Décédé le 12 janvier dernier, ce comédien de génie a souffert de son vivant d'une ingratitude imparable des pouvoirs publics et de l'autorité culturelle du pays. À peine allait-il fêter ses 79 ans qu'Arezki Rabah, de son nom artistique Abou Djamal, une figure particulièrement attachante de la culture algérienne, a quitté, il y a un mois, sur la pointe des pieds, son univers qu'il a peint avec tant de talent, ainsi que ses nombreux amis qui ont vécu des moments d'enthousiasme et de générosité avec lui. Il a tiré sa révérence durant la nuit du 12 janvier dernier à l'hôpital de Zéralda (Alger), alors qu'il aurait détesté les homélies et les visages d'enterrement. Lui qui avait lutté contre sa maladie et sa solitude des années durant était un artiste pétri de vocables et de palindromes, un héritier de Mahieddine Bachtarzi, Mohamed Touri, Rouiched... Son humour, parfois proche du gag ou de la gauloiserie, a pu être pris à tort pour de la légèreté. Travailleur acharné, il aimait se donner des airs de faux connaisseur. Pessimiste joyeux, il était de la famille des lucides qui ne s'en laissent pas conter. L'artiste qui endurait une lassante solitude depuis bien des années, avec une maladie chronique et un pied amputé, souffre d'une ingratitude imparable des pouvoirs publics et de l'autorité culturelle du pays qu'il supporte avec une incommensurable amertume. Lors de l'hommage qui lui avait été rendu par l'association Thalwith à Aït Abdelmoumen en 2012, à l'occasion de Yennayer, Abou Djamal n'avait pas omis de lancer un appel à toutes les autorités culturelles et au mouvement associatif qu'il interpellait pour entreprendre et pérenniser pareille initiative afin d'honorer les artistes algériens, ceux qui ont voué leur vie à l'art et à la culture, car "ceux-ci sont deux éléments essentiels dans l'évolution et le développement de la société". Alors qu'il n'avait que 10 ans, l'artiste tenait déjà au tube de sa carrière. Natif de la Casbah en date du 14 mars 1938, de parents originaires d'Aït Abdelmoumen, près des Ouadhias, à Tizi Ouzou. Il est, en effet, monté sur les planches dès l'âge de 10 ans quand il rejoint la troupe de Keltoum, auprès de Rouiched, Nouria, Fadhila Dziria, Latifa... Deux ans plus tard, soit en 1950, il obtient des rôles avec Mohamed Touri, et joue dans les sketchs de Rouiched Quelle Toupie. En 1952, Arezki Rabah rejoint la troupe Fernandez, et à partir de 1953 il intègre la troupe communale alors dirigée par Bachtarzi. Il fait ensuite de la radio et de la télévision dès 1956, avant de rejoindre le Front de libération nationale pour se faire arrêter à maintes reprises et torturer par l'armée coloniale. Au lendemain de l'indépendance, Arezki Rabah rejoint la troupe de Boubagra, avec, entre autres, Omar Ouhada et Mustapha El-Anka, et ce, avant de regagner en 1964 la troupe du Théâtre national algérien où il joue dans de nombreuses pièces, notamment celles de Rouiched dans Hassen Terro, El Ghoula (l'Ogresse), El-Mach'hah (L'Avare) et les Concierges. En 1970, Arezki Rabah participe à l'émission télévisée pour enfant "Hadikati Essahira", produite par Zoheïr Abdelatif. Il a en outre tourné dans de nombreux films étrangers, notamment avec l'acteur français Jean Gabin Pépé le Moko, et le réalisateur Vittorio Gassman Broncaleone en croisades. Aujourd'hui, à l'orée de son 77e anniversaire, l'artiste Aboud Djamal tombe dans l'oubli pour s'engouffrer dans une lassante solitude qui le ronge depuis bien des années, avec une maladie chronique et un pied amputé. Lors de son passage sur les écrans d'une chaîne de télévision privée, ses traits nous montraient combien il souffrait de l'imparable ingratitude des pouvoirs publics et de l'autorité culturelle du pays qu'il supportait avec une incommensurable amertume. "Grâce à l'Onda et au soutien indéfectible de Abdelkader Bendaâmache, je me retrouve, tant soit peu, avec une misérable pension de 17 000 DA", avait-il révélé en tenant à remercier certains artistes qui ont compati, et continuaient à le faire, en sa direction par leur soutien tant moral que matériel. R. SALEM