Et c'est là que commence la comédie... Erdogan intervient avec la bénédiction de Washington contre les Kurdes soutenus par... Washington. Nous allons revivre le glorieux épisode du printemps quand le Pentagone et la CIA se battaient entre eux par groupes syriens interposés ! Le gouvernement syrien condamne évidemment l'intervention de son ennemi ottoman mais n'est peut-être pas tout à fait mécontent que les Kurdes soient ramenés à la raison ; on se souvient qu'il y a un accord tacite de facto entre Damas et Ankara sur la question kurde. La Russie, elle, fait un dangereux triple grand écart : alliance avec Assad, alliance politique avec le PYD, rabibochage avec Erdogan. Essayons de démêler ce jeu de poker menteur, où la communication prend parfois le pas sur la réalité, en présentant les deux cas de figure possibles présentés par certains observateurs : Pour certains, le sultan tente de sauver la face. Selon eux, constamment sur le reculoir depuis un an, voyant sa politique néo-ottomane tourner au fiasco, le président turc voudrait marquer le coup afin de mieux faire passer, devant son opinion publique, la pilule de son fabuleux retournement de veste et son abandon des djihadistes syriens. Ces dernières semaines, Ankara a mis beaucoup d'eau dans son arak, le Premier ministre répétant à l'envi que les relations avec Damas doivent s'améliorer et même qu'Assad pourrait être un interlocuteur dans le processus de transition (quel changement tectonique de la rhétorique turque !) Les premières visites sultanesques d'après tentative de putsch ont été réservées à Moscou et Téhéran, les deux principaux soutiens de Damas où l'un des chefs du renseignement turc se serait d'ailleurs rendu très récemment. On imagine aisément qu'on n'y a pas seulement discuté de la qualité du loukoum d'Antalya ou du savon d'Alep... Erdogan a-t-il reçu un feu vert tacite pour lancer sa petite opération, plus communicative que militaire, et ainsi sauver la face ? Pour d'autres le sultan est sérieux. Selon eux, certains bruits font état de la volonté d'Ankara de s'enfoncer plus avant et de marcher sur Manbij (libérée, rappelons-le, par les Kurdes il y a peu) puis sur Raqqah, la capitale califale, c'est-à-dire en réalité d'empêcher la jonction des cantons kurdes. Cela semble un peu tiré par les cheveux mais pas impossible. Si la route Manbij est choisie, c'est la guerre ouverte avec les Kurdes. Si l'autre voie est suivie, c'est un parcours du combattant contre Daech dans un environnement hostile (YPG, armée syrienne). Dans les deux cas, ça mettrait en tout cas Washington et Moscou dans une situation intenable. La réaction des grands justement. Petite surprise, Moscou se dit «profondément préoccupé». Est-ce un élément de communication visant à offrir une victoire symbolique au sultan renonçant ou Poutine a-t-il réellement été pris de court, ainsi que les Iraniens et Assad ? Il est encore difficile de démêler le vrai de l'intox. Ankara dit avoir auparavant prévenu la Russie de son opération sur Jarablous ; ça vaut ce que ça vaut... (A suivre)