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Une convergence entre mobilisation sur les réseaux sociaux et contestation de rue
Le Hirak algérien
Publié dans Le Soir d'Algérie le 30 - 04 - 2019


Lotfi Maherzi, universitaire, ancien recteur
La grande mobilisation populaire dirigé contre le 5e mandat de Abdelaziz Bouteflika et son régime constitue un tournant de toute première importance dans la vie politique du pays. C'est bien la première fois, depuis l'Indépendance, qu'une telle mobilisation imprévisible et pacifique regroupe sur l'ensemble du territoire des millions de personnes sans l'impulsion d'un leader, d'un parti d'opposition ou d'un syndicat. Elle a émergé de la base et s'est organisée et affirmée sur les réseaux sociaux transformés en véritable refuge de la contestation.
C'est une nouvelle donne incontournable qui modifie les formes de mobilisation populaire, innove dans la manière de communiquer, offre des nouveaux moyens d'organisation et bouscule la communication classique en introduisant créativité et humour comme arme politique majeure.
Les réseaux sociaux : plate-forme de la révolution du sourire
En naviguant sur les réseaux sociaux algériens et en multipliant les angles d'observation, on peut identifier deux profils de révolutionnaire. Il y a des militants activistes qui dénoncent, contestent et organisent les manifestations, et les internautes anonymes, majoritairement jeunes, qui cherchent l'information alternative et s'informent sur la mobilisation et ses mots d'ordre tout en exprimant leur adhésion à la révolution.
Dans cette communauté virtuelle, deux activistes vedettes méritent d'être mentionnés. Lotfi DK, un rappeur à succès suivi par plusieurs milliers de fans. Il milite pour la fin du régime, réalise des «live» appelant aux rassemblements et commente en direct depuis la chaîne El Magharibia, proche des islamistes algériens, les marches du vendredi. Puis, Amira Bouraoui, une militante du parti El Mouwatana, très active et connue pour son langage «cash» contre le Président et ses hommes. Avec ses portraits «selfies» qu'elle aime afficher, elle est devenue une égérie de la Toile, une militante de la rue et une voix entendue par les internautes.
Ces stars des réseaux sociaux et bien d'autres connus ou anonymes ont en commun une histoire incarnée de combat et de lutte pour la justice et la liberté. Ils se croyaient pendant longtemps seuls et livrés à eux-mêmes, mais c'était compter sans une communauté virtuelle bienveillante et solidaire, mobilisée désormais sur des causes communes : Silmya, unité des Algériens et rejet du système.
En premier, «Silmya», l'action pacifique. Un mot qui allait faire jaillir sur les réseaux sociaux un torrent d'appels au rassemblement pacifique. Parmi ces appels, un message posté par le poète et journaliste Lazhari Labter qui liste les 10 commandements du marcheur pacifiste et civilisé. Ils invitent les manifestants au civisme pour que la mobilisation se déroule dans le calme. Très vite, le texte récolte plusieurs milliers de partages que les internautes déclinent en mots d'ordre : «Ne coupez pas d'arbres, ne jetez pas de pierres, ne brisez pas de vitres, car tout appartient au peuple» ou «Restez pacifiques et solidaire. Ne jamais répondre aux provocations». Ce sentiment fort d'appartenance à l'esprit pacifique est partagé par des milliers d'internautes qui diffusent en continu des photos et des vidéos où on voit des femmes, des jeunes couples et des enfants, inspirés par un vent de liberté sans précédent, danser et chanter alors que des jeunes filles offrent des œillets et des roses à des policiers bienveillants.
Sur Twitter, des citoyens lancent des initiatives de collectifs de volontaires pour encadrer et assister les manifestants. Dès l'acte deux de la mobilisation, on découvre sur des vidéos, des gilets rouges et des riverains, distribuer des bouteilles d'eau, orienter les manifestants, nettoyer les rues après les marches, secourir les blessés et offrir galette et couscous afin de maintenir l'effort dans la durée.
