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Une nuit en gilet pare-balles à “Calytouss”
Sortie avec une BMPJ de la daïra de Baraki
Publié dans Liberté le 22 - 08 - 2004

Chaque nuit, les éléments de la Bmpj sillonnent les cités et les haouchs des Eucalyptus et de Cherarba, jadis classés “quartiers chauds”. Versés dans la lutte antiterroriste, leur champ opérationnel est aujourd'hui étendu à la grande criminalité et à la délinquance organisée. Journal d'une patrouille dans l'un des anciens fiefs du “Barakistan”.
Nuit du 8 au 9 août, 21h10. Le thorax comprimé par un gilet pare-balles d'au moins cinq kilos — il peut atteindre jusqu'à 14 kilos —, le commissaire N., 42 ans, et l'adjudant-chef S., 40 ans, respectivement chef de la Bmpj des Eucalyptus et chef des groupes opérationnels au sein de la même brigade, nous invitent à monter dans leur Toyota. Au total, trois 4x4 vont s'ébranler pour une patrouille nocturne. Porte arrière ouverte, un élément pointe sa kalachnikov vers l'extérieur.
“Même si le calme est revenu, il s'agit pour nous de rassurer les gens que l'Etat veille sur eux. Dans certains quartiers, nous sommes les seuls à patrouiller”, explique le chef de la Bmpj. On l'aura compris : il s'agit avant tout d'exprimer une présence. D'imprimer un état d'esprit. L'impact psychologique est le premier effet recherché par ce déploiement quotidien des forces de sécurité.
Rien qu'à les prononcer, les noms des Eucalyptus (ou “Calytouss” selon la prononciation populaire), Cherarba, Baraki, Sidi Moussa, Larbaâ, Bentalha et autres agglomérations font ressurgir des souvenirs amers. Aujourd'hui encore, dès que vous évoquez les noms de ces localités dans quelque quartier cossu d'Alger, la question fuse d'emblée : “Ça s'est calmé un peu ?” À croire que le terrorisme continue à sévir là-bas. Et le constat est à l'optimisme. Oui, “là-bas”, la paix civile est revenue.
La commune des Eucalyptus se trouve à 17 kilomètres au sud d'Alger et relève de la daïra de Baraki (ou le “Barakistan”, pour reprendre la formule loufoque d'un habitant du coin). Forte de 128 000 habitants, elle présente un territoire sensible en termes de sécurité. Au plus fort du terrorisme, elle faisait partie du “Triangle de la mort” (Sidi Moussa-Larbaâ-Baraki).
Dans le dédale de Cherarba
Les trois Toyota roulent au pas, à 20 ou 25 mètres l'une de l'autre. Nous prenons la RN8. Direction : Cherarba. Une ville dans la ville. Un inextricable dédale tortueux, avec des pâtés de maisons qui poussent dans tous les sens et se perdent dans un chassé-croisé de ruelles infinies. La structure de ce bourg en avait fait une zone de repli idoine pour les terroristes, comme c'est le cas à Sidi M'barek, une des grandes artères de l'agglomération. “Une fois que tu entres ici, il est difficile de te retrouver. Qui plus est, on est loin des routes nationales. Si un terroriste entre dans l'une de ces ruelles, va le retrouver !” lance l'adjudant-chef S. Détail frappant : où que se porte notre regard, des maisons en construction, la plupart sans crépi, arborant de la brique rouge à la façade et des piquets métalliques aux terrasses, signe qu'elles sont toujours inachevées. “Il y a eu un exode massif au milieu des années 1990. Des centaines de familles ont abandonné leur maison. Certains ont bradé des villas pour rien. Aujourd'hui, elles sont toutes revenues.” La plupart des îlots affichent un niveau d'urbanisation primaire : pas de trottoirs, pas de revêtement, pas d'éclairage public, des monticules de terre se succédant à la lisière des routes doublés, par endroits, de masses de détritus. Ceci dit, la vie bouillonne, les gens bougent, les familles sortent, les mômes jouent au foot ou dans les nombreuses salles de jeu jusqu'à des heures indues. Les taxiphones, les boutiques, les cafés, tout respire la vie. Une belle métamorphose pour qui n'a pas mis les pieds ici depuis cinq ou six ans.
Mais, c'est surtout aux abords des mosquées que l'agglomération est la plus animée. Une extraordinaire ruche d'abeilles. “Il y a pas moins de 8 mosquées à Cherarba”, souligne l'un de nos accompagnateurs. Barbes et qamis partout. Cherarba reste un important fief islamiste. Parmi tous ces dévots, on l'aura deviné, il y a nombre de repentis. “Les islamistes ne vous donnent-ils pas du fil à retordre ? " interrogeons-nous à la cantonade. “Au contraire, ils nous aident beaucoup. C'est quand on ne les voit pas qu'on s'inquiète, on se dit qu'il y a peut-être quelque chose qui se prépare”.
