Comme pour célébrer le côté festif du mois sacré, le Congrès maghrébin au Québec, un organisme de la diaspora nord-africaine, a organisé, mardi dernier, un iftar avec des représentants communautaires, en présence de la ministre québécoise de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion, Kathleen Weil. Les organisateurs voulaient donner une image de paix de l'islam, à mille lieues du wahhabisme et autre salafisme, sources de la bigoterie ambiante. Son chariot est plein à craquer, mais il ne veut visiblement pas quitter les étagères de la boucherie du supermarché. Il prend son temps pour détailler avec ses yeux ronds les quartiers de viande encore exposés. "Il achète avec les yeux", comme dirait l'autre. Deux têtes de mouton, cinq livres de viande hachée, des tablettes de veau, un gigot d'agneau gros comme ça, des tranches de foie, le tout mis pêle-mêle avec des fruits et légumes et autres laitages, débordant du chariot poussé avec la dernière énergie. Kamel ne fuit pas la tradition algérienne qui veut que durant le mois sacré du Ramadhan, on débourse sans compter. C'est un mois synonyme de surconsommation et, au Canada, le marketing commercial incite justement, avec un rare matraquage, à surconsommer l'année durant. À ce propos, les circulaires, des publicités distribuées à domicile gratuitement, sont un appât idéal pour pousser les citoyens à acheter plus. Ces feuilles de choux qui annoncent souvent des rabais sur les produits sont épluchées comme des romans de gare par les ménages. "Je n'ai rien changé à mes habitudes algéroises", se vante Kamel pour qui les courses se trouvant dans le chariot lui ont coûté quelque 300 dollars. "Vous voyez, c'est l'équivalent de deux ou trois jours de consommation. La vie est chère, mais durant le mois sacré, on dépense sans compter", avoue notre interlocuteur. Kamel n'est pas le seul à être gagné par la frénésie de la fièvre "acheteuse", le mois de carême venu. Son collègue est un amateur de piment fort. Dans son panier, le piment jaune côtoie des sacs de couscous et des tablettes de viande avec os. "C'est mon plat préféré avec chorba frik", dit-il. Visiblement, la communauté algérienne a tendance à délier la bourse les yeux fermés pour se faire plaisir durant ce mois sacré. Les produits algériens, et maghrébins en général, sont particulièrement prisés. Des familles ne peuvent pas se passer, par exemple, de l'incontournable soda Hamoud Boualem et des dattes Deglet Nour, ainsi que des gâteaux sucrés de circonstance, comme kalb el-louz et la zlabia. C'est ainsi que des files d'attente se constituent dans les boucheries halal et les boulangeries algériennes. L'affluence ne baisse pas, surtout en début soirée. L'adhan est prévu autour de 20h45. C'est dire que les journées sont longues comme pas possible. Faire les courses peut sembler donc comme un moyen de tuer le temps. La fièvre acheteuse, comme au bled Ammi Omar a trouvé le bon filon. Depuis quelques années, ce retraité de Tizi Ouzou vient passer le carême à Montréal. Ayant longtemps été fabriquant de zlabia en Kabylie où il louait des garages durant le Ramadhan, il a décidé d'exporter son savoir-faire, et lui avec, l'espace d'un mois. Dans une pizzeria sur la rue Jean-Talon où les commerces algériens sont concentrés, Ammi Omar a transformé le local en une petite fabrique de zlabia. À 14 dollars le kilogramme, les clients ne manquent pas. La marchandise est épuisée en deux temps trois mouvements. Même des commerçants viennent s'approvisionner chez lui. C'est que son label est réputé, à l'image de la zlabia de Boufarik, un produit qui a pignon sur rue, y compris outre-Atlantique. "Les bâtons de zlabia de Ammi Omar, on peut même les recommander à un diabétique", ironise un client croisé sur place. Mais le mois de Ramadhan n'est pas seulement synonyme de bonne table ; comme il arrive cette année encore en période estivale, le carême est aussi prétexte à quelque farniente dans une métropole connue pour ses loisirs et sa vie nocturne trépidante. Des familles profitent