Au milieu de cette foule colorée, les manifestants déroulent le tapis rouge à la star de la journée : Djamila Bouhired, figure légendaire de la lutte de libération, venue exprimer sa solidarité avec le peuple qu'elle enjoint, dans un texte relayé sur Facebook, à ne pas flancher. Sur une autre vidéo, on la voit, sur un ton tour à tour grave et drôle, interpeller les jeunes pour qu'ils protègent et respectent les femmes, allusion aux violences sexistes commises contre le carré féminin installé aux abords de l'université d'Alger.
Les images sont vivantes, impressionnantes. Elles sont «likés», partagées, retweetées. Elles expriment une émotion collective et une richesse humaine exceptionnelle. Les commentaires sont pugnaces et attestent d'une remarquable maturité politique : «un pays magnifique, un peuple pacifique, un pouvoir diabolique, une révolution historique» «Laissez-nous aimer l'Algérie» «Halte à la division, nous sommes tous Kabyles, Mozabites, Arabes, Chaouias, Berbères», «Ni militaires ni islamistes, pouvoir au peuple»
Derrière cette démonstration du lien social, se profile en fait un sentiment chez les internautes de faire corps avec des manifestants pacifiques déterminés à faire tomber coûte que coûte le régime. C'est au nom de ce combat si vertueux en émotion, que la griffe «Silmya» a traversé instantanément tous les fuseaux horaires. Il suffit pour se convaincre de citer ces vidéos de mobilisation massive de la diaspora algérienne partout dans le monde, puis ces slogans de solidarité diffusés sur Facebook par des citoyens du monde, des gilets jaunes en France aux simples anonymes chinois, américains et japonais et bien d'autres nationalités. Cet écho de sympathie rend un peu de plus de fierté aux Algériens et à cet internaute qui écrit sur Twitter : «Il n'y a que deux types de personnes sur Terre, les Algériens et ceux qui rêvent de l'être.»
Les réseaux sociaux : refuge de la contestation
Après le choc de l'émotion, place à l'action militante, avec trois tendances de fond : le «dégagisme», la corruption et le combat des femmes. Les internautes algériens sont nombreux à manifester colère et indignation contre les puissants du régime. Tous veulent en finir définitivement avec un système opaque et corrompu qui les méprisent et les humilie. Dès le 22 février, ils vont l'exprimer massivement avec un slogan qui va revenir en boucle dans la bouche des manifestants et sur les pages des internautes pour rejeter un régime représenté par une clique d'hommes d'affaires et de politiques incompétents et véreux qui tirent toutes les ficelles. En témoignent les vidéos, photos et écrits relayés sur Facebook montrant les foules investir les rues d'Alger, de Béchar, d'Oran ou de Annaba pour «dégager» le Premier ministre et l'ensemble de ses ministres qui s'aventuraient dans les protocolaires visites de terrain. Même traitement pour les autres malfaiteurs du régime qui demeurent en fonction, mais qui ne peuvent prendre le risque d'aller dans les rues sans être chassés par la population. Dans les forums de discussion, les internautes jubilent de voir ces symboles du régime mordre la poussière, alors que sur Facebook, une vidéo filmée à l'intérieur d'une prison montre des prisonniers scandant en cœur «Ramenez-nous Ouyahia !», l'ancien Premier ministre haï par le peuple. Le «dégagisme» s'exprime également par la chanson et plus précisément «Viva l'Algérie, Yetnehaw Gâa3» (Viva l'Algérie, qu'ils partent tous). Un cri de rejet composé spontanément par les jeunes, pour manifester leur détermination à congédier ces symboles du régime qu'ils jugent illégitimes, répressifs, inefficaces et corrompus. Même cri de colère de la diaspora algérienne au Canada décliné à la manière québécoise : «Décalisez !» autrement dit foutez le camp. Une tirade qui reste dans l'histoire du Hirak comme le chant de l'agonie du régime.
