En attendant le 9 avril prochain, les immigrés débattent à leur manière du bilan du président Bouteflika. Ils ne sont pas si loin de l'opinion de leurs compatriotes au pays. A Bruxelles, comme dans le reste de la Belgique ou dans les deux autres pays du Benelux que sont les Pays-Bas et le Luxembourg, la perspective de l'élection présidentielle du 9 avril prochain donne lieu à d'étranges débats et de situations surréalistes. Les plus fervents supporters du président Bouteflika sont ceux qui critiquent son bilan à la tête de l'Etat. Et ils sont majoritaires. Les autres, les «opposants» qu'ils soient militants de partis politiques ou non, lui reconnaissent un bilan globalement positif et appellent à l'abstention le jour du vote. Allez-y comprendre quelque chose. Quant aux plus logiques (clairs), c'est-à-dire ceux qui soutiennent le président pour un troisième mandat sur la base du bilan politique et économique des deux précédents mandats, ils sont rares. Et puis il y a la « race » de ceux qui ne se situent, politiquement, nulle part ailleurs que dans la sphère des affaires et des dividendes qu'ils peuvent en tirer. Ils sont qualifiés « d'opportunistes ». Le plus étrange est que tous ces « avis » sont défendus, en apparence du moins, avec sincérité et foi. Il n'est pas rare de voir les débats s'échauffer sérieusement lorsque les uns mettent en doute le discours des autres. Aussi, il ne reste au journaliste pris à témoin que l'humble mission de restituer au lecteur quelques scènes de cette campagne électorale assumée par nos compatriotes immigrés. D'abord il y a les « intellectuels » qui, dans l'acception de l'immigration, désigne toute personne ayant fait quelques études universitaires. Juste ou pas, la question n'est pas là. L'essentiel ici est qu'ils sont vus comme des gens « qui lisent », donc ils savent plus de choses. Ils se retrouvent régulièrement dans des cafés-bars pour disséquer la politique de Bouteflika. Ce soir, il y a Hamid, cadre du secteur de la santé, Khaled, patron d'une PME dans le bâtiment, Rafik, cadre commercial d'une multinationale, Salem, trader qui commerce pas mal avec le bled, et bien d'autres. Ils sont unanimes sur le bilan de Bouteflika : le président a initié de grands projets économiques dits « structurants » de l'économie nationale. Ils citent l'autoroute, les barrages, le logement, etc. Cependant, ils lui reprochent bien des retards dans les domaines social et politique. L'appauvrissement des classes moyennes, la bureaucratie, la corruption et un système bancaire des plus archaïques au monde. Mais ces « intellectuels » ne croient pas que le champ politique est verrouillé. Pour preuve, une relative liberté de presse existe au pays, vous disent-ils. Non, ils pensent plutôt que c'est le mouvement moderniste et démocrate qui n'a pas de stratégie de conquête de l'opinion publique. Cette opinion publique attribuée au « reste » du peuple a l'avantage de ses arguments. Aux marchés hebdomadaires ou lors de commémorations nationales, biens des compatriotes venant de tous les coins de la Belgique et d'ailleurs, comme ceux de Lille (France) qui visitent chaque dimanche Bruxelles, le discours est net : «Avec Bouteflika, le climat sécuritaire s'est nettement amélioré et la vie reprend, doucement, le cours normal des choses ». Nordine, chef de service dans une société de transports, marié à une Allemande depuis 25 ans, est content : «Je n'ai pu me rendre en Algérie entre 1990 et 2000, à cause de la violence qui y régnait. Depuis, j'y vais chaque été avec mon épouse et mes jeunes filles sur les plages d'Oran et Mostaganem sans problème. Pour les gens c'est rien, mais pour moi c'est vital. » Quant à Kamel, il est plus catégorique à l'endroit des adversaires du président : « Arrêtez de dire n'importe quoi ! L'Algérie profonde sait ce qu'elle a vécu durant la décennie noire. Elle mesure toute la portée de la politique de réconciliation en cours qui lui assure une paix retrouvée ». Un constat cependant, dans cette ambiance préélectorale, les représentants des partis politiques au Benelux sont muets. Absents. Y compris ceux des partis de l'Alliance présidentielle que sont le FLN, le RND et le HMS. Traditionnellement, le parti politique qui animait les débats à chaque échéance politique était le RCD de Saïd Sadi. Cela fait longtemps qu'il ne se manifeste plus. Son représentant, le docteur Abib Moumen, se donne parfois à la confidence : « Avant même que le parti ait décidé de geler toute ses activités et de se retirer de l'élection présidentielle, nous savions que la partie était jouée d'avance. Ce sera Bouteflika et personne d'autre. Nous ne voulons pas faire de la figuration.» Mais, l'absence du RCD dans cette campagne électorale manque terriblement aux compatriotes. Y compris ses adversaires. « D'habitude les meetings et rencontres-débats sont animés et nous permettent d'exprimer bien de nos préoccupations», déclarent Yasser et Zoubir, avant d'ajouter: «cette fois-ci c'est triste, nous aimons bien le docteur Moumen, même si on s'énerve parfois contre lui à cause de ses envolées sur la démocratie en Algérie». Les immigrés sont authentiques et sincères dans l'expression de leurs opinions. Ils n'aiment pas par exemple certaines personnalités connues qui appellent à la mise sur pied de « comités de soutien » à la veille de chaque élection. Puis ils disparaissent durant 5 ans. Ils disent d'eux que ce sont des renards qui ne pensent qu'à leurs affaires personnelles et se foutent de l'Algérie. A Bruxelles, Charleroi, Gand, Anvers... les jeunes, surtout, aiment à rappeler l'élection de 2004. « M. Ali Benflis a animé un meeting grandiose à Bruxelles. Comme Saïd Sadi en 1999 d'ailleurs. Dommage qu'il n'y aura personne cette fois-ci ». C'est qu'ils adorent ce genre de rencontres où ils arrivent avec les drapeaux algériens et entonnent Kassaman. Ainsi vont les choses en Belgique. En attendant la campagne officielle qui démarrera en mars prochain, les services du consulat d'Algérie à Bruxelles ont commencé l'envoi des cartes électorales à ceux qui viennent d'avoir 18 ans.