Naïma reçoit le trophée et la banderole dorée. Fière, elle redresse la tête et sourit, tandis que ses yeux s'humidifient. Miss Algérie. Elle avait décroché le titre de rêve au prix de grands efforts. Pas très grande, pourtant. Mais ses traits fins et ses mensurations sans reproche ont fait d'elle un modèle appréciable de la femme élégante et recherchée. Les jurés, eux, ont tout bonnement opté pour sa silhouette et son teint méditerranéen. Les applaudissements du public à l'annonce de son nom provoquent en elle une grande émotion. Le trac, la joie, les larmes... Des sentiments incontrôlables. Un volcan, un séisme… Qu'en savait-elle ? Ce qu'elle sait par contre, c'est que quelque chose a vibré dans son être et au fond de son âme. Quelque chose d'inexplicable et d'indescriptible qui a fait d'elle une poupée de chiffons irresponsable de ses actes. Des bruits parviennent à ses oreilles. Le geste lent et le sourire stéréotypé, elle se prête aux flashs des appareils photo et aux caméras. Un des organisateurs lui demande de dire quelque mot, et elle s'entend prononcer : "Je suis très heureuse, je vous aime tous. Merci."Des balivernes !… Mais il faut passer par là ! De nos jours, c'est cela ou rien. Et maintenant qu'elle détient le titre de la plus belle fille d'Algérie, elle va devoir faire face à un tas d'exigences. Des applaudissements parviennent à ses oreilles. Encore des applaudissements. Même le public est faux. Il applaudit machinalement selon l'ambiance. La lumière des projecteurs, la musique et toute cette atmosphère commencent à l'étouffer. Les deux dauphines à ses côtés ne cessent de gesticuler. Elles sont, comme elle, les vedettes du jour et forment toutes ensemble le trio sélectionné après un rude et long itinéraire. C'est qu'il faut supporter toutes les épreuves sans broncher. S'exposer dans différentes tenues et se laisser dévisager et jauger avant de décrocher la note unanime du jury. Toute à fait au début, Naïma avait admiré et aimé le scintillement artificiel de ce monde qu'elle commençait à découvrir plus profondément. Une fois même, elle avait révélé à Nabil, son fiancé, son intention de participer à un défilé de mode. Mais ce dernier n'a pas approuvé l'idée. "Tout ce qui brille n'est pas or", avait-il répliqué. Je te vois très mal en train d'exposer ta silhouette sur un podium." Naïma, loin d'être frustrée, a plutôt adhéré aux idées de Nabil. Il est vrai qu'entre la femme qui réclame ses droits et celle qui se transforme en femme-objet, il y a ce qu'on pourrait appeler le paradoxe d'une lutte et d'un conflit qui durent depuis des générations, voire des siècles. La femme veut sa liberté, certes, mais elle accepte cependant de revenir à sa féminité devant le regard d'un homme. De ce fait, on déduira qu'elle est toujours prête à redevenir cette femme soumise et obéissante. Enfin, du moins tant que l'amour fait tout passer. Naïma "redescend". Son esprit a plané au dessus de ses idées. Encore sur la plus haute marche du podium, elle accepte de signer des autographes et de prendre des photos-souvenir avec quelques participantes qui, malgré leur déception, voire leur jalousie, adoptent un comportement guindé et l'embrassent en la félicitant chaleureusement au milieu des fleurs et des rubans en soie.
(À SUIVRE) Y. H. [email protected] Vos réactions et vos témoignages sont les bienvenus.