Les manifestants comptent occuper la rue, même le soir, et être présents massivement aujourd'hui. Alger a vécu, dans un état d'ébullition, la veille du scrutin présidentiel. Des 9h, des centaines de citoyens se sont regroupés à la place du 11-Décembre à la rue Belouizdad (ex-Belcourt), lieu de ralliement choisi pour sa symbolique (souvenir des manifestations pour l'indépendance de l'Algérie à cette date en 1960). Ils ont entamé, une demi-heure plus tard, une marche sur Alger-Centre. Rapidement, la procession s'est étoffée jusqu'à drainer des milliers de marcheurs, qui se sont exprimés clairement contre le scrutin. "Il n'y aura pas de vote avec la bande", "Vous qui êtes spectateurs, vous êtes aussi concernés", ont-ils scandé en brandissant des cartons rouges sur lesquels est portée la mention : "Non, je ne vote pas". À quelques encablures de la place du 1er-Mai, devant un domicile mortuaire, les marcheurs se sont imposé le silence. La progression des manifestants est, toutefois, freinée à l'entrée de la rue Hassiba-Ben Bouali, par une double rangée de policiers et une de fourgons cellulaires. Sans chercher la confrontation avec les agents de police, ils ont bifurqué vers les ruelles adjacentes, en scandant "Mihoubi dégage. Mihoubi, vous n'aurez pas les voix du peuple". Ils ont interpellé aussi inlassablement les commerçants : "Fermez boutique et rejoignez-nous." Les échoppes ont baissé rideau les unes après les autres à Alger-Centre. La marche s'est reformée au milieu de la rue Hassiba-Ben Bouali. À hauteur de l'avenue Victor-Hugo, qui fait la jonction avec la rue Didouche-Mourad, les forces antiémeutes ont bloqué à nouveau le passage. Les femmes se sont aussitôt placées en première ligne, formant un bouclier protecteur des manifestants qui s'époumonaient à défier les autorités du pays : "Dans la capitale, il n'y aura pas d'élection". Le face-à-face a duré quinze minutes, puis soudainement, les policiers ont tenté de disperser la foule, en la repoussant, puis en lançant des bombes lacrymogènes. Sous les cris "Pouvoir assassin" et "Ô policiers, notre patrie n'est pas à vendre", "Etat civil et non militaire", cette dernière a mis le cap sur la rue Didouche-Mourad. Elle est arrivée à la rue Abdelkrim-Khettabi, au niveau de la Faculté centrale, sans encombre. Elle est divisée en trois contingents sur les deux ruelles perpendiculaires (Ghar Djebilet et 19-Mai-1956), la rue Hamani (ex-Charras) et les abords de l'esplanade de la Grande-Poste, par des cordons de sécurité. À ce moment-là (vers midi), les agents de police interpellent une vingtaine de manifestants, qu'ils enferment dans la cage d'escalier d'un immeuble. Les clameurs de la foule n'ont pas baissé d'intensité. Etrangement, la police lâche du lest quelques instants plus tard et permet aux groupes de manifestants opposés à la présidentielle de se réunir. À vrai dire, les deux parties ont joué au chat et à la souris toute la journée. Les forces anti-émeutes, encadrées par des officiers, confinaient tantôt les manifestants dans des carrés contrôlés, tantôt leur libéraient des espaces plus larges. À proximité du lycée des Frères-Barberousse, quelques dizaines de citoyens ont simulé une opération de suffrage, en remplaçant l'urne par une cuvette des toilettes. Ils y ont jeté symboliquement des bouts de papier blanc en y inscrivant tour à tour les noms des cinq candidats. L'affluence est de plus en plus dense au fur et à mesure que les échos de la marche parviennent aux Algérois à travers les réseaux sociaux notamment. Les protestataires ont promis de passer la nuit dans la rue, qu'ils occuperont massivement le jour du vote.