Le onze national est devenu non seulement une source d'espoir, mais également le porte-étendard des rêves de tout un peuple. Rien ne symbolise sans doute l'impact des exploits qu'est en train d'aligner l'équipe nationale de football sur le mouvement populaire que cette capture d'écran, largement relayée sur les réseaux sociaux, immortalisant Riyad Mahrez, floqué du numéro 7, s'apprêtant à botter son somptueux coup franc, et Youcef Belaïli, floqué du numéro 8, se tenant à quelques mètres face au "mur" et au gardien nigérian, avec ce commentaire révélateur du trait d'esprit dont font montre les Algériens depuis le début de la contestation en février dernier : "Les numéros 7 et 8 ont donné de la joie aux Algériens, les articles 7 et 8 vont sauver l'Algérie, assurer l'avenir des futures générations et bâtir un Etat de droit, libre et démocratique." L'allusion, on l'aura compris, renvoie à l'application des articles 7 et 8 de la Constitution disposant le pouvoir constituant au peuple. Depuis qu'elle a survolé avec autorité le premier tour de la Coupe d'Afrique, suscitant l'admiration des Algériens et des puristes, encore plus depuis qu'elle a composté son billet pour les demi-finales face à l'équipe ivoirienne, l'équipe nationale est devenue une source de motivation pour le mouvement populaire qui loue les qualités dont elle a fait preuve : l'esprit de groupe, l'abnégation, la combativité, la solidarité, l'engagement et la discipline. Signe de cette reconnaissance et d'une forme d'identification à la bande à Djamel Belmadi, le "seul B qu'on accepte", comme l'a écrit ironiquement un internaute, comme pour rappeler le rejet des autres "B", le chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah, et Noureddine Bedoui, cette photo de l'équipe nationale avec l'entraîneur brandie lors de la marche du vendredi et accompagnée de ce slogan : "On veut une copie des patriotes libres sur la table du dialogue." Comprendre : ceux qui sont appelés à conduire le dialogue auquel Abdelkader Bensalah a appelé le 3 juillet dernier doivent véhiculer les mêmes valeurs affichées par le onze national : la jeunesse, avec cet apport de la diaspora, la probité et le sens du sacrifice. Autres signes de cette formidable communion entre la population et son équipe : la reprise par les joueurs, peu après leur brillante qualification en finale, de la chanson de Soolking, un tube qui a fait un tabac et devenu depuis sa sortie un véritable hymne des manifestants : Liberté. Dans la vidéo qu'ils ont partagée sur les réseaux sociaux, les Mahrez, Brahimi, Slimani et autre Abeid reprenaient en chœur : "Paraît que le pouvoir s'achète. Liberté, c'est tout ce qui nous reste." Mais, si la joie procurée par l'équipe est perçue comme un véritable catalyseur pour le mouvement qui retrouve une fierté et se remet à nourrir de grands espoirs, certains redoutent, cependant, la "récupération" par les autorités qui n'hésitent pas à surfer sur la vague de l'euphorie pour tenter de "ramener à la raison" un peuple déterminé à faire aboutir sa "révolution", si l'on se fie aux slogans scandés lors des marches. Rien de plus édifiant de cet intérêt des autorités, loin d'être désintéressé, que cette promptitude avec laquelle Abdelkader Bensalah, tout comme le nouveau président de l'Assemblée, ont réagi à la victoire. Aussi, la décision, avec le concours de l'armée, d'organiser un "pont aérien" au profit des supporters, conjuguée à la "fièvre" qui s'est emparée des médias, notamment de ces télés converties en relais du pouvoir, celles-là mêmes qui font l'impasse sur les marches hebdomadaires, est appréhendée comme participant d'une démarche visant à tirer quelques dividendes politiques. Dans ce contexte, des internautes n'ont pas hésité à dépoussiérer une célèbre phrase du non moins célèbre capitaine de l'équipe brésilienne, Socrates, aujourd'hui disparu, et promoteur du bandana sur lequel étaient souvent inscrits des messages : "C'est bien que le peuple soit heureux de la victoire, mais il est triste qu'elle profite aux prédateurs et aux dictateurs." Reste que même pendant les scènes de liesse, comme on a pu le voir au stade Ouaguenouni où les supporters chantaient dans la communion la célèbre chanson Casa el Mouradia, hymne à la jeunesse et contre le pouvoir, ou encore près de la Grande-Poste, les jeunes n'hésitent pas à festoyer en reprenant des slogans politiques, comme "Yetnahaw gaâ" (ils partiront tous !). Un état d'esprit que résume un internaute : "Vendredi, il y a le hirak, les résultats du bac et la finale. C'est-à-dire, on sortira tous, on réussira tous, on va les gagner tous et ils partiront tous." Comme quoi, comme pour son aînée du FLN des Mekhloufi et autres Bentifour, Mustapha Zitouni, Abdelhamid Kermali, surnommée le "Onze de l'Indépendance" et à son corps défendant, l'équipe nationale est devenue non seulement une source d'espoir, mais également, par certains égards, le porte-étendard des rêves de tout un peuple.