Tassaft Ouguemoun est un haut lieu de mémoire et d'histoire. En ce samedi d'août brûlant, ce village accroché aux flancs du Djurdjura a pris les allures d'un rendez-vous de la démocratie pour laquelle un de ses meilleurs enfants s'est vaillamment battu. Vingt-six ans après sa disparition subite, Mustapha Bacha continue de susciter admiration, adhésion et surtout d'inspirer les nouvelles générations qui se sont donné rendez-vous, hier, pour célébrer son combat. Ils étaient, en effet, nombreux à se rendre à Tassaft Ouguemoun, localité sise à 35 kilomètres au sud de Tizi Ouzou, pour prendre part à la cérémonie de recueillement organisée à sa mémoire à l'initiative de la fondation qui porte le nom de cette figure militante. Les contraintes imposées par la crise sanitaire n'ont pas empêché un déplacement en nombre au village du défunt pour se recueillir sur sa tombe. "Cette journée intervient cette année dans une conjoncture très particulière vu la crise sanitaire du Covid-19, mais nous la commémorons dans la dignité et la fraternité et surtout dans le strict respect des gestes barrières qu'impose la prévention sanitaire", a précisé la fondation. À l'appel au recueillement à la mémoire du fougueux militant de la démocratie, d'anciens compagnons de lutte, des citoyens, des élus et des personnalités politiques ont répondu avec enthousiasme. Des représentants du bureau national et régional du RCD, des représentants de la fondation Colonel-Amirouche, le comité et la section sportive du village de Tassaft, de nombreux P/APC, des militants de la cause démocratique et identitaire, ainsi que de nombreux anonymes ont pris part à cette commémoration qui a débuté à 10h par le traditionnel dépôt de gerbes de fleurs sur la tombe du défunt. La cérémonie s'est ensuite poursuivie avec une prise de parole durant laquelle les différents intervenants ont tenu à rendre hommage au parcours de ce militant qui, par sa légendaire exaltation, a su réenchanter l'engagement politique. Parti trop tôt, à l'âge de 38 ans et en plein tournant tragique de l'Algérie, Mustapha Bacha demeure un héraut du combat démocratique sous le régime du parti unique. Avec d'autres compagnons de lutte, il a courageusement labouré le champ des libertés démocratiques dans une période de glaciation politique. C'est à cet homme à part, qu'hier, de nombreux citoyens ont voulu exprimer leur gratitude. Comme pour rappeler leur attachement à une histoire de lutte qui vient de loin. Jeune étudiant, à l'époque où l'enfant de Tassaft était déjà une figure démocratique affirmée, l'actuel président du Rassemblement pour la culture et la démocratie, Mohcine Belabbas, se souvient encore des envolées lyriques de celui qui fut un des fondateurs du RCD. Mais surtout des valeurs qu'il incarnait. Devant sa sépulture, M. Belabbas a évoqué un dirigeant politique qui avait toujours lutté pour la "fraternité" et surtout pour la "vérité". "La vie de Mustapha Bacha est l'histoire même d'un combat politique. C'était un militant de la première heure qui joignait toujours l'acte à la parole. C'était un militant juste et surtout infatigable !" "Mustapha était aussi un unificateur, un rassembleur et un homme de paix. Il était à l'avant-garde des luttes démocratiques, des droits de l'Homme et pour tamazight. Il a commencé son combat dès son plus jeune âge, en militant pour un idéal : une Algérie prospère où toutes les forces vives sont unies et réunies." Un message qui a toute sa résonance dans la période actuelle chargée d'incertitudes. "Aujourd'hui, le combat et les idées de Mustapha Bacha ont germé à travers tout le pays où on voit un peuple unifié", a conclu Mohcine Belabbas. C'est là, justement, le triomphe des batailles menées par Bacha et ses camardes. "Poursuivre la lutte pour les mêmes idéaux que Mustapha a toujours défendus." "L'union doit être la valeur à cultiver pour les années à venir. Nos susceptibilités ne peuvent pas constituer un fonds de militantisme, mais c'est plutôt l'union qui doit être notre fonds à l'avenir, et ce, pour une Algérie démocratique, sociale et souveraine", a plaidé Belkacem Boukhrouf, enseignant à l'université de Tizi Ouzou, qui fait justement partie de la génération militante que l'on peut considérer comme un des aboutissements de la génération Bacha. Dans ce moment de recueillement et de retrouvailles, rempli d'émotion, le jeune frère du défunt a plutôt salué tous ces militants fidèles à la mémoire du militant que fut son frère, et qui "continuent à se reconnaître dans son combat et les valeurs de l'union et la fraternité qu'il a toujours prônées". Diplômé en sciences économiques de l'université d'Alger, Mustapha Bacha a vite brillé par son engagement dans les luttes démocratiques et sociales alors que l'Algérie était plongée dans les années de plomb. Appartenant à la mouvance d'extrême gauche, il a été arrêté en avril 80 et emprisonné avec ses 23 camarades. À l'ouverture politique en 1989, Mustapha Bacha fera partie du groupe qui allait lancer le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) où il a joué un rôle d'animateur de premier plan. Et c'est au moment où l'Algérie basculait dans l'horreur que son cœur s'est arrêté de battre. C'était le 8 août 1994. K. Tighilt