du beau temps pour se reposer dans des parcs publics, où des enfants peuvent jouer à leur guise en toute sécurité. Montréal est connue pour ses nombreux parcs ; on en trouve à chaque coin de rue. Dans un quartier de l'arrondissement de Rosemont à Montréal, des mauvaises langues ont baptisé un jardin "Parc halal", du fait que ce sont essentiellement des familles de la communauté algérienne qui le fréquentent. Dans le même coin, il y a des cafés de la communauté qui sont restés ouverts durant ce mois sacré, même si la plupart des cafés et restaurants ferment la journée. Ici, il y a des non-jeûneurs qui s'assument. Ils fréquentent les cafés ou restaurants ouverts la journée sans complexe. Ici, il n'y a aucune inquisition, qu'elle soit étatique ou salafiste. La tolérance trouve tout son sens pratique. Pourtant, il y a des groupuscules qui essayent de s'organiser pour dénoncer "iwekkalen n Ramdhan". Durant le mois de Ramadhan de l'année dernière, l'on se rappelle d'un groupe de jeunes islamistes, des ados en tenue salafiste, si l'on peut dire, qui organisaient des halaqate dans un parc à proximité d'un café resté ouvert la journée. Leur tentative d'intimidation avait lamentablement échoué, puisqu'ils avaient disparu au bout de la troisième rencontre. Cette année, c'est sur les réseaux sociaux qu'ils se manifestent à coups de selfies lors des tarawih, des séances de récitation collective du Coran. Tarawih sur facebook Durant le mois de Ramadhan, les mosquées et autres salles de prière enregistrent une grande affluence, notamment à l'heure des tarawih. Même des jeunes filles, d'ordinaire branchées avec leurs tenues tendance, délaissent leurs jeans et Reebok pour le voile de circonstance afin de fréquenter la mosquée, après la rupture du jeûne. C'est qu'il y a des compatriotes qui ne fréquentent la mosquée que durant le Ramadhan, et ce, depuis les temps anciens. Cette tradition est observée notamment dans les villages de Kabylie. Après la rupture du jeûne, les quartiers musulmans fourmillent de monde. Comme pour célébrer le côté festif du mois sacré, le Congrès maghrébin au Québec, un organisme de la diaspora nord-africaine, a organisé mardi dernier un iftar avec des représentants communautaires, en présence de la ministre québécoise de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion, Kathleen Weil. Les organisateurs voulaient donner une image de paix de l'islam, à mille lieues du wahhabisme et autre salafisme, sources de la bigoterie ambiante. Connue pour être la capitale des festivals, Montréal vit à 100 à l'heure, notamment les week-ends. Des activités sont organisées dans un brassage culturel qui met en évidence les cultures du monde. Plusieurs Algériens, ou d'origine algérienne, sont programmés à Montréal. Le groupe emblématique Zebda a l'honneur d'ouvrir le festival Nuits d'Afrique le 7 juillet, alors que le groupe Berbanya se produira le 18 juillet dans le cadre du même festival. Pour sa part, Hakim Kaci sera en solo au Balattou, le 28 juillet. Outre les spectacles, les virées dans les cafés ont un certain charme du bled. Les cafés sont, en effet, bondés de monde, après la rupture du jeûne. Attablés ou debout sur les terrasses, les clients, qui donnent l'impression d'avoir repris des couleurs après le ftour, sirotent un café bien serré ou un thé à la menthe. Par groupe, ils discutent de tout et de rien. Tous les sujets y passent : de la crise économique en Grèce à la guerre en Syrie, en passant par la Copa America et les faits divers du bled. Même s'ils prennent parfois des allures byzantines, les palabres s'allongent dans la soirée, pendant que les amateurs de dominos s'efforcent de fermer le jeu, en provoquant une impasse qui aura raison du double six, dont l'un des bourreaux s'appelle justement Kamel, l'homme au chariot de tout à l'heure. Ce dernier s'empresse de rentrer, maintenant que l'heure du shour approche à grandes enjambées. Demain sera un autre jour. "Un autre jour similaire, avec la même ambaince", corrige notre interlocuteur. Y. A.