Le choix de ce village pour la rédaction de la «Déclaration» n'est pas du tout fortuit. Cette nuit du 26 au 27 octobre 1954, c'est dans ce petit village où apparaissait une lumière faible, qu'allait se décider l'avenir de l'Algérie contemporaine. Ce fut dans cette petite maison, située au milieu du village, à côté du café et de l'épicerie, que les chefs historiques, allaient rédiger un appel au peuple algérien. Après avoir été dactylographié et passé à la ronéo, le texte fondateur de la future République algérienne, allait sortir à une heure tardive de la fin octobre de la maison de Ali Zamoum pour être distribué partout en Algérie, de l'ouest à l'est et au nord. La Déclaration du 1er Novembre est partie d'Ighil Imoula, petit village de la région des Ouadhias pour atteindre les derniers recoins d'Algérie. En cette veille du 1er Novembre 2017, nous avons effectué une visite sur les lieux. L'ambiance commençait déjà à nous offrir des frissons dès l'entrée de la commune de Tizi N'tleta. Sur la route sinueuse grimpant au milieu des oliveraies jusqu'à Ighil Imoula, nous avions l'impression d'entendre les appels des maquisards et le bruit des armes, un peu en bas à Azaghar. Azaghar, c'est le lieu où les premiers moudjahidine ont prêté serment, sous la houlette de Krim Belkacem, de se battre jusqu'à l'Indépendance ou la mort. N'étant ni historiens ni universitaires, nous craignons de répéter ce que les premiers d'entre eux ont déjà dit de ce mythique village que l'on peut aisément qualifier de nombril de l'Algérie. Dans le souci d'apporter des éléments nouveaux à nos lecteurs, nous sommes sortis des sentiers battus pour redescendre en bas, au chef-lieu de la commune de Tizi N'tleta pour voir, avec du recul, cette nuit-là, où fut rédigée la Déclaration du 1er Novembre, mais à travers les yeux de la génération qui n'a pas vécu cet évènement historique ni les affres de la guerre qui a suivi. Mais avant toute discussion il nous a semblé nécessaire de s'interroger: pourquoi Krim Belkacem a justement choisi Ighil Imoula? Le choix de ce village pour la rédaction de la Déclaration n'est pas du tout fortuit. Krim Belkacem, qui était derrière ce document que lui-même avait remis à Ali Zamoum, de main en main, avait une confiance totale en ce moudjahid de la première heure. Il avait aussi confiance en les gens d'Ighil Imoula qui ont été parmi les premiers à s'investir dans le Mouvement national et en masse. Avant le déclenchement de la guerre d'indépendance, Ighil Imoula avait déjà donné de grands hommes à l'instar d'Asselah Hocine. Né en 1917 à Ighil Imoula, il rejoint la Casbah où il sera un grand chef révolutionnaire et militant jusqu'à sa mort en 1945. Krim, raconte un vieillard accosté à la place du village, avait une confiance totale en son ami Ali, mais aussi en tous les villageois d'Ighil Imoula. Preuve qu'il avait raison, la nuit du 27 octobre, les villageois ont tous pris part à la manoeuvre de diversion organisée à la boutique du village au-dessus de laquelle le journaliste Laïchaoui tapait la «Déclaration». Faisant semblant de participer au jeu pour une tombola, ces derniers étaient instruits de faire du bruit à même de camoufler celui de la ronéo. Bref, une nuit historique dont l'aube verra la naissance d'une jeune nation. La nuit d'Ighil Imoula dura sept longues années pour que la lumière du jour apparaisse enfin en 1962. Le choix de Krim comme l'expliqua Si Ouali Aït Ahmed, ancien secrétaire de PC d'Amirouche était aussi basé sur les caractéristiques géographiques d'Ighil Imoula. Par Azaghar, les maquisards pouvaient facilement s'extirper d'éventuels traquenards. A Ighil Imoula, beaucoup de maisons avaient aussi, en ces temps-là, de l'électricité. Ce qui a facilité le tirage de la «Déclaration» à plusieurs milliers d'exemplaires. Cette nuit-là vue par les jeunes de Tizi N Tleta Les jeunes du village Ighil Imoula partent très jeunes vers les plus grands centres urbains de la wilaya et les villes d'Algérie. Comme leurs grands-parents. De ce point de vue, rien n'a changé. Le mouvement est toujours le même. On retrouve d'ailleurs beaucoup d'entre eux au chef-lieu de leur commune Tizi N Tleta. Ce n'est pas loin; c'est à deux kilomètres en bas de chez eux. Accostés, tous sont fiers de leur village. «Ah oui, je suis très fier de mon village Ighil Imoula. Pour les mêmes raisons, je ferais encore la même chose», réplique un jeune du village. L'avis est partagé, mais la conception de l'indépendance diffère. «Oui, nos parents ont fait leur devoir héroïquement, mais les résultats ne sont pas trop visibles. Excusez-moi. Normalement, après tant de sacrifices, les jeunes d'aujourd'hui seraient dans de meilleures conditions. Voyez un peu la réalité. Nous sommes à la recherche d'un visa», affirme un autre jeune dans un café de Tizi N Tleta avec dépit. De fil en aiguille, la discussion s'anime surtout avec l'arrivée, autour de nous, de personnes âgées. «A Ighil Imoula, les villageois ont risqué leurs vies cette nuit-là. Ils ont pris le risque de voir leurs maisons bombardées par l'armée. Pourtant, ils ont veillé toute la nuit au café pour dissimuler le bruit de la ronéo avec laquelle on rédigeait la Déclaration du 1er Novembre» dit un homme à la cinquantaine. «Ighil Imoula a commencé la guerre avant le 1er Novembre. Les gens ici ont débuté l'action armée dans les années 40 avec Krim Belkacem», renchérit un autre. «Vous avez vu ce matin, notre village. Il n'y a rien du tout. Mis à part la maison, aménagée en mémorial, avez-vous quelque chose qui indique que ce village est développé économiquement. Rien! Ighil Imoula est un village pauvre d'une commune pauvre. Nous avons de l'électricité aujourd'hui, il y en avait à Ighil Imoula avant la guerre. Nous sommes abandonnés. Nos parents se sont sacrifiés et ont fait leur devoir comme beaucoup, mais il n'y a eu aucune suite», rétorque un autre jeune irrité par le discours des personnes âgées. Ighil Imoula, un grand musée vivant Le village Ighil Imoula est intimement et éternellement lié à la révolution algérienne. C'est de là qu'est parti le texte qui allait bouleverser le cours de l'histoire et de l'institution mondiale, l'ONU. La Déclaration du 1er Novembre, rédigée à la hâte à la lumière d'une bougie dans une petite maison, a été derrière les indépendances de tous les pays du tiers-monde. C'est une pièce de l'Histoire mondiale tout comme la ronéo qui a servi cette nuit-là. Elle a été ramenée de la maison de Abane. C'est une autre pièce de musée. La maison de Ali Zamoum et de son voisin qui ont accueilli les chefs révolutionnaires sont également des pièces d'un même musée. Ighil Imoula est aussi un musée en étant le lieu préféré du grand Kateb Yacine. L'écrivain et dramaturge algérien aimait tant passer des séjours prolongés chez son ami Ali Zamoun à Ighil Imoula. Il était devenu un membre à part entière d'Ighil Imoula. Non loin de là, en bas dans la vallée, Azaghar est un lieu d'une charge émotionnelle et historique inqualifiable. C'est dans ce lieu que les maquisards ont fait le serment de combattre jusqu'à la liberté ou la mort. Et ils ont tenu parole.