population qui entoure mare nostrum s'accroîtra de 192 millions d'unités: 9 de plus pour la rive nord; 183 pour le sud. Voilà pour la vision catastrophique ou le cauchemar dans la terminologie de la droite européenne.
Plusieurs facteurs expliquent, les mouvements migratoires: le premier est d'ordre économique: l'aggravation de l'écart entre revenu moyen par habitant entre pays économiquement développés et/ou d'immigration (France, Italie, Espagne) et les pays économiquement moins développés et/ou d'émigration (Algérie, Maroc, Turquie, Tunisie, Egypte). Ainsi le PNB par personne est globalement de 1 à 10. De plus, circonstance aggravation des processus écologiques peuvent également favoriser une croissance de la pression à l'émigration internationale.(A suivre)
(1). Bertrand Badie, «La Fin des territoires», Ed. Fayard, Paris, 1995.
(2). Michel Foucault, «Sécurité, territoire et population»,Collège de France 1977-1978, Ed, Julliard, Paris, 1989.
(3).: «Méditerranée : Le Nord contre le Sud?» Ed. L'Harmattan, 1990.
(4). Sophie Bessis, « L'Occident et les autres: Histoire d'une suprématie», La Découverte, 2001.


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