La maturité des internautes s'est exprimée aussi d'une manière extraordinaire à travers d'autres slogans et bannières pour dénoncer la nature profondément corrompue du régime. Comme tous les vendredis depuis le 22 février, fusent dans les rues «Klitou leblad, ya sarraqine !» (Vous avez mangé le pays, bande de voleurs), «Le mandat que vous méritez est un mandat d'arrêt», «Chaque vendredi on enlève un bandit». Des slogans relayés immédiatement sur Facebook avec des commentaires unanimes pour demander des comptes et exiger une moralisation de la vie publique dans la future république.
Une nouvelle république avec «Un président neuf, qui marche et qui parle» que «Nous choisirons» sans omettre cette fantastique requête d'une internaute : «Djiboulna Waled poupoune kima Justin Trudeau» (Ramenez-nous un beau gosse comme Justin Trudeau).
Une nouvelle république qui serait aussi l'occasion pour les Algériens de renouer avec l'Etat de droit qui se confond avec une nouvelle Constitution, un nouveau Parlement réellement représentatif et une nouvelle justice libre et indépendante. Cela suppose «une vraie transition, écrit un l'internaute sur Twitter, qui prendra du temps. Elle ne se fera pas en quelques jours».
Sentiment partagé avec pertinence par cet autre internaute qui écrit «Le but n'est pas de faire vite comme l'exige Gaïd Salah, (chef d'état-major des armées), mais de faire bien pour la nouvelle Algérie. Dénonçant les calculs politiciens dont le seul but est de recycler le système».
La mobilisation s'organise et se raconte également au féminin avec cette présence massive de femmes dans la rue. Des femmes solidaires avec le Hirak mais qui veulent en même temps combattre un régime qui les a punies et réprimées. Elles veulent rompre avec les tabous et les interdits sociaux et exigent une société plus ouverte et plus tolérante. Elles refusent de cacher leur féminité et leur identité et expriment sur leurs pages Facebook ce qu'elles pensent dans un réel conservateur et répressif : «Femme, lâche ta casserole et prend la parole» ou « bladi machi fil cousina, bladi fel Mouradia » (mon pays n'est pas dans la cuisine mais à El Mouradia, présidence de la République). «Je suis Algérienne, berbère et laïque.» Elles parlent aussi de patriarcat, de droits des femmes mais aussi de leur rejet d'un code de la famille jugé misogyne dont les femmes sont les premières victimes.
«Ensemble dans la lutte, égaux dans les droits» et «Non au code infâme de la famille». Revendications partagées par des centaines de femmes qui dénoncent dans leurs commentaires les rapports archaïques qui régissent encore la société algérienne. «Il est temps de réaliser que lorsque les femmes sont oppressées et méprisées, c'est toute la société qui est dévalorisée», écrit une internaute sur Facebook ou «La révolution est pour les femmes comme pour les hommes», ajoute une autre. L'éveil de conscience de la femme algérienne fait aussi écho à cette photo où on voit une jeune ballerine effectuer un gracieux pas de danse au milieu des manifestants. La grâce du mouvement et sa symbolique renvoie à l'idée implicite de révolte et d'émancipation de la femme. Combats revendiqués par cette autre femme kabyle vêtue d'une tenue traditionnelle qui dit : «Pour rien au monde, je ne changerai la robe de mes aïeux par un hidjab».
Combat fièrement affiché par cette jeune Soudanaise, toute de blanc vêtue debout sur le toit d'une voiture scandant «Tawra, Tawra !» (Révolution, révolution), une vidéo massivement partagée par les internautes algériennes qui insistent dans leurs commentaires sur l'objectif commun de ces femmes : Etat de droit, liberté individuelle et collective, égalité des droits et justice sociale.
Témoigner, tout filmer, tout montrer
Mais autre chose de vertueux s'est jouée sur les réseaux sociaux : le besoin pour les internautes engagés de témoigner, de filmer ce qui se passe devant eux, d'enregistrer les faits et de se comporter comme des journalistes citoyens ou des lanceurs d'alerte.
C'est le cas, entre autres, de l'activiste et journaliste Samir Laribi qui a révélé et dénoncé dans une vidéo le comportement déplacé de la police qui a dénudé des militantes dans un commissariat pour leur faire subir une fouille.
