Le retour de l'Algérie dans cette scène ne semble pas agréer certaines parties, internes et externes, à la Libye. Le mouvement des troupes de Haftar dans le Sud-Ouest frontalier avec l'Algérie participe plus de la tentative de se replacer en perspective du dialogue interlibyen que l'Algérie pourrait accueillir. Les forces loyales au maréchal Khalifa Haftar, chef autoproclamé de l'Armée nationale arabe libyenne (LAAF), ont fermé la frontalière avec l'Algérie en décrétant la région comme "zone militaire" et ont pris le contrôle du poste frontalier d'Issin, qui fait face au poste algérien de Tin ElKoum, dans la wilaya de Djanet, ont indiqué hier des médias libyens. Des images d'une colonne de pick-up de la 128e brigade qui ont pris position devant le poste frontière de Ghat (nommé Essin) ont été aussi relayées par des chaînes de télé. "Les forces armées ont fermé la frontière entre la Libye et l'Algérie et l'ont déclarée zone militaire dans laquelle les opérations sont interdites", a déclaré le Département de l'orientation morale, une unité des médias de l'armée nationale libyenne (ANL), a rapporté pour sa part l'agence Reuters. L'ANL de Haftar a envoyé des troupes la semaine dernière dans la ville méridionale de Sebha, déjà alliée aux forces de l'Est, et samedi au point de passage de la frontière sud avec l'Algérie, indique la même source. "Cet envoi de troupes à la frontière avec l'Algérie est un acte lourd de symbole et pourrait être perçu comme une provocation", estiment des observateurs, qui rappellent néanmoins la réaction du commandement de l'armée libyenne basé à Tripoli, en annonçant "le gel de tout déplacement de convois militaires au Sud et toute activité militaire non autorisée". L'Algérie et la Libye partagent une frontière de près de 1 000 km, qui est fermée depuis 2013, même si les mouvements des populations locales, surtout au Sud, sont autorisés, rappelle-t-on. Raouf Farrah, un spécialiste de la région, qui met en avant le contexte des discussions avancées avec le Gouvernement d'union nationale d'Abdelhamid Debeïbah pour la réouverture du poste Debdeb-Ghadamès depuis plus d'un mois, estime que la décision de Haftar de considérer cette région comme zone militaire a une triple visée : "D'abord, il s'agit de casser toute tentative de contrôle de la frontière avec l'Algérie par le Gouvernement d'unité nationale, en affaiblissant les forces anti-Haftar qui tentent de sécuriser cette frontière. L'objectif étant de paralyser toute avancée politico-sécuritaire qui renforcerait la légitimité du GNU et contribuerait à la marginalisation politique du maréchal." Aussi, en décrétant la région zone militaire, il s'agit également de "restructurer le déploiement des forces de la LAAF vers le Sud-Ouest et d'intégrer cette nouvelle donne dans les négociations du Comité militaire chargé de trancher les questions sécuritaires avant les élections de décembre prochain". Et de rappeler que "depuis la défaite de Haftar lors de la bataille de Tripoli (avril 2019 - juin 2020), le Sud-Ouest (Fezzan) est devenu un enjeu stratégique". Aussi, la région proche de Ghat est stratégique pour la sécurisation des champs pétroliers de Sharara et d'El-Fil (d'où est tiré un tiers de la production pétrolière libyenne) et le contrôle des économies informelles et illicites de la sous-région. Cependant, le contrôle du poste Essin par des forces pro-Haftar n'est pas un danger existentiel pour l'Algérie, selon Raouf Farrah. "La frontière algéro-libyenne est certainement la plus sécurisée de la région (...) depuis l'attaque de Tiguentourine, bien que la marginalisation des communautés frontalières qui en payent le prix fort est problématique", rappelle-t-il. Par son acte, Haftar veut "cibler" l'Algérie après la réaffirmation triomphante de Tebboune sur Al-Jazeera que "Tripoli était une ligne rouge", estime le spécialiste, selon lequel "cette déclaration aurait pu être extrêmement dangereuse contre l'Algérie. Les médias libyens pro-Haftar, majoritairement de la Cyrénaïque, sont longuement revenus sur cette déclaration". Les mouvements des forces pro-Haftar interviennent également à quelques jours de la conférence de "Berlin 2" sur la Libye, prévue le 23 juin, qui discutera des prochaines étapes politiques et sécuritaires de la stabilisation de la Libye, ajoute-t-il. A. R.