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Gregory Dargent : "Mon travail se veut poétique et non folklorique"
Exposition "H" sur les essais nucléaires à Reggane et Tamanrasset
Publié dans Liberté le 09 - 12 - 2019

Musicien et photographe, Gregory Dargent a présenté, du 27 novembre au 3 décembre à Dar Abdeltif (Alger), l'exposition "H". Tirée de son livre photographique du même titre, cette exposition "prend place dans le triangle de feu algérien, entre Reggane et Tamanrasset, là où il y a 60 ans, l'armée française avait effectué des essais nucléaires, un choix audacieux et une œuvre forte offrant une vision singulière à travers l'objectif de l'artiste". Dans cet entretien, le photographe revient sur ce voyage dans le Sud et son lien avec l'Algérie.
Liberté : Vous avez réalisé un livre et une exposition de photographies sur les essais nucléaires à Reggane et Tamanrasset. Pourquoi avoir entrepris ce projet ?
Gregory Dargent : Il y a cinq ans, j'ai entendu à la radio un sujet sur les essais nucléaires dans le Sahara, et je n'étais pas au courant de cela. Je ne sais pas si je n'écoutais pas à l'école ou parce qu'on n'en parle pas beaucoup en France ! Comme j'ai travaillé il y a 15 ans sur la musique à Tamanrasset, alors j'ai commencé à imaginer des Touareg irradiés, c'est quand même une puissance de 35 bombes d'Hiroshima réunies.
À cet effet, j'ai eu l'envie d'écrire une musique sur cela, j'ai créé un répertoire musical qui raconte ces essais nucléaires où je joue du oud avec des traitements électroniques, accompagné sur le CD par quelques témoignages. Après l'écriture de cette musique et après avoir donné le premier concert, je me suis dit : "Il faut que je parte pour faire un livre de photographies", non pas pour faire du journalisme, car je ne le suis pas. Je ne voulais pas être objectif, mon travail en tant qu'artiste est d'être subjectif. Une fois à Reggane, j'ai commencé à prendre des photos et à parler avec les gens. À ce moment-là, j'ai commencé à m'interroger : "Pourquoi suis-je parti ? Pourquoi ce cheminement ?" Tout au long de notre vie, nous recevons des milliers d'informations et, des fois, il y en a qui nous obsèdent.
J'ai une sensibilité avec l'Algérie, l'Algérie est arrivée plein de fois dans ma vie : j'ai travaillé avec des femmes touareg sur de la musique, aussi avec une chanteuse chaouie… En France, nous pouvons travailler avec des artistes du Maroc ou de Tunisie, mais pour moi l'Algérie revenait souvent... Comme mon grand-père était militaire, mon père a grandi à Alger et il est parti à l'âge de 11 ans après l'indépendance.
Cette errance dans le désert était-ce une sorte de quête personnelle ?
Oui, c'est une quête personnelle, une quête analytique. Je suis français, nous n'avons aucune culture algérienne ou méditerranéenne particulière. Ma maman est alsacienne, nous n'écoutions pas de musique algérienne, mais un jour j'ai entendu le son du oud et je me suis dit : "C'est de cet instrument que je veux jouer." Alors que je n'écoutais pas de musique méditerranéenne. J'ai grandi dans une caserne en Allemagne, je suis arrivé en France à 18 ans, je me retrouve à jouer du oud et à travailler régulièrement en Algérie avec des gens qui reconnaissent ce travail.
En faisant de la photo sur les essais nucléaires, j'ai pensé c'est cela le sujet, le sujet est en fait moi-même. Avant d'entamer le voyage, j'avais déjà choisi le "H", cette lettre fait référence à la bombe d'Hiroshima, au Hoggar, à l'histoire et au terme hérédité. J'ai pensé à héritage dans le sens où les radiations touchent à notre ADN : dix ans après, les gens irradiés, s'ils ont un enfant, ce dernier peut avoir une malformation comme cela est le cas à Tchernobyl.
À un moment, je me suis rendu compte que l'héritage est des deux côtés, notamment du mien en travaillant ici. Ce n'est pas un travail pour dénoncer les essais nucléaires, ni une question de culpabilité, cela dépasse vraiment tout ça. Mais seulement pour trouver des réponses personnelles. J'ai senti une urgence, je voulais voir ce qui se passait 60 ans après les explosions, quand nous arrivons à Reggane, il n'y a rien à voir en vrai, mais ce sont mes sensations !

