DJ, producteur et organisateur d'événements à vocation culturelle et sociale, à l'exemple du festival "l'Art est public", Yane Ouchene vient de sortir un EP électro qui "revêt un esprit politique, mais aussi historique", à l'instar des tracks sur le 17 Octobre 1961 et le Hirak. Liberté : Vous venez de sortir Tamurt. Pouvez-vous revenir sur la création de cet album si particulier ? Yane Ouchene : Tamurt signifie pays ou village dans quelques régions de la Kabylie. C'est un "Ep" dans le langage des Dj et les labels. Cet EP électro regroupe trois titres, que j'ai produits pendant le Hirak en 2019, et revêt un esprit politique, mais aussi historique. On y retrouve un mélange de sonorités nord-africaines entre chants, percussions et messages politiques. Chacun de ces tracks raconte une histoire entre témoignages de crimes de guerre, témoignage sur le 17 Octobre 61, ainsi qu'un ancien chant de Nna Chrifa qui parle de l'Algérie. C'est un retour sur l'Histoire d'hier pour ne pas oublier et avancer sur l'Histoire de demain. À travers de la musique électro, vous faites passer des messages politiques, notamment sur les crimes de guerre et la Révolution du sourire. Pourquoi ce choix ? On dit que l'artiste est un témoin de son temps, la vérité est que je n'ai pas vraiment choisi le thème, et ce n'était pas prévu que je sorte un Ep avant mon premier album sur lequel je travaille encore, c'est venu tout seul avec l'inspiration du moment. Le 22 février 2019, j'étais en Tunisie, j'ai suivi de loin le Hirak. Même si j'ai fait des allers-retours en Algérie pour manifester, tout en participant à quelques actions de solidarité avec des collectifs Algériens en Tunisie. Alors j'ai ressenti un besoin de faire quelque chose et de dire plein de choses, comme chaque Algérien à cette période. Comme je suis loin, mon seul refuge était d'aller vers la musique et d'exprimer ce que je voulais dire à travers elle, car c'est mon outil d'expression et de création. Ce genre musical est souvent stigmatisé (seulement "conçu" ou "joué" dans les boîtes de nuit…). Peut-il être lié à la politique ? Ce genre de musique est stigmatisé en Algérie, parce que nous n'avons pas vraiment une culture de la musique électronique, et ça se comprend avec le manque de festivals et d'infrastructures. La musique électronique, c'est tout un monde et on y retrouve beaucoup de styles, plusieurs tons et peu d'espaces qui offrent cette découverte au grand public algérien. Pour moi, elle est liée à la politique. La musique électronique, c'est comme toutes les autres musiques, on y retrouve différents tons, comme faire "vibrer", faire voyager, etc. Moi j'ai choisi celui de donner à réfléchir. Chacun oriente son sujet comme il le veut, la politique existe depuis longtemps dans les mouvements underground. Certains font juste de la musique pour faire danser les gens, d'autres veulent les toucher, passer un message… Je ne suis pas le premier à le faire, à l'exemple de Jean-Michel Jarre qui avait enregistré en 2016 un morceau avec le lanceur d'alerte américain Edward Snowden. Personnellement, j'estime que la musique électronique peut encore, à sa manière, parler de politique au sens citoyen et non partisan. L'électro est le langage de la résistance, des groupes comme Underground Resistance ont utilisé la musique pour transmettre leur lutte et surmonter l'oppression. Je trouve que c'est vraiment important de pouvoir faire passer des messages à travers nos créations de manière émotionnelle et pas uniquement intellectuelle. Vous avez lancé dernièrement en Tunisie "Assaru Project pour la sauvegarde et la promotion de la culture amazighe". Pouvez-vous nous donner plus de détails sur cet événement ? Et comptez-vous le programmer en Algérie ? Histoire contée ou série en tamazight, Assaru est un projet artistique itinérant qui s'inscrit dans l'optique de la sauvegarde et de la promotion de la culture amazighe, et ce, en regroupant plusieurs arts, afin de faciliter l'accès et de valoriser cette culture à travers les arts. Il était important pour moi de relier et de fédérer les arts dans un seul projet pour participer à la valorisation de cette culture souvent oubliée et méconnue. J'aimerais beaucoup qu'Assaru puisse tourner en Algérie et même dans d'autres pays du monde ! Vous êtes également un activiste culturel et organisateur de plusieurs événements. Peut-on vous qualifier d'artiste engagé ? L'artiste s'engage d'abord pour l'art parce qu'il est artiste. Comme vous le savez, l'art et la culture sont souvent réservés à une classe sociale particulière, et cela est encore plus vrai en Algérie. Venant d'un quartier populaire, l'art a été pour moi un moyen d'expression et d'engagement. Il m'a permis de m'ouvrir sur le monde et de vouloir faire passer des messages. Il me tient à cœur de mettre un aspect social dans les événements ou dans ma musique. Le track Anagui, par exemple, est un sujet important, et pour le coup, on peut y entendre l'histoire de cette guerre vécue par une femme. Le message est double : la valorisation de la femme kabyle comme porteuse de l'Histoire et de souffrance, mais aussi un message contre l'oubli des crimes de guerre. Cela n'a pas pour but de revenir à une mentalité haineuse ou de raviver cette plaie algérienne, mais plutôt de ne pas oublier l'Histoire, de pouvoir à travers la musique prendre du recul pour avancer. C'est un message à toutes les générations présentes et à venir. D'autres titres qui ne sont pas dans l'EP avaient pour but aussi de rendre hommage aux détenus politiques comme le titre El Tabbou que j'ai produit après son arrestation. Cet Ep représente les prémices d'un projet plus large qui me tient à cœur sur une création sonore et artistique autour des chants amazighs, et ce, dans les trois pays du nord de l'Afrique, afin de continuer de la valoriser et de la transmettre tout en faisant passer des messages. Entretien réalisé par : Hana Menasria