L'information est prise rapidement sur la Toile algérienne et provoque l'indignation des internautes qui y voient plus une «tentative de casser le mouvement populaire en faisant peur aux manifestants».
D'autres illustrent cette forfaiture par une photo d'une femme déshabillée par l'armée française durant la colonisation. Face à ces témoignages, la police dément. Mais la vidéo de Hania Chaâbane est là, difficilement contestable. Elle confirme que la policière l'a bien obligée à se dénuder. Très vite, les commentaires des internautes en colère enflamment la Toile pour dénoncer «l'humiliation du corps utilisé comme outil de répression politique. Un ressenti partagé par un internaute qui partage une image soigneusement mise en scène qui fait dire à un lieutenant Colombo perspicace : «Ma femme est algérienne, jolie, intelligente et fahla (courageuse). Alors, c'est une honte ce que vous avez fait à vos sœurs.»
Il faut relever aussi cette incroyable coïncidence qui fait que cette répression s'est déroulée quelques jours avant la commémoration d'autres répressions : celles des révoltes d'avril 1980 et des tragiques événements de Kabylie de 2001. Dans un contexte de mobilisation populaire, pacifique et unitaire, les internautes célèbrent ces deux anniversaires en postant des vidéos où on voit des manifestants avec le drapeau amazigh et celui algérien, reprendre en chœur les chansons cultes de Lounès Matoub, puis scander «Plus jamais ça». Sur Twitter, un internaute écrit à propos du Printemps noir et ses centaines de morts : «Un épisode tragique a été occulté par le pouvoir de l'époque, afin de cacher la réalité du drame». Un autre réagit aux scènes d'archives de cette répression avec ces mots : «Une révolte étouffée et discréditée par le pouvoir. Combattre ce silence coupable est une question morale.»
Mais aujourd'hui les Algériens n'ont plus peur et la fin de la peur balayée par la puissance de la mobilisation a permis une libre expression sans précédent qui traduit un désir commun de liberté, devenue une valeur cardinale pour les Algériens qui ont manqué durant des décennies de toutes les libertés, d'expression, d'opinion, de conscience et de création. Une confiscation magistralement représentée par cette image postée sur la page d'un internaute où l'on voit le drapeau algérien enfermé dans une cage avec ce commentaire : «Algérie mon amour, on te libérera». Une valeur devenue la vedette de la révolution pacifique et réclamée dans toutes les villes du pays : «Djazaïr Hora démoqratia» (Algérie libre et démocratique). Elle s'est exprimée également en musique avec la chanson Liberté du rappeur Soolking, reprise comme un hymne dans les rues d'Alger et ailleurs. Les paroles sont explicites : «Liberté, liberté, c'est d'abord dans mon cœur». Elles font résonner les espoirs des jeunes manifestants après avoir été enfermés et emmurés durant plusieurs décennies par un pouvoir absolu.
Autre ligne de front : le Hirak c'est aussi une révolution des arts dont les multiples expressions ont enflammé les réseaux sociaux. Citons deux exemples : le premier concerne les rencontres hebdomadaires des artistes retransmises sur la page Facebook de Berbère TV. Elles se déroulent sur les marches du Théâtre national algérien, espace plein de symboles, reconquis par des artistes et des comédiens pour bousculer le jeu classique de la contestation. Ils échangent entre eux et avec les passants, partagent dialoguent, jugent, applaudissent, bref, favorisent des mécanismes démocratiques et d'expressions locales. En prenant ainsi le pouvoir sur des lieux jadis confisqués, ils résistent en fait à la hogra (le mépris) et les atteintes à toute liberté y compris la liberté d'expression et de création.