“On nous appelait les Ninjas”
Au passage de la patrouille, le chef de la Bmpj lance des sourires à droite et à gauche. “Kech brouda ?” lance-t-il à des jeunes “hitistes” qui, en d'autres temps, décochaient des regards pleins de haine vers tout ce qui sentait l'uniforme et “l'houkouma” en scandant “âlayha nahya, oua âlayha namout…”. “Les temps ont bien changé. Avant, on nous traitait de "taghout". Aujourd'hui, on nous apporte l'eau et le café”, souligne le commissaire N.
21 h 50. Devant la mosquée Khaled-Ibn-Al-Walid, située sur une grande artère appelée “Canada”, les fidèles venaient de finir la prière de l'Îcha. Un grand chantier apparaît près de la mosquée. Un projet d'agrandissement du lieu de culte. Comme les maisons, les mosquées sont éternellement en chantier. Toute la ville est un énorme chantier à ciel ouvert, eût-on dit. Des “salama alikoum” fusent de partout. Des regards acérés aussi. Des sourires entendus. Des yeux baissés. Une certaine tension passagère. “Avant, quand une Nissan de la police passait, les gens détalaient ou lâchaient des jurons. Pour eux, c'étaient le PCO, les Ninjas, les forces du régime, de la répression. Aujourd'hui, on est tout de même contents de nous voir”, confie le chef de la Bmpj.
Nous continuons notre tournée entre le brouhaha des cités populaires et le grésillement des talkies-walkies. Des grappes de badauds devisent jusque tard dans la soirée. La vie bourdonne. C'est normal, c'est l'été. Çà et là, des vidéothèques. “Avant, c'était haram. Aujourd'hui, on tolère”, commente le commissaire. Autres temps, autres mœurs. Fait lourd de sens : aucun graffiti sur les murs. Jadis, le FIS, l'AIS, le MIA, le GIA et autres sigles hostiles étaient sur tous les supports. Ont-ils été dévorés par la concorde civile, eux aussi ?
À un moment donné, nous contournons Cherarba et la longeons de l'extérieur, par la RN61. Des vergers d'agrumes apparaissent tout au long d'une route entièrement plongée dans les ténèbres. Pas un seul lampadaire sur plusieurs kilomètres. “Là, nous sommes à la limite de la wilaya de Blida. Très peu de patrouilles passent par ici. Les territoires limitrophes entre deux wilayas posent toujours un problème de compétence juridictionnelle. Aussi sont-ils souvent délaissés. Et c'est là le hic, car les terroristes le savent et exploitent ces zones pour passer d'un territoire à un autre. Nous, notre souci, c'est qu'ils n'exploitent pas ces failles dans le dispositif pour pénétrer à Alger. Si un attentat est perpétré dans la capitale, c'est que ses abords n'auront pas été convenablement quadrillés”, explique notre officier. Le chef de la Bmpj ajoute que ses éléments tendent régulièrement des embuscades dans les vergers alentour.
Un peu de lumière pour les “haouchs”
22 h passées. Après avoir longé une série de fermes, la patrouille bifurque par une route qui mène vers Sidi Moussa, entièrement plongée dans le noir. Puis, les Toyota s'engagent dans une piste en rase campagne. Les Toyota progressent à vitesse réduite en direction d'un autre haouch qui se trouve au fond de la piste cahoteuse. Là, nous sommes totalement encerclés par les ténèbres de la nuit et le port du gilet pare-balles se justifie tout à fait. Le silence est total. Soudain, des voix. Un ronronnement de moteur. L'adjudant au volant de la Bmpj sort un projo — que dans le jargon on appelle le “dragon” — et le braque sur les bois. Ce n'est qu'un engin agricole. Plus loin, un bruit d'une pompe à eau parvient d'un champ agricole. Arrivés au haouch, dit Haouch Slimani, nous trouvons un vieux en train de profiter de la brise. Le chef de la Bmpj le salue. “Maintenant, il pourra dormir tranquillement. Ce haouch avait été complètement déserté par ses habitants. Aujourd'hui, ils sont revenus, ils ont repris leurs terres et leurs maisons. Ils doivent être définitivement rassurés que la sécurité est rétablie, que l'Etat est là, qu'il les protège”, explique le commissaire N., avant d'ajouter : “Quand nous passons, le bruit court que la Bmpj est dans le coin. Les terroristes quand ils agissent opèrent généralement à partir de minuit. Quand ils sauront que les forces de sécurité sont déployées dans la région, ils seront dissuadés d'agir.”
