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"Repenser les termes d'une sécurité alimentaire durable"
Omar Bessaoud, économiste, spécialiste des questions agricoles
Publié dans Liberté le 28 - 06 - 2020

Omar Bessaoud suggère quelques pistes de réflexion pour permettre à l'Algérie de réduire sa dépendance alimentaire vis-à-vis des marchés extérieurs.
Liberté : L'Algérie demeure un importateur net de produits alimentaires. Quels sont, selon vous, les dangers de cette forte exposition aux importations des produits alimentaires ?
Omar Bessaoud : La dépendance est en effet particulièrement forte pour les céréales et le lait. L'Algérie fait partie, depuis le milieu de la décennie 2000, d'un cercle restreint composé de 6 pays dont les importations sont supérieures à 5 millions de tonnes/an de céréales. Elle est le deuxième importateur mondial de poudre de lait après la Chine, avec environ 17% du marché mondial.
Fin mai 2020, les quantités de céréales déchargées dans les ports du pays se sont élevées à près de 125 millions de quintaux, dont 61,2 M de quintaux de blé tendre, 8,5 M de quintaux de blé dur, 4,5 M de tonnes d'orge, et près de 50 M de quintaux de maïs. Les importations de blé ont doublé entre les années 1998-99 et 2019-2020, et l'Algérie écrase, à elle seule, presque autant de blé français que la meunerie française –4 Mt/an.
Un autre indicatif significatif : le ratio de dépendance en céréales du pays indique que plus de 70% des besoins en céréales sont couverts par les importations. Côté exportations, elles sont marginales ; elles représentent à peine 0,6% des exportations totales, le sucre occupant le premier poste devant les dattes.
Ce sont donc les recettes issues des hydrocarbures qui assurent les dépenses d'importations alimentaires, qui, avec plus de 8,5 milliards de dollars en moyenne au cours de la dernière décennie 2010-2019, représentent le 1/5 de nos importations totales.
Ces quelques données révèlent ainsi la vulnérabilité alimentaire du pays. Notons toutefois que le pays dispose encore aujourd'hui des moyens financiers pour faire face à la demande de consommation, et les tensions à gérer sont à venir. Si les stocks de blé mondiaux se maintiennent, des difficultés peuvent-elles résulter demain du tarissement de nos réserves de changes ?
Nous n'en sommes pas encore là, et la situation économique du pays ne peut être comparée à celle qui prévalait au début des années 1990, où les recettes payaient le fardeau de la dette extérieure, et où l'Etat algérien était contraint d'emprunter pour assurer des importations alimentaires.
Rappelons que le Maroc et la Tunisie, enregistrent des déficits structurels de leur balance agricole, et ce, dans un contexte où les réserves de changes sont de loin inférieures à celles de notre pays, que le Liban est en faillite et dépend autant que l'Algérie, sinon plus, des importations. Et pourtant, même si des poches de précarité et de pauvreté persistent dans ces pays, ils bénéficient d'un score pour l'indice de la faim (le Global Hunger Index) les classant dans le groupe de pays à faible risque alimentaire.
Que dire de Cuba qui assure depuis plus d'un demi-siècle l'alimentation de son peuple dans des conditions d'embargo économique insupportable ! Cela pour dire que des marges de manœuvre pour faire face aux menaces existent et que les réponses à ces menaces sont de nature d'abord politique : elles seront à la mesure des capacités de l'Etat à définir et à mettre en œuvre une autre politique économique et sociale.
Cette situation est-elle une fatalité ou bien l'Algérie peut-elle inverser la tendance en matière de déficit en produits agricoles et agroalimentaires ?
Deux ou trois précisions s'imposent. Premièrement, comme de nombreux pays dans le monde il est impossible pour le pays de produire tout ce qu'il consomme. Nous ne le pouvons pas, compte tenu à la fois de nos conditions agroclimatiques et de l'état de nos potentiels naturels (sols, eaux d'irrigation) qui sont, contrairement à ce qui est souvent affirmé, très limités.
Deuxièmement, le pays importe aussi les intrants indispensables à la production agricole : semences, engrais, produits phytosanitaires, machines agricoles, produits vétérinaires, bovin laitier, etc. Notre agriculture n'est pas autonome, et nous ne maîtrisons pas les facteurs de notre souveraineté alimentaire. Mais il s'agit là de politique industrielle et de la problématique du développement.
Troisièmement, si nous ne pouvons pas supprimer (en dépit des incantations des décideurs politiques), la dépendance dans le domaine des céréales, il est en revanche possible de la réduire et de résorber en partie le déficit de la balance commerciale agricole.
Le pays n'est pas à l'abri de chocs économique (baisse durable de nos ressources financières), commercial (aléa des marchés mondiaux), politique (conflits régionaux), ou naturel (cataclysmes, crise climatique ou sanitaire). Là résident l'enjeu stratégique et le défi à relever. Pour cela, il faut repenser sérieusement les termes d'une sécurité alimentaire durable conjuguée à une souveraineté alimentaire a minima.
Comment concevoir justement un modèle de sécurité alimentaire durable ?
La première exigence qui s'impose dans le cadre de cet objectif est d'établir un nouvel équilibre entre approvisionnements extérieurs et offre nationale en réalisant l'autosuffisance au sein de trois filières prioritaires qui ont un poids décisif sur le profil nutritionnel et alimentaire des populations. L'autosuffisance en blé dur, en légumes secs (fèves et pois chiches) et en produits laitiers sont des objectifs à notre portée.
Des réductions importantes des importations peuvent également être réalisées pour l'orge. Les autres produits importés (sucre, huiles alimentaires) ne peuvent pas cependant être produits localement ; ils sont à la limite substituables et/ou accessibles auprès de pays amis. Les légumes frais et les viandes produits localement pourront compléter une ration alimentaire plus proche de la diète méditerranéenne.