Suite à ce voyage, avez-vous obtenu des réponses ?
Je pense que tout au long de notre vie, les questions et les réponses évoluent dans la compréhension de l'existence. Même si j'ai grandi loin d'ici, il y a une partie de moi qui se sent bien en Algérie. Sans faire de psychologie trop profonde, je pense qu'on porte cela, même si personne (membre de sa famille) ne parlait de l'Algérie, cela faisait exister l'Algérie d'une certaine manière.
Je pense que j'ai un lien affectif avec ce pays et la vie m'y a amené à plusieurs reprises grâce à mon travail. J'ai eu la chance de voyager dans beaucoup de pays dans le monde, mais il y a des endroits où on se sent mieux, je pense qu'il y a quelque chose de cet ordre, on porte tous le poids de nos grands-parents et parents, on porte les trois générations au niveau psychologique comme disait Freud, même s'ils n'en parlent pas, c'est dans notre ADN.
Avant que je ne vienne pour les photos, mon père m'a raconté pour la première fois son retour en bateau, il m'a également demandé de prendre en photo le Champ-de-Manœuvres, le quartier où il a grandi. Lorsque je travaillais avec les Touareg, il n'avait jamais dit un mot sur l'Algérie, il a fallu que je fasse ce travail sur les essais nucléaires pour qu'il s'ouvre.
Vous décrivez l'Algérie comme un "mystère" dans votre famille. Un mystère dans quel sens ?
Un mystère dans le sens où beaucoup de familles françaises qui sont rentrées en France après l'indépendance, surtout pour la génération de mon père, qui ont dû quitter Alger à 11-12 ans. À cet âge on ne fait pas de politique, pour mon père cette ville était "chez lui", il avait son école, ses copains du quartier… et il devait quitter son pays.
La France n'a pas tenu compte du champ émotionnel de ces enfants qui sont rentrés, qui n'étaient pas en âge de comprendre, cela a amené une brisure psychologique qui fait que beaucoup de cette génération-là n'arrivaient pas à en parler, car il y avait quelque chose d'émotionnel que je peux comprendre et imaginer dans le regard d'un enfant.
Arracher un enfant de son environnement, c'est affreux quand il n'y a pas de suivi psychologique et en France, il n'y a pas eu de travail là-dessus. Même pour la guerre d'Algérie, soixante ans après ça reste compliqué, et c'est dommage pour tout le monde : les Français, Algériens, Algériens en France… Du coup je me suis dit pour cette raison : je suis dans le désert.
Les personnages pris en photo donnent l'impression d'être des ombres… Pourquoi ce choix photographique ?
Oui, ce sont des ombres, des personnages anonymes, ce n'est pas eux qui le désiraient mais c'est un choix photographique. En regardant mes photos, celles qui me parlaient le plus, ce sont celles dans lesquelles on ne voit pas les visages. L'anonymat c'est intéressant ; une personne anonyme qui peut quelque part devenir tout le monde. J'ai travaillé aussi sur la lumière, comme cela est le cas sur un cliché où le soleil donne l'impression d'une explosion.
Un vétéran français âgé de 17 ans à l'époque, a fait un témoignage très fort, que j'ai cité d'ailleurs dans mon livre, il a dit : "Quand la bombe a explosé, quand le ciel s'est illuminé, je me suis senti transpercé comme au travers d'une vitre, comme au travers d'un verre d'eau, je me suis tout vu à l'intérieur." Pour moi cette phrase est un choc, cette lumière l'a complètement transpercé, et je pense que ce travail m'a complètement transpercé. Car plus j'avançais, plus je me suis moi-même tout vu à l'intérieur.
C'est cette intimité qui m'intéresse ! Ce n'est pas un travail touristique pour montrer les Sahariens, le folklore ne m'intéresse pas du tout, je n'ai pas un regard exotique, je suis fan de rencontrer les gens, et ce, quelle que soit leur culture. C'est vraiment ma sensation, et j'ai fait attention de ne pas être dans le cliché, il n'y a pas de photos du désert, et toutes celles que j'avais elles n'ont pas été publiées.
Vous avez opté, entre autres, pour des clichés en noir et blanc…
C'est une pratique que j'aime énormément, car elle laisse beaucoup de place à l'imagination. Quand on fait une photo en noir et blanc, ce n'est plus la réalité. J'ai des photos si elles auraient été en couleur, cela n'aurait pas marché, et vice-versa. C'est un jeu avec une certaine poésie et un sens du détail, ce qui nous permet d'avoir des correspondances. Aussi, j'aime beaucoup les forts contrastes, quand il y a beaucoup de lumière et les zones très noires, ces zones permettent à chacun d'avoir son propre regard.
Ce travail photographique était votre première expérience dans le domaine. Avez-vous appréhendé un quelconque échec ?
Si, même en musique que j'exerce depuis 20 ans, j'ai peur de me rater. En fait, je suis étonné car je pensais faire un petit livre, mais finalement il a été reconnu en France, il a fait beaucoup de presse nationale et internationale, notamment dans des revues de photographies. Je suis ravi que personne n'ait tenté de faire de la récupération politique, car je l'ai toujours interdite.
Par contre, j'ai toujours tenu à ce que ce soit poétique, c'est un premier travail, en un an il a été exposé deux fois à Paris, à Marseille, aux Emirats et sera visible à Bruxelles en janvier, donc cette exposition a un petit retentissement qui m'a ouvert d'autres portes dans la photographie. Je suis musicien et mon travail photographique est reconnu, et je pense que je suis chanceux, car pour un premier travail tout ce qui m'arrive est magnifique.
Entretien réalisé par : Hana MENASRIA


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