23 h 40. La patrouille se poursuit en s'engouffrant dans des ruelles bordées de magnifiques résidences dignes des quartiers résidentiels les plus huppés d'Alger, des villas-bâtiments s'élevant sur plusieurs étages et étendues sur plusieurs hectares. De véritables châteaux, en somme. Le quartier s'appelle Château-Rouge. Puis, tranchant radicalement avec le chic de ces villas, nous traversons un peu plus loin le marché de gros des Eucalyptus, une zone obscure entièrement plongée dans la misère. C'est haouch Ben H'mida. Le ghetto semble avoir été érigé au milieu de la décharge de Oued Smar, dont les violentes odeurs nauséabondes parvenaient de l'autre côté d'une clôture de fer séparant le bidonville de l'autoroute de Ben Aknoun. Le ghetto est constitué de baraques en tôle, en zinc et autres matières de récupération. Des déchets de toutes sortes sont étalés un peu partout, parmi lesquels des jeunes végètent en escrimant avec l'ennui tandis que des chiens errants pleurent de leurs aboiements stridents à notre passage. “Tous ces miséreux sont venus de l'intérieur du pays. Ils sont ici depuis seulement quelques années et vivent tous de la décharge de Oued Smar. Ils passent leur temps à ramasser plastique, caoutchouc, papier et autres lits métalliques usagés et à les fourguer à des grossistes des produits recyclables”, dit le commissaire N.
“Ratissage” dans les cités
Il est un peu plus de 3 h du matin. Toute la ville dort. Dans une cité, un gardien de parking — une source en or pour les flics, tout comme les vendeurs de cigarettes et les petits dealers —, s'approche de nos policiers pour signaler deux rôdeurs qui lui ont paru suspects. Sinon, RAS. Au détour de l'une de ces cités, la patrouille tique à la vue d'une vieille Mazda occupée par trois jeunes garçons qui ne devaient pas avoir plus de 20 ans. La Mazda venait de prendre place dans le parking de la cité des 300-Logements.
L'adjudant S. muni de son éternelle torche demande les papiers du conducteur. Nos policiers mettent ainsi la main sur un jeune au volant d'une voiture qui n'était pas la sienne. Les deux jeunes qui l'accompagnaient étaient ses cousins. Ils sont les gardiens dudit parking. Le propriétaire du véhicule les autorisait à y passer la nuit, mais pas à circuler avec, encore moins à le confier à un étranger dont le récépissé montrait qu'il venait à peine d'avoir son permis.
Le jeune au volant, prénommé Saïd, était venu d'Annaba où il habitait. Il avait réussi à mettre le moteur de la Mazda en marche sans clé de contact.
Acculé par les policiers qui font preuve de beaucoup de psychologie, il finit par révéler son astuce : devant nous, il remet le véhicule en marche après avoir sorti de dessous le siège, une petite languette métallique (appelée une “richa”) et qu'il a introduite dans la fente du démarreur.
Ce petit détail autorisera nos policiers à le soupçonner d'être “moula sanâa”, un “homme de métier”. Il est embarqué au commissariat le plus proche où plusieurs policiers vont l'interroger en notre présence dans la salle d'attente. “Le propriétaire du véhicule est tout à fait fondé à déposer une plainte. Ces jeunes ont circulé avec la voiture sans son assentiment. Cela s'assimile à du vol d'essence et c'est un délit puni par la loi”, fait-on remarquer.
Mais au-delà de ce fait, délictueux en lui-même, ils voulaient surtout savoir si le jeune Annabi n'était pas un voleur de voitures en puissance, avec ou sans la complicité de ses cousins. Saïd nie tout.
Les policiers étaient persuadés du contraire et étaient convaincus qu'il était “m'harbache”, c'est-à-dire drogué. C'était l'unique “prise” de cette nuit.
4 h du matin. À l'appel du muezzin, les gens commencent à sortir. La vie commence déjà à frémir, le boucan des camions qui doivent acheminer toutes sortes de marchandises, les fidèles qui pressent le pas pour remplir les mosquées, les cafés populaires qui ouvrent en se dépêchant d'aller chercher des croissants tout chauds.
“Les heures les plus sensibles, c'est entre 2 et 4 h du matin. C'est là qu'opèrent les agresseurs de la nuit. Il y a toujours du monde avant et après”, explique le commissaire N.
Nos amis nous payent un dernier café, un “crème” bien chaud, trempé dans la chaleur d'une nouvelle amitié.
Cette nuit pleine de sensations était nouvelle pour nous, mais pour eux tellement routinière. Routinière, oui, mais chaque soir porteuse de frémissements insoupçonnés.
Le journaliste eut sans douté souhaité y goûter à du spectaculaire, mais pas le policier. Chaque nuit “banale” est une nuit de gagnée. Une nuit tranquille pour une conscience tranquille, et qui doit certainement son salut à des hommes comme eux.
Comme Nacer et Sebti. Ils ont l'Algérie à fleur de peau, ce qui fera dire à Sebti, dans un impérieux cri du cœur : “Même si je n'étais pas payé, je continuerais à faire ce boulot !”
M. B.


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