C'est dans les périodes pénibles que se forge l'esprit de lutte. C'est lorsque l'homme arrive au terme de ce qu'il peut supporter comme fardeau que tout commence pour lui, que tout devient alors possible. Le moudjahid Bekhtaoui Akli est de ces hommes dont la vie est marquée par la misère (comme tous les jeunes de sa génération) avant d'arriver à l'étape de s'arrimer à la Révolution: celle de Novembre 1954. Bekhtaoui Akli est né au temps du typhus, au début des années quarante. Une période, dit-il, où beaucoup ne survivaient pas non plus d'ailleurs à la coqueluche et même à la rougeole. Les fragments de souvenirs qui restent encore dans sa mémoire racontent des journées entières sans nourriture, des nuits froides sans vêtements. «Il n'y avait rien, nous étions soumis aux bons de ravitaillement!» se souvient-il en s'efforçant de cacher une forte émotion encore présente aujourd'hui. Son père, acquis aux idées indépendantistes depuis longtemps, connaissait tous les militants nationalistes de sa région. Comme ces derniers, il vivait, lui aussi, entre la colère et ce subtil dosage de contenir ses élans de révolte par peur de subir les conséquences prématurément, alors que l'horizon de la Révolution n'était pas encore très clair. Il fallait travailler en tâtonnant le terrain sans enfreindre les ordres qui venaient de la hiérarchie dont il était en contact permanent. C'est pour cette raison que le déclenchement de Novembre 54 ne fut une surprise ni pour Bekhtaoui Akli, le fils, ni pour le père, eux qui vivaient à proximité de la première structure armée de leur région, Makouda. Cette région, faut-il le rappeler, possédait déjà à la naissance du MTLD en 1946 plus de 600 militants. Cette structuration avait servi le jour J (le 1er novembre 54) non seulement la région proche, c'est-à-dire Tigzirt, mais également la région de Blida, sous le commandement d'Amar Ouamrane. À cette date, Bekhtaoui Akli n'avait que 13 ans mais on l'envoyait déjà chercher de la nourriture pour les moudjahidine. Il conduira à plusieurs reprises des convois pour ravitailler des maquis et des villages soumis à de fortes pressions. C'était ainsi qu'il fut nommé chef du nidham à Ibakoukène, son village. Il restera là, informant les moudjahidine de la moindre dissonance, de la moindre alerte dans le village tout en s'occupant également de mettre à leur disposition les ressources nécessaires à la survie des maquis. En 1960, Bekhtaoui Akli, activement recherché par l'armée coloniale suite à des dénonciations, prend définitivement le maquis. Il restera dans la forêt de Mizrana et dans d'autres lieux que les moudjahidine fréquentaient pour échapper aux ratissages et autres opérations de l'armée coloniale. Mais en 1961, lorsque les moudjahidine décidèrent de transférer le PC du secteur à Ibakoukène, c'était à lui qu'on fera appel. Les moudjahidine savaient que ce village également était un lieu sûr. On lui conféra alors la mission de choisir l'endroit et d'y travailler avec Mohamed Fellahi, dit Mtitouh et un certain Makhlouf de Michelet. Cet abri de fortune servira de PC jusqu'à l'indépendance. Mais, se rappela-t-il, «même si la bravoure n'a jamais manqué aux hommes avec qui j'ai travaillé ou que j'ai côtoyé dans le cadre de nos missions, rien ne serait fait sans la disponibilité des femmes, du moins pour celles de Tala-Bouzrou, lieu où j'ai beaucoup travaillé.»