Pour le juriste Aïssa Rahmoun, la peine capitale est tout simplement la négation du droit à la vie. La question est d'ordre civilisationnel, dit-il, en expliquant que l'Etat moderne, fort de ses institutions et de sa justice, a inventé d'autres mécanismes pour rendre justice autrement que par l'application de la peine capitale. Liberté : Le crime commis contre Chaïma continue de susciter beaucoup d'émotion et d'indignation dans la société algérienne. Certaines voix appellent à l'application de la peine de mort ? Quel regard portez-vous sur cette situation ? Aïssa Rahmoun : Il faut dépassionner le débat autour de cette question. Ce genre de crime horrible qui se produit dans notre société, très regrettable notamment quand ce sont nos enfants qui en sont les victimes, ne doit pas constituer un alibi pour mener des politiques répressives rétrogrades et dépassées par le temps, comme la peine de mort. Au lieu de fixer notre regard sur les effets et les résultats des violences multiformes qui se sont installées profondément et durablement dans notre société, il faut plutôt étudier les raisons qui ont mené à leur émergence. Et sur ce plan, il faut dire que les pouvoirs publics ont tout simplement abandonné la dimension humaine de l'Algérien. C'est sournois, et cela conduit à tous les dépassements. C'est le propre des systèmes autoritaires où la justice a perdu son indépendance et où le législateur s'occupe d'autre chose que ce qui est en lien avec l'humain. Quand on sait que l'école algérienne est sinistrée, que le milieu scolaire est envahi par différentes formes de délinquance, que la sécurité nationale répond plus à l'agenda du régime qui vise à se maintenir que d'assurer la quiétude du citoyen dans son quotidien, quand on sait que la cellule familiale a été fracturée, tout cela finit par faire le lit des violences les plus abominables et de la frustration généralisée. À cela s'ajoute la privation des libertés des citoyens qui est également un facteur non négligeable véhiculant tous les excès imaginables. Cela se manifeste, à la fin, et malheureusement, par des crimes parfois horribles comme dans le cas de la jeune Chaïma, atrocement assassinée. Pour ce qui est des appels d'une partie des Algériens à l'application de la peine de mort, il me semble que cela s'explique également par la perte de repères et l'appauvrissement du débat social. Aussi, il faut prendre également en compte la dimension religieuse dans notre société. L'Algérie qui applique un moratoire sur la peine capitale, depuis 1993, risque-t-elle de revenir sur cette décision et ainsi appliquer la peine de mort ? Tout est possible en Algérie ! Le pouvoir en place n'a pas hésité à mettre à profit la crise sanitaire liée à la Covid-19 pour procéder à des arrestations massives des militants et activistes du Hirak dans le but d'étouffer ce mouvement populaire. Il n'hésitera pas aussi à instrumentaliser cette affaire liée à la peine capitale pour des agendas politiques. Pour lui (le pouvoir), toutes les stratégies et les stratagèmes sont bons pour détourner la société des débats essentiels, à savoir la construction d'un Etat de droit et démocratique. La force d'un Etat, faut-il le rappeler, n'est pas le fait de décréter des lois répressives et de les exécuter. La force d'un Etat se situe dans sa capacité à mettre en œuvre des mécanismes permettant aux citoyens de s'épanouir pleinement et de jouir de leurs droits. Aussi, le combat ne se situe pas au niveau des textes de loi, il se situe au niveau de la démocratisation de la justice et la construction d'un Etat de droit. Si l'Etat n'arrive pas à garantir les droits les plus élémentaires énoncés dans les conventions internationales, et ratifiées par l'Algérie, la violence continuera de se manifester sous son visage le plus atroce. Pourquoi faut-il abolir la peine de mort ? La peine capitale est tout simplement la négation du droit à la vie. La question est d'ordre civilisationnel. L'Etat moderne, fort de ses institutions et de sa justice, a inventé d'autres moyens et d'autres mécanismes de rendre justice autrement que par l'application de la peine capitale. C'est une pratique d'un autre temps, et si elle est toujours en cours dans certains pays, souvent, il s'agit d'Etats foncièrement rétrogrades et dictatoriaux. Il faut abolir la peine de mort en Algérie parce qu'il n'y a pas le droit à la vie. Ce dernier suppose beaucoup de choses : il suppose le droit du citoyen à participer dans les débats de sa société, le droit de bénéficier d'un logement, le droit de bénéficier d'un encadrement pédagogique performant ou encore le droit de bénéficier d'un système de santé probant, ainsi que le droit de conscience. La peine capitale ne règle en rien les conflits et ne sert en aucun cas à en finir avec les crimes et la violence sous toutes ses formes. C'est de plus une voie extrême qui exclut les voies apaisées de règlement des conflits. À cela s'ajoutent toutes les erreurs judiciaires que la peine de mort rend possibles. Les exemples, à travers le monde, ne manquent pas.