Que serait le mois sacré de Ramadhan sans les notions d'entraide et de partage ? L'un des symboles de cette générosité propre aux Algériens est sans conteste les "resto Rahma", qui servent quotidiennement des centaines de repas aux démunis et autres voyageurs. Dans la commune de Djebahia (ouest de la wilaya de Bouira), les associations caritatives Kafil El-Yatim et Ness El-Khir, en collaboration avec le Croissant-Rouge algérien (CRA), ont implanté une immense khaïma aux abords de l'autoroute Est-Ouest. Lundi 13 mai, 7e jour du mois de jeûne, une trentaine de jeunes et moins jeunes étaient sur le pied de guerre pour entamer ce qui s'apparente à un rituel bien huilé. Vers 16h, el-hadj Mourad, un des membres de l'association Kafil El-Yatim, ne savait plus où donner de la tête. Les commandes de fruits, légumes, viandes et boissons passées la veille viennent d'arriver à bon port. "Nous allons tenir notre engagement, comme chaque soir depuis le début du mois de jeûne", dit-il d'un ton soulagé. Lui et ses camarades, tous des jeunes bénévoles de la région, ne lésinent sur aucun effort pour offrir un repas décent aux familles nécessiteuses et passagers qui sont contraints de rompre le jeûne en cours de route. Le défi est de taille : fournir un bol de chorba, une entrée et un plat de résistance à des centaines de jeûneurs, durant tout un mois. "Ce n'est pas toujours évident, mais grâce à nos efforts, de la bonne volonté et surtout la générosité de nos donateurs, chaque soir on relève le défi", dira Hichem, chef de la section du CRA de Bouira. À voir cette fourmilière de bénévoles se donner corps et âme pour sustenter des inconnus, cette opération prend des allures de course contre la montre où chaque minute compte. 17h, une commande pressante est en attente : des dattes et du petit-lait. "Vous voulez voir l'envers du décor ? Venez !", nous invitera Kamel, vice-président de la section Ness El-Khir de Djebahia. À bord de sa Renault Kangoo, ce jeune fonctionnaire profitera de cette escapade pour nous raconter la genèse de leur association. "Tout a commencé en 2014, lorsque nous avons décidé de venir en aide aux éléments de la police, qui organisaient de manière hebdomadaire des opérations resto Rahma. Nous sommes à notre 5e année, et Dieu merci, nous n'avons jamais raté un seul repas", s'est-il félicité. Une fois arrivé à bon port, un garage situé à proximité de l'APC de Djebahia, la commande en question attendait d'être chargée. Une cinquantaine de palettes de dattes fraîches et tout autant de l'ben. "Il faut bien cela pour étancher la soif de 700 hôtes." Ce chiffre, selon notre interlocuteur, est la moyenne quotidienne de son resto. "Oui, 700, et certains jours, comme vendredi dernier, nous avons atteint mille couverts à cause des marcheurs qui revenaient d'Alger", a-t-il souligné. D'ailleurs, selon notre accompagnateur, l'édition de cette année a été baptisée "Yafatrou gaâ", en référence au slogan de la révolte populaire contre le système. Une banderole installée à l'entrée de cet immense chapiteau l'indique clairement. Une fois de retour au camp de base, il était déjà 18h15. Pas une minute à perdre pour Hichem, car il lui faut encore superviser l'arrivage des grosses marmites de chorba et autres plats. À la question de savoir combien de donateurs sont impliqués dans cette opération, notre vis-à-vis expliquera qu'il est actuellement en "partenariat" avec sept donateurs qui souhaitent garder l'anonymat. Et à combien s'élève la facture de cette opération ? Pour répondre à cette question, el-hadj Mourad passera la parole à Adjoudj Islem, qui occupe le poste de trésorier au sein de cette association. "Entre les fruits et légumes, la viande, les boissons et autres gourmandises de circonstance, on dépasse 27 millions de centimes par jour", a-t-il révélé. Et d'ajouter : "Depuis le début du Ramadhan, nous en sommes à plus de 180 millions de centimes." 19h20, les premiers jeûneurs commencent à affluer, et l'armada de bénévoles peaufinait les dernières retouches. En quelques minutes, le chapiteau a été envahi de bus de voyageurs. "Cette khaïma est un signe que la solidarité de Ramadhan a encore de beaux jours devant elle en Algérie", se sont félicités nombre de voyageurs rencontrés. Plus globalement et selon les services de la DAS (direction de l'action sociale) locale, 24 restaurants Rahma à travers les communes de Bouira, Aïn Bessam, Sour El-Ghozlane, Lakhdaria et Ahnif ont ouvert leurs portes depuis le mois de jeûne. Ces restaurants qui seront financés par des fonds communaux (4) et des dons de bienfaiteurs particuliers (10), mais aussi par des associations caritatives (4), seront gérés par les services du CRA. Ces restaurants vont assurer pas moins de 160 000 repas : 45 000 seront servis sur place et 114 000 à emporter, précisent les mêmes sources. RAMDANE BOURAHLA