Les méthodes des entreprises poursuivies dans l'affaire Sonatrach I révèlent des collusions d'intérêts entre certains fournisseurs et des comportements prédateurs à l'encontre de la compagnie nationale. Mais si collusion rime souvent avec corruption, les enquêteurs algériens se sont limités aux seules malversations constatées dans la passation des marchés. Le procès de l'affaire Sonatrach I se poursuit devant le tribunal criminel d'Alger. La journée d'hier a été consacrée à ce qui reste de la lecture de l'ordonnance de renvoi. Le juge Mohamed Regad commence aujourd'hui l'audition des accusés. Les auditions seront ainsi organisées en fonction des marchés passés entre Sonatrach et les entreprises poursuivies, a-t-il précisé. Et les accusés seront déférés chacun pour le marché dans lequel il est impliqué. Il s'agit des marchés d'équipements des structures opérationnelles de Sonatrach en système de télésurveillance attribués aux Allemands de Contel Funkwerk Plettac, l'installation de pipelines pour la réalisation de la partie terrestre du projet gazoduc Galsi accordé aux Italiens de Saipem Contracting, filiale de génie civil du géant ENI, ainsi que le projet de réfection du siège annexe de Sonatrach sis rue Ahmed-Ghermoul à Alger, dont la conception a été confiée au bureau d'études CAD. Selon l'ordonnance de renvoi dont la lecture s'est poursuivie hier, l'ancien P-DG de Sonatrach, Mohamed Meziane, devra répondre aux questions pour trois marchés et son fils pour deux. Ceux liés à la télésurveillance et la partie terrestre du gazoduc Galsi devant relier Hassi-R'mel à la Sardaigne en Italie, parce qu'il détenait des parts dans la société qui a équipé les structures opérationnelles en système de télésurveillance tout en occupant le poste de conseiller technique chez Saipem Contracting qui a décroché le marché GK3 (Hassi-R'mel à El-Kala dans la wilaya d'El-Tarf, sur 784 km) pour le montant de 686 millions de dollars américains (USD) avant qu'elle ne consente, au bout des négociations, à ramener le prix à 586 millions, soit 15% de moins. Sachant que les dirigeants de Sonatrach voulaient obtenir 40% de moins en engageant les négociations. En effet, les enquêteurs du DRS et le magistrat instructeur ont conclu que Mohamed Meziane abusait de sa fonction pour s'attribuer d'indus cadeaux. Son relais dans ce système de corruption était sa famille justement. L'entreprise Contel Funkwerk Plettac a été introduite auprès de Sonatrach par le biais de son fils Mohamed-Réda qui a organisé un rendez-vous à ses dirigeants avec le staff de la compagnie nationale en 2004 avant d'acquérir des parts dans la filiale algérienne de cette société à savoir, Contel Algérie, en 2005 après qu'elle a décroché un premier contrat pour 1,97 milliard de dinars (environ 25 millions USD). Contel obtiendra par la suite des marchés avoisinant globalement les 11 milliards de dinars (137 millions USD). On le trouve également comme conseiller technique, mensualisé de Saipem pour un salaire de 140 000 DA/mois laquelle entreprise aura surfacturé ses prestations dans le cadre d'un appel d'offres à deux prestataires de services. Et ce, au détriment de Sonatrach en dépit des tentatives de ses dirigeants de renégocier les prix à la baisse. C'est que Saipem a soumissionné en imposant des prix 118% supérieurs aux prix du marché face au seul concurrent français, Spiecapag, lequel a proposé des prix beaucoup plus élevés dans ce qui s'apparentait à une offre de couverture. C'est-à-dire, une offre plus élevée que Saipem qui était censée remporter le marché. Avant que cette même entreprise Spiecapag se trouve sous-traitant de Saipem pour le même projet et presque au même prix négocié. De tels comportements prédateurs, on les perçoit dans la passation des marchés de la télésurveillance où le retrait de l'autre allemand, Siemens, de la compétition pour laisser Contel qui proposait des prix 40% supérieurs aux prix du marché, seul face à des concurrents de moindre envergure préside plutôt à des accords secrets de partage de marché. Dans ce contexte où les tâches rémunérées qu'offre Sonatrach pour les entreprises internationales, on s'appuie sur des relais locaux pour décrocher des marchés. Et c'est ce qui a retenu l'attention des enquêteurs du DRS avant que les informations collectées n'enclenchent une procédure judiciaire. Quant au projet de réfection du siège annexe de Ghermoul, il impliquera Nouria Meliani, architecte proche du directeur de cabinet de Mohamed Meziane, à savoir Réda Hemche, qu'on présente comme l'homme de main de l'ancien ministre de l'Energie Chakib Khelil. Ce contrat signé pour une prestation de 45 millions de dinars (près de 600 000 USD), le moins onéreux des trois marchés objet de la procédure judiciaire, révélera au moins que la décision ne dépend pas uniquement de l'âme et conscience de son premier responsable. Les auditions des accusés devront déterminer le degré d'implication de chacun, en tout cas d'affirmer ou d'infirmer les conclusions des enquêteurs du DRS et celles du magistrat instructeur. Mais aussi, si les biens des accusés recensés dans le cadre de cette procédure judiciaire, sont bien ou mal acquis. Car les commissions rogatoires envoyées à l'étranger pour pister l'argent de Mohamed Meziane et sa famille, par exemple, ont recensé, entre autres, un appartement à Neuilly-sur-Seine, au nom de sa regrettée femme, qui a été payé par un virement de Contel que son fils Mohamed-Réda prétend être un prêt contracté en son nom auprès de ladite société allemande. Il convient en tout cas de rappeler que les inculpés au nombre de dix-neuf dont quatre entreprises devront répondre des chefs d'inculpation suivants : constitution d'association de malfaiteurs, corruption, blanchiment d'argent, conflit d'intérêts, abus de fonction, dilapidation et complicité dans la dilapidation de deniers publics. L.H.