À l'évidence, la dernière tripartite du 10 octobre 2013 a dégagé un consensus solide sur la nécessité de développer l'industrie pour en faire "le moteur d'une croissance forte" pour reprendre l'expression utilisée par le Premier ministre Abdelmalek Sellal. Ceci dit, malgré l'abondance des différents travaux institutionnels et universitaires qui ont été consacrés à ce sujet, il subsiste encore des incertitudes et même quelques divergences entre les partenaires sociaux quant au mode opératoire. Mais une des vertus du nouveau style imprimé aux travaux de la tripartite n'est-elle pas précisément de les identifier dans la sérénité et d'opérer les arbitrages à l'issue d'une concertation inclusive ? Illustration à travers un élément problématique sous fortes contraintes externes. Il s'agit du degré d'ouverture de l'économie algérienne et de notre capacité à le faire varier en fonction de nos intérêts. Pour l'UGTA, dont la position a été exprimée par son secrétaire général Abdelmadjid Sidi Saïd, la mise en œuvre de la politique de "substitution aux importations" nécessite non seulement des mesures de protection de la production nationale (crédit à la consommation aux seuls produits nationaux) mais aussi la limitation administrée des importations. Il propose tout simplement le retour aux licences d'importation. À l'inverse, Slim Othmani, président de Care, estime qu'il faut lever "le malentendu sur les importations" et qu'il faut s'éloigner de toute "tentation protectionniste". On voit bien qu'il y a là un vrai problème de mode opératoire rendu encore plus complexe par l'insertion de l'Algérie dans des zones régionales de libre-échange (Union européenne, Zone arabe de libre- échange) et par le processus de négociations pour adhérer à l'OMC. Ce type de problèmes se pose déjà pour la branche pharmaceutique qui a besoin de "dix ans encore" de protection pour prendre son essor, selon la lettre que m'a faite Abdelmadjid Kerrar, président du groupe Biopharm, suite à ma chronique du 11 septembre consacrée à cette activité. Il va même plus loin en précisant que "si les textes actuellement en vigueur devraient être levés, le secteur de production risque de disparaître". Alors, de quelle latitude disposons-nous réellement, en termes de barrières tarifaires et non tarifaires, pour protéger nos "industries naissantes" sans nous exposer aux effets des règles contraignantes de l'UE et plus tard à ceux des dispositions de l'OMC relatives aux "distorsions à la concurrence"? Sujet délicat que nos équipes de négociations pour l'adhésion à l'OMC devront au préalable examiner avec les associations professionnelles et les organisations patronales avant tout engagement en veillant à aménager de longues périodes transitoires. Deuxième élément problématique de ce mode opératoire : l'évaluation des politiques publiques industrielles. Dans un contexte macroéconomique stabilisé, mais caractérisé pour le moment par un croissance molle en dépit des niveaux élevés de dépense publique, les politiques industrielles publiques devront être périodiquement évaluées et le cas échéant révisées en fonction des résultats. Cela de sorte à éviter que de nouvelles rentes ne soient capturées à la faveur de l'exécution de ces politiques. Prenons l'exemple très simple de la filière avicole. Cette filière a bénéficié de l'exonération de la TVA sur les intrants, mesure reconduite d'ailleurs dans le projet de loi des finances pour 2014, sans que pour autant les prix du poulet aient été stabilisés. Cela veut dire simplement que cette exonération a été capturée quelque part le long de la filière au détriment du consommateur. Si des évaluations régulières ne sont pas faites avec des mécanismes appropriés, de tels exemples risqueraient de se multiplier. À ce propos, le prochain Pacte économique et social pour la croissance et l'emploi, devrait contenir des engagements des opérateurs publics ou privés, individuels ou sociaux, quant à l'utilisation adéquate des mesures et autres accompagnements consentis à travers le budget de l'Etat. Je conclurai par la mesure préjudicielle qui conditionnera le succès de ce mode opératoire une fois mis au point : la disponibilité et la qualité de la ressource humaine technique et managériale. Aucune intégration industrielle n'est possible sans ressources humaines qualifiées disponibles sur le marché du travail. Aucun transfert de technologie n'est possible sans des ressources humaines disposant d'une masse critique de connaissances pouvant en être le réceptacle. Enfin, il n'y aura chance de succès si nous ne disposons pas de cohortes de managers publics et privés, sécurisés, performants et insérés dans le "global business". La bonne nouvelle est que quelques secteurs, à l'instar de celui de la pharmacie, du ciment, de la sidérurgie, de l'agroalimentaire et de la mécanique par exemple, ont commencé l'exercice sans attendre la définition du mode d'emploi. C'est ce qu'on appelle le pragmatisme. Quant aux autres secteurs, ils devraient suivre, une fois le mode opératoire précisé. En tout cas, il n'y a pas de raison qu'ils ne le fassent pas sauf si les lobbies internes et externes de l'importation parviennent à faire changer le rapport de forces. Nom Adresse email