Il sera nécessaire de s'orienter vers un régime alimentaire plus sobre, plus proche de notre héritage culinaire, et où la qualité sanitaire (autre composante de la sécurité alimentaire) occupera toute sa place. La crise sanitaire a très nettement révélé les risques liés à l'obésité (qui affecte le quart de la population adulte du pays), ou à des maladies chroniques comme le diabète. La sécurité alimentaire est possible à condition d'appuyer et de réhabiliter de nombreux territoires ruraux oubliés où vivent et travaillent de nombreux ménages agricoles.
De nombreuses initiatives citoyennes favorisant l'autonomie alimentaire de certains territoires ont été observées lors de la crise sanitaire ; des villageois ont remis en culture des terres, planté et greffé des arbres fruitiers, installé des petits élevages. Des associations initient le développement de jardins potagers dans la périphérie des villes (permaculture) et appuient l'agriculture paysanne. L'Etat et ses institutions peuvent à l'avenir accompagner de telles initiatives qui contribuent à l'autonomie alimentaire.
Le pays a fait le choix d'accélérer le développement de l'agriculture saharienne. D'après vous, quel est le modèle de croissance agricole qui serait le plus efficace, le plus rentable et le plus respectueux des ressources naturelles ?
L'impératif de sécurité alimentaire a conduit le gouvernement à faire le pari de l'agriculture saharienne. Il se fixe l'objectif de mettre en valeur 260 000 ha dans le court et moyen termes et d'un million d'hectares dans le long terme en intensifiant l'exploitation des eaux souterraines du Sahara. Les cultures envisagées sur ces nouvelles terres sont les cultures stratégiques (céréales, fourrage, betterave à sucre, soja, colza, arachide, élevage laitier). Une agence de développement de l'agriculture saharienne sera l'instrument de mise en œuvre de cette politique.
Les mesures fiscales de soutien aux investissements et les grandes lignes du cahier des charges imposant des règles d'utilisation rationnelle de l'eau sont déjà définies. L'on nous annonce même des applications numériques d'aide à la décision et au suivi des systèmes d'exploitation des ressources, etc. Des investisseurs nationaux et étrangers sont déjà en lice. Nous n'affirmerons pas qu'il faille se priver d'exploiter les ressources existant dans le Grand Sud.
Nous attirons seulement l'attention sur les effets pervers d'un modèle agri-business qui a les préférences des décideurs. Les bilans établis par les recherches académiques ou les études (en particulier, celles de l'Observatoire du Sahara et du Sahel-organisme intergouvernemental auquel l'Algérie appartient) appellent à la prudence. L'eldorado aux ressources naturelles illimitées que l'on évoque pour justifier le pari fait sur l'agriculture saharienne est un mythe. La réalité est que ce choix fait par les décideurs se situe dans une logique extractiviste et signe un mode d'exploitation minière de ressources en eau.
Il est coûteux sur le plan économique et hasardeux sur le plan écologique et social. Après près de 40 ans d'expériences (de Gassi Touil, Abadla aux grandes concessions d'aujourd'hui) et les échecs constatés en Libye et en Arabie saoudite, comment persister dans cette voie sans évaluation économique, technique ou écologique ? Toutes les études académiques ou techniques disponibles ont mis l'accent sur les limites de tels projets, notamment lorsqu'ils sont consacrés aux grandes cultures : externalités négatives avec surexploitation des eaux, coûts exorbitants, pollution chimique, tarissement de sources, réduction de l'artésianisme, salinisation...
Elles ont révélé les fragilités des périmètres de Biskra et d'El-Oued qui comptent parmi les régions où la nappe est la plus vulnérable. Les spécialistes recommandent vivement d'opter "pour des exploitations de taille réduite afin d'occuper le maximum de gens à la campagne" (OSS, 2014), de reproduire en le rénovant le modèle oasien qui est le modèle de croissance dans ces régions le plus robuste car ayant fait la preuve de son efficience économique, sociale et environnementale. Il s'agit là d'une autre vision du développement rural saharien qui s'appuie sur d'autres acteurs et travaille pour un autre type d'intégration, aujourd'hui fortement réclamée par les jeunes de Tin Zaouatine.
Quelle démarche suggérez-vous en définitive pour asseoir les fondements d'une politique agricole plus rationnelle et plus efficiente ?
L'Algérie a besoin de soutenir son effort d'investissement dans l'agriculture pour poursuivre la croissance agricole qui est sous contrainte de démographie forte... mais en préservant des ressources naturelles qui sont notre capital le plus précieux. Le temps est venu d'en finir avec des modes de décision qui nous concernent en tant que citoyens, car l'exploitation de ces ressources engage l'avenir de nos territoires.
Le pays est en attente d'une refondation de la politique agricole : celle-ci pose l'exigence d'une agriculture qui allie performance des productions et préservation de richesses naturelles rares, qui mobilise le modèle technique agroécologique, qui s'appuie sur les acquis de la science et de la recherche agronomique, sécurise les droits des exploitants, et leur affecte et à eux seuls les aides budgétaires, qui améliorent la position des agriculteurs dans la chaîne des valeurs et réhabilitent les formes familiales et paysannes.
Cette politique agricole doit s'insérer dans une stratégie de développement ambitieuse qui vise la reconstruction du tissu productif national. Autrement dit, il faut viser un modèle de croissance qui s'affranchit des logiques de captation des rentes, qui renoue avec le travail vivant et éradique les formes multiples de prédation économique qui existent.

Propos recueillis par : ALI TITOUCHE


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