Lorsqu'en mai 2019, la secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, a été placée sous mandat de dépôt pour un présumé "complot contre l'Etat" et "atteinte à l'autorité de l'armée", accusations abandonnées quelques mois plus tard par la justice, peu y avaient vu le signe avant-coureur de ce qui apparaît aujourd'hui comme une criminalisation de l'action politique et une entreprise d'étouffement de toute voix d'opposition. Car, depuis, bien des figures de l'opposition, à l'image de Karim Tabbou, ont été réduites au silence lorsqu'elles ne sont pas "neutralisées". En décidant de la levée de l'immunité parlementaire au président du RCD, Mohcine Belabbas, le Parlement, dénué de toute légitimité et composé essentiellement de "députés" de partis rejetés massivement par le mouvement populaire, vient de donner la preuve éclatante, malgré lui, que cette entreprise d'étouffement n'est pas une simple vue de l'esprit mais procède bien d'une stratégie dont les contours et les desseins demeurent pour l'heure flous. Sinon, comment expliquer que parallèlement à cette levée de l'immunité, un membre du conseil national du RCD, issu de l'émigration, est condamné à un an de prison ferme, tandis qu'un jeune maire du même parti de la commune d'Afir dans la wilaya de Boumerdès a été suspendu après avoir été condamné à son insu pour avoir donné l'autorisation à une famille de célébrer un mariage dans la cantine d'une école ? Bien avant ces faits, le parti s'était déjà vu refuser l'autorisation de tenir son conseil national dans un hôtel à l'ouest d'Alger au motif officiel "d'impossibilité du respect du protocole sanitaire vu le nombre de participants". Loin d'être isolées, ni fortuites, ces "attaques" simultanées laissent à penser que le RCD est ciblé et que des parties cherchent probablement à le neutraliser, faute peut-être de ne pas pouvoir l'apprivoiser. Mais à qui profite cette entreprise visant à réduire au silence un parti légal, existant depuis plus de trois décennies, et qui a eu à jouer un rôle de premier plan dans la sauvegarde de la République, à travers l'appel à la résistance, face à la menace du terrorisme dans les années 90 ? Cherche-t-on à éliminer un parti en phase avec le Hirak ? Son rôle au sein du Pacte pour l'alternative démocratique (PAD) incommode-t-il dans ce contexte de "normalisation" qui ne dit pas son nom ? Cherche-t-on à le faire plier pour l'amener à quelques concessions et à la soumission ? "L'interdiction du conseil national du RCD et la demande de levée de l'immunité parlementaire de son président sont l'illustration parfaite de cette stratégie du pire. Il s'agit dans cette opération de neutraliser le RCD pour ouvrir la voie à une hypothétique reconfiguration autoritaire de la scène nationale", avait estimé récemment le RCD à l'issue de la tenue de son conseil national. C'est peut-être cette perspective de reconfiguration de la scène politique qui explique aussi le refus d'autoriser des partis appelant à voter "non" à la Constitution d'activer sur la scène politique, à l'image du MSP, et de parrainer officiellement une pseudo-société civile et les partis ayant constitué la base sociale et politique de l'ère Bouteflika. "Bloquer les activités de ceux qui disent ‘non' et exploiter l'administration pour la réussite des activités de ceux qui disent ‘oui' : y a-t-il plus de preuves vers quoi nous nous acheminons avec cette Constitution ?", a posté sur son compte Facebook le MSP qui s'est vu refuser deux activités, à Sétif et à Oran. Assurément, l'opposition, déjà exclue des médias, traverse l'une des pires périodes de son existence. Une situation qui contraste singulièrement avec les assurances officielles et les professions de foi des dirigeants sur la bonne santé "démocratique" du pays. Il reste que la neutralisation d'un dirigeant de parti ne signifie aucunement que les aspirations portées par les militants seront étouffées. Les exemples dans l'histoire sont légion. Et rien de plus emblématique que les marques de solidarité dont le président du RCD a été destinataire.