Le deuxième exemple porte sur l'émergence sur les réseaux sociaux d'une poésie rebelle dont les cibles sont le pouvoir et tous ceux qui empêchent les Algériens de s'épanouir. Le poète Lazhari Labter redonne vie à cette poésie engagée en postant régulièrement des textes poético-politiques comme : «Arrêtez de nous arrêter ; Arrêtez de vous entêter, vous êtes le passé et nous sommes le futur». Sur les excellentes pages «Ekteb» (Ecrits) et «Plumes rebelles» des poètes amateurs balancent leurs premières tentatives de proses, d'autres s'amusent à jouer avec des mots en transformant des expressions : «Si je marche, suivez-moi ; si je m'arrête, poussez-moi ; si je recule, tuez-moi» ou «Avril, le régime ne tient qu'à un fil» ou encore «Vous n'avez pas affaire à une opposition, mais à un peuple, et le peuple ne s'oppose pas, il s'impose». Tous s'approprient une forme nouvelle de communication rebelle, proche de la poésie où les mots liberté, solidarité, unité, démocratie résonnent dans leurs chants de combat.
L'humour : arme politique de masse
Autre volet important du Hirak : l'usage de la dérision, de la parodie et des détournements de textes et d'images comme arme politique contre le 5e mandat de Abdelaziz Bouteflika et l'ensemble de son système.
Le handicap de l'ancien Président va constituer une véritable source d'inspiration pour les internautes qui n'hésitent pas à se moquer parfois avec beaucoup cruauté de son état de santé et de sa capacité à diriger le pays lors des cinq prochaines années.
Les amateurs du canular militant vont utiliser tous les moyens pour dire non à cette candidature même si les images et les commentaires sont jugés choquants et souvent blessants. Sur leurs pages, les internautes lancent un défi au Président déchu : «Si tu veux nos voix, fais-nous entendre la tienne.» Handicap moqué avec une certaine jouissance avec cette autre symbolique : la chaise roulante.
Les assauts sont nombreux et les commentaires violents comme celui de cet internaute qui depuis sa page aux Etats-Unis fait dire au Président assis sur sa chaise : «Theys se me rollin. They hatin» (Ils me voient rouler, ils me haïssent). Plus ironique, le journaliste et activiste Hakim Laâlam twitte : «Je sais exactement quelle partie du cerveau de Boutef a été endommagée par l'AVC : celle qui commande le sentiment de honte.» On relève également chez les internautes l'art de détourner, avec une maîtrise remarquable de Photoshop, images, affiches et slogans pour manifester leur refus du 5e mandat. On peut citer cette marque célèbre de cigarette sur laquelle est mentionné : «Vous êtes mal barré, votre système nuit gravement à notre santé» ou le logo de YouTube qui devient «You Namar» pour «Y en a marre». Dans une autre image partagée sur Twitter, on voit le candidat Président écrire : «Ici meurt Kaci !», expression algérienne qui désigne une personne qui ne veut pas bouger d'un endroit ou d'un poste.
Sur le même thème, un internaute écrit sur Facebook : «Le physicien Albert Einstein, connu pour sa théorie de la relativité, a prévu trois choses qui sont infinies : l'univers, la stupidité humaine et les mandats présidentiels de Bouteflika.» On peut aussi citer sur la même plate-forme : «Ici c'est la république, pas une monarchie», allusion à la prétention de l'ancien président de rester président à vie, voire donner le pouvoir à ses frères.
Une monarchie rendue possible grâce à une Constitution bricolée et piétinée magistralement comparée par un internaute à une paire de tongs usée, recousue et rafistolée. Dès lors, le monarque déchu a sombré dans un isolement qui l'a éloigné définitivement du peuple. Un constat bien illustré par une image partagée sur Facebook où l'on voit l'ancien Président au milieu d'une foule brandissant ce slogan de campagne : «Peuple dégage».
Un détournement de slogan des révoltes arabes par un jeu de sens inversé «Pouvoir dégage» en «Peuple dégage» et qui fait référence à la solitude d'un homme en rupture avec un peuple devenu gênant. Mais au-delà de l'ancien chef de l'Etat, ce sont tous les symboles du système qui sont visés par le rire et les railleries. Trop corrompus, incompétents, déconnectés de la vie du peuple, ils sont utilisés comme repoussoir. A commencer par le frère du président, Saïd Bouteflika, qui fait l'objet d'un détournement d'une séquence du film de Moussa Haddad L'inspecteur Tahar contre la souris.
