Plus de 1 000 habitations et près de 500 magasins de vente au détail ont été incendiés dans les émeutes qui ont secoué la wilaya de Ghardaïa, ces onze derniers mois. Le commerce de proximité et les marchés, poumon économique et social de la vallée du M'zab, pâtissent gravement des contrecoups de la crise, qui a mis également à l'arrêt les projets d'utilité publique et les investissements privés. Dans l'après-midi du 2 novembre, le vieux marché du ksar de Béni Isguen est tristement vide de ses vendeurs à la criée et de ses clients. Les échoppes sont fermées, la place est déserte. Le cœur de Béni Isguen a cessé de battre, terrassé par les violences intercommunautaires. L'affluence, de plus en plus faible des clients et des badauds au fur et à mesure que la crise s'enlise, a eu raison des dernières pulsions de l'une des attractions touristiques de la vallée du M'zab et d'une indéniable source de revenus pour les artisans du ksar. Ce n'est pas là l'unique dommage collatéral de ce qu'on appelle communément les événements de Ghardaïa. Le commerce de proximité a subi un coup de tonnerre, qui l'a désintégré sérieusement. Les jeunes, des deux camps, ont déversé leur colère sur les locaux et les habitations, qu'ils ont incendiés. Dans certains quartiers, l'intérieur et les façades des magasins en gardent encore des traces. Dans d'autres, des portails en fer peints en marron, placés par les autorités locales, cachent les séquelles des émeutes, mais restent hermétiquement fermés. Daoud Boussenane, jeune commerçant mozabite, a perdu, tour à tour dans les échauffourées de décembre 2013 et mars 2014, deux magasins de prêt-à-porter féminin, l'un au quartier Thénia-El-Mekhzen et l'autre au chef-lieu de wilaya. Il rapporte que 53 commerçants ont quitté Ghardaïa et ont investi à Oran et Djelfa. Condamné à pratiquer le seul métier dont il maîtrise les ficelles et les rouages, il a consenti à renouveler l'expérience dans un endroit qu'il pense plus sécurisé. "J'ai ouvert un troisième magasin en face du siège de la wilaya pour un investissement de 190 millions de centimes", témoigne notre interlocuteur. "J'ai perdu 1,8 milliard de centimes dans les deux magasins incendiés. On m'a donné 140 millions de centimes. C'est une catastrophe. Les aides de l'Etat sont dérisoires et disproportionnées", ajoute-t-il. "L'Etat n'a pas qualité d'indemniser les citoyens sinistrés. Il a accordé des aides pour alléger les pertes. La wilaya a reçu une enveloppe spécifique pour accorder des aides plafonnées à 1,2 million de dinars", rectifie Abdelhakim Chater, wali de Ghardaïa. "Les gens se sentent lésés, il faut comprendre que ce ne sont que des aides. Les indemnisations sont du ressort des caisses d'assurance", complète son chef de cabinet. L'administration centrale accuse, par ailleurs, certains commerçants sinistrés d'avoir évacué la marchandise avant que les locaux ne soient ciblés par les émeutiers. Daoud Boussenane y apporte une catégorique contradiction. "Ce n'est pas vrai. Il n'était pas possible d'anticiper sur les événements et de sauver quoi que ce soit. Puis, personnellement, je voulais assurer mon commerce contre les émeutes. Les assurances m'ont dit impossible. Pour sécuriser mon local, j'ai placé un portail et une alarme qui m'ont coûté 26 millions de centimes", affirme-t-il. Quoi qu'il en soit, 452 commerçants ont bénéficié d'une compensation financière variant entre 200 000 et 700 000 DA selon une évaluation approximative des dégâts. Le montant global de l'enveloppe est estimé à presque 23 milliards de centimes. 1 090 décisions ont été établies au titre d'aide aux familles dont les habitations ont subi des dommages matériels. Près de 67 milliards de centimes ont été consommés jusqu'alors par cette opération, à raison de 300 000 à un million de dinars par sinistre, parfois davantage si le bien est complètement détruit. "Ceux qui n'ont pas reçu cette aide n'ont pas justifié de l'activité par un registre du commerce ou d'un acte de propriété du bien immobilier", précise le chef de cabinet du wali de Ghardaïa. Et d'ajouter : "Jusqu'à présent, nous n'avons pas de dossier en instance, mais les commissions de daïra poursuivent leur travail et établissent des décisions d'aide au besoin." Au-delà, l'impact de la violence intercommunautaire au plan strictement économique est plus large. Les projets d'investissement et d'utilité publique sont à l'arrêt, depuis bientôt une année. "En tant qu'industriels, nous résistons pour l'intérêt de la ville. Mais ce sera difficile de continuer longtemps comme ça", regrette Abdelaziz Bamezlal, un industriel natif de la vallée. Pourtant, le wali de Ghardaïa se montre plutôt confiant. "Nous n'avons pas de grands déficits. Globalement, les clignotants sont au vert", rassure-t-il. S. H.