Il est notamment reproché à l'ancien wali d'Alger une "corruption aggravée", une "atteinte intentionnelle" aux deniers publics et d'avoir accordé "d'indus avantages" à autrui. L'ancien wali d'Alger, Abdelkader Zoukh, a passé hier sa première nuit en prison. Il a été mis, en fin de journée, sous mandat de dépôt par le juge du tribunal de Tipasa qui a prononcé à son encontre deux peines de prison. Ainsi, il a été condamné à 4 ans de détention, puis à 5 ans de prison dans respectivement les affaires d'avantages accordés, respectivement aux familles d'Abdelghani Hamel et de Mahieddine Tahkout. Entré libre au tribunal deTipasa qui le jugeait hier dans une troisième affaire d'indus avantages accordés à l'ancien homme d'affaires Ali Haddad, Abdelkader Zoukh a été conduit à la fin de l'audience, par des policiers, vers le pénitencier de Koléa où il devra rester en détention au moins jusqu'à l'examen de ses procès en appel. Il est notamment reproché à l'ancien wali d'Alger une "corruption aggravée", une "atteinte intentionnelle" aux deniers publics et d'avoir accordé "d'indus avantages" à autrui, a précisé le juge dans le prononcé du verdict. Dans les deux dossiers traités fin novembre par la même juridiction, en plus de la peine d'emprisonnement, M. Zoukh doit payer une amende de 10 millions de dinars. La peine est également assortie, dans les deux affaires, d'une inéligibilité de 3 ans et une interdiction d'occuper une fonction publique durant les mêmes délais. Lors des procès tenus le 28 novembre dernier au tribunal de Tipasa (étant wali d'Alger, il ne pouvait être jugé dans sa circonscription), Abdelkader Zoukh a dû répondre aux accusations d'attribution d'indus avantages. La justice s'est notamment intéressée à des assiettes foncières attribuées à des hommes d'affaires pour la construction de projets qui, dans les faits, n'ont jamais vu le jour. C'est le cas de Chahinez Hamel, la fille de l'ancien DGSN, qui a obtenu une assiette de 7 000 m2 au niveau du quartier d'affaires de Bab-Ezzouar. Cinq ans après, le projet d'une tour et d'un hôtel n'ont jamais vu le jour. Pis encore, la jeune femme ne s'est acquittée que partiellement des redevances dues au Trésor public et n'a jamais payé les charges d'aménagement. Le montant s'est élevé à plus de 140 millions de dinars. Malgré cela, l'administration n'a jamais levé le petit doigt. Cela s'ajoute aux autres avantages, notamment des logements sociaux, que les enfants d'Abdelghani Hamel avaient obtenus sans pas même présenter de document. Les faits similaires ont été reprochés à Abdelkader Zoukh dans le dossier de Mahieddine Tahkout. L'homme d'affaires avait également obtenu des terrains souvent sans garantie, et parfois, en infraction avec la législation en vigueur. L'homme d'affaires, appelé comme témoin, a plaidé l'intérêt de la collectivité en "créant des emplois et des richesses". Quant à Abdelkader Zoukh, sa défense n'a pas varié dans les trois dossiers : il a plaidé la bonne foi et s'est défaussé sur les fonctionnaires des différentes administrations en qui "j'avais une confiance aveugle", a-t-il dit à chaque fois. Un argument qu'il a, par contre, difficile à faire admettre à l'audience lorsqu'il le tribunal avait abordé le sujet de l'octroi du marché de transport urbain à l'entreprise Tahkout en violation du code des marchés publics. Et lorsque les questions du juge, qui maîtrise parfaitement son dossier, sont gênantes, l'ancien wali répond qu'il s'agissait "de questions techniques". Lorsqu'Ali Haddad avait pied partout C'est d'ailleurs cet argument "technique" que l'ancien wali a brandi, hier, à l'ouverture du troisième et dernier procès dans lequel il est poursuivi, à savoir des avantages accordés à l'ancien président du Forum des chefs d'entreprises (FCE) Ali Haddad, entendu comme témoin par visio-conférence à partir de la prison de Tazoult (Batna) où il croupit. Comme lors des deux autres dossiers, l'assistance a découvert le vertige des chiffres ; au moins neuf assiettes foncières ont été accordées au patron de l'Entreprise des travaux de bâtiments et hydrauliques Haddad (ETRHB). Il s'agit souvent de terrains destinés à l'investissement, particulièrement touristique. Mais il est aussi question d'assiettes faisant partie du domaine agricole qui appartiennent à des particuliers. Et lorsque ces derniers portent plainte, les dossiers étaient mis dans les tiroirs. "Comment pouvez-vous expliquer aux Algériens que, durant de longues années, cet homme faisait ce qu'il voulait des terres de l'Etat, ou, parfois, appartenant aux privés, sans que personne bouge ?", interroge le juge, visiblement excédé. Cette image d'impunité est d'ailleurs illustrée par un terrain accordé par les autorités au groupe ETRHB à Oud-Smar. À la fin du bail, l'entreprise privée a voulu garder l'assiette coûte que coûte, allant jusqu'à vouloir garder l'activité rien que pour cela. "Et que faisaient les services de l'Etat ?", interroge encore le juge. La réponse de Zoukh n'a pas varié. Tantôt, il expliquait que les ordres venaient du gouvernement, tantôt, il tentait de mettre tout sur le dos des fonctionnaires. Et même lorsque le juge demande des explications sur une assiette de terrain accordée à l'entreprise Haddad pour construire un centre de formation au profit de l'équipe USMA, à Aïn-Benian, alors que des citoyens y avaient érigé des constructions, le wali a jeté la responsabilité sur le Premier ministre de l'époque Abdelmalek Sellal, puis sur le directeur des Domaines "qui m'avait dit que le terrain était inoccupé". Cela n'a pas empêché le juge de rappeler qu'il existe plusieurs terrains que l'Etat avait mis à la disposition de l'homme d'affaires, parfois sans même pas régler l'essentiel, à savoir les actes. Cela poussera le procureur de la République à accuser l'ancien wali de "chercher délibérément" à "nuire à la collectivité" en accordant "d'indus avantages" à un homme "puissant". Il reprochera à Abdelkader Zoukh d'avoir "nui à l'intérêt de la collectivité". Il a demandé 10 ans de prison ferme et 10 millions de dinars d'amende. Ce que rejettera la défense qui a plaidé la bonne foi et qui s'est surtout interrogée sur l'absence de tels procès dans d'autres wilayas autres qu'Alger. "Ali Haddad a bénéficié d'avantages dans tout le pays. Mais seul le wali d'Alger est poursuivi, d'où nos interrogations sur cet acharnement", a fulminé un des avocats. De son côté, l'avocat du Trésor public, qui s'est constitué partie civile, a réclamé 100 millions de dinars de dommages et intérêts. L'affaire est laissée en délibéré pour le 25 décembre prochain.