Dans la vidéo relayée par les internautes, on aperçoit l'inspecteur Tahar (Hadj Abderrahmane) flanqué de son assistant (Yahia Ben Mabrouk) demander à des suspects alignés dans un commissariat, s'ils connaissaient le grand voleur en fuite, en montrant du doigt une photo montage de Saïd Bouteflika. «Oui, je le connais, réagit un internaute, il nous a tout piqué.
Il a tout pris avec sa bande.» Dans le même registre, des internautes redoublent d'imagination créative avec cette image montage montrant des figures proches du clan Bouteflika, alignés comme des bandits de grands chemins recherchés avec la mention WANTED le tout inspiré par une mise en scène empruntée à l'iconographie des films western. Ils ont été également nombreux à faire circuler cette autre image où on voit une vieille dame d'allure décidée, armée d'une hache menaçante et hurlant : «Il est où Bensalah ?» ou cette autre image qui représente les portraits des chefs d'état-major de l'armée et celui du Président intérimaire côte à côte, avec ce titre : «Gaïd a choisi son Con».
Pour de nombreux internautes, regarder ces images, lire leurs commentaires relève du bienfait. Ils réparent et encouragent encore plus leur détermination à rejeter ce pouvoir jugé dépassé et hors du temps. Un pouvoir archaïque et éloigné d'une jeunesse hyper-connectée qui va utiliser sa propre sémantique numérique pour mieux signifier le fossé générationnel existant entre eux et un pouvoir gérontocrate, formaté à la pensée conservatrice.
Les centaines de slogans postés sur Facebook fracassent ce pouvoir usé et finissant : «On est des jeunes motivés, vous êtes des vieux périmés», «Notre génération vous mettra à genoux», «Des milliers de jeunes dans la rue et quelques vieillards complotent dans l'ombre», «Peuple connecté, système déconnecté», «A chaque fois que je me dis que je vais me déconnecter de mon compte Facebook, il y a comme un petit Boutef' dans ma tête qui me dit : encore un mandat», «Le seul média agréé par la Hirak est Facebook» ou encore ce dessin extraordinaire de HIC montrant un internaute pointant le F de Facebook comme un revolver prêt à dézinguer la classe politique avec ce slogan : «Attention, ce n'est pas fini !»
Avec cette maîtrise des réseaux sociaux, doublée d'une conscience politique élevée, on ne voit pas comment le Hirak pourrait échapper à cette jeunesse profondément attachée à une Algérie libre comme l'atteste cette pancarte brandie par une jeune manifestante : «Pour la première fois je n'ai pas envie de quitter mon Algérie».
Que peut-on dire de ce bref panorama sur le rôle des réseaux sociaux dans la mobilisation populaire ? En premier lieu, on peut soutenir que le Hirak algérien restera dans les annales des révolutions car il a complètement court-circuité les médias traditionnels aux ordres, pour se déplacer vers les réseaux sociaux. Ces derniers ont permis de révéler le caractère imprévisible des internautes algériens qui se sont approprié les téléphones mobiles et la 3G et ont détourné leurs services à des fins de contestation pacifique et de mobilisation. Ils ont su conjuguer à merveille Internet, réseaux sociaux et ancrage militant sur le terrain. Mais cette convergence vertueuse entre mobilisation sur les réseaux sociaux et contestation de rue ne doit pas nous faire oublier le contexte socioéconomique dans lequel s'est opérée cette révolution : corruption systématique, dégradation des conditions de vie, mauvaise gestion, inégalités sociales criantes. Bref, une mauvaise gouvernance qui a constitué le terreau de cette révolution pacifique portée par des millions de citoyens dont cette jeunesse qui a subi le plus de précarité.
Facebook, quant à lui, il a servi de levier facilitateur permettant de donner forme et organisation à cette mobilisation populaire.
L. M.


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