L'ancien président, le défunt Chadli Benjedid livre son témoignage sur les luttes implacables pour le pouvoir et les rapports avec le Maroc. Mort le 6 octobre 2012, il a légué, à titre d'héritage mémoriel, un livre d'autobiographie et de témoignage. Du moins, le 1er tome (1929-1979), qui vient de paraître à titre posthume, comme l'a souhaité le défunt président algérien. a date de parution n'est pas fortuite. Le 1er novembre, est le point de départ, en 1954, de la guerre de libération de l'Algérie, sous la conduite du Front de libération nationale (FLN). L'auteur relate des événements auxquels il a pris part ou dont il a été le témoin direct. Il est d'abord question de la politique algéro-algérienne, dans ses méandres tourmentés et ses luttes intestines au dénouement parfois dramatique. Militaire de vocation et de formation, M. Benjedid a dû faire son apprentissage de la politique, ne serait-ce que pour composer avec les responsables de l'appareil du FLN dont il a été lui-même chef de file durant les treize années de ses mandats présidentiels (février 1979- janvier 1992).
Témoin influent Chef de la 2ème région militaire pendant quinze ans (1964-1978), basée à Oran, avec pour mission la surveillance des frontières algéro-marocaines, la carrière de Benjedid devait, forcément, passer par les relations entre les deux pays. C'est à titre, en particulier, qu'on est en droit d'attendre et de juger le récit et le regard du narrateur, tour à tour témoin influent et acteur déterminant. Du haut de son poste oranais, Benjedid a pu mesurer les fondements et les conséquences du litige latent sur le tracé des frontières entre le Maroc et l'Algérie. Durant “la guerre des sables", le conflit éclair qui en est sorti, en octobre 1963, Benjedid aurait bien voulu y être, si ce n'était son voyage en Chine. Il ne produit d'autres arguments que sa référence, littéralement révérencieuse, au panarabisme de Gamal Abdel Nasseur et à l'internationalisme de Fidel Castro. Deux personnages à qui Benjedid voue une adoration sans limites, ne leur trouvant pas l'ombre d'un défaut dans l'exercice de leur pouvoir absolu. C'était le temps du parti unique, parti-Etat, une idéologie dominante et sans frontières, qui avait le vent en poupe. Gare à ceux qui n'en faisaient pas allégeance intellectuelle ou militante. L'opposition marocaine à Hassan II, réfugiée en Algérie dans les années 1960-1970, faisait partie de ce courant viscéralement porteur de pensée unique, sur fond d'un tiers-mondisme attrape-tout. Houari Boumediene, tout comme Ahmed Ben Bella, auparavant, étaient mécontents du régime monarchique au Maroc. Benjedid n'était pas convaincu par cette stratégie aventureuse et pas forcément productive. Il l'a fait savoir à Boumediene en ces termes: «Je ne crois pas en une opposition qui s'active hors de son pays. Si les frères marocains veulent s'opposer au pouvoir en place, qu'ils le fassent chez eux». Il aura ainsi compris que les révolutions, quelles que soient leurs motivations et leurs finalités, ne sont pas une denrée facilement exportable. À chacun sa roue de l'Histoire, avec ses confluents et ses déterminants faits maison.
Un réalisme politique Un réalisme politique qu'il a démontré, avec un certain sens du discernement, dans son rapport au Maroc. Il raconte, à ce propos, comment il a été approché par de jeunes officiers marocains qui ne cachaient pas leurs ambitions putschistes. Benjedid n'a pas tardé à s'apercevoir de ce qu'il était censé savoir. De deux choses l'une, s'était-il dit: soit le général Oufkir, commanditaire de ces approches, un peu trop flagrantes, «voulait connaître ma position sur le roi et la monarchie en général; parce qu'il savait que j'étais à la tête de grandes unités de combat de l'armée algérienne stationnées sur les frontières avec le Maroc; soit il était sérieux et échafaudait un plan pour détrôner Hassan II». C'est la deuxième hypothèse qui prévaudra, avec les deux tentatives de putsch, en juillet 1971 et août 1972. Dans ses mémoires, Chadli Benjedid ne se prive pas d'inventaire et de commentaire sur son rapport au Maroc, durant sa longue présidence. Trois grandes dates officielles jalonnent cette proximité compliquée: rencontre avec Hassan II sur la frontière algéro-marocaine, en 1987; participation à la mise sur pied de l'Union du Maghreb arabe (UMA), à Marrakech, en 1989; et accueil, haut en couleurs, de Hassan II, à Oran, le 17 mai 1991. À chacun de ces moments de congratulation et d'échafaudage de projets théoriquement prometteurs pour des intérêts bien compris du Maroc et de l'Algérie, une question lancinante et harassante revenait à l'esprit.
La même réponse s'impose Y a-t-il du nouveau dans la position de l'Algérie sur la question du Sahara marocain? Les présidents algériens se succèdent, la même réponse s'impose aux optimistes invétérés. Rien ne bouge du côté de “Zouj Bghal", toujours fermé. Et là-bas, à l'ONU, où l'Algérie en surveillance continue. En a-t-il été autrement pour Chadli Benjedid? Pas vraiment. À son arrivée au pouvoir, après la mort de Boumediene, en 1978, beaucoup d'espoirs étaient fondés sur le nouveau président, Chadli Benjedid. Le président avait toute l'apparence de l'homme qu'il fallait pour cette issue courageuse et réaliste. Certains indicateurs, au détour de ses propos, laissent penser qu'il voulait vraiment en finir avec le problème Polisario. Il y a, tout de même, quelque chose qui intrigue dans le rapport au Sahara marocain , pour les entendre dire qu'ils voulaient bien opérer un déblocage de la question du Sahara, mais qu'ils ne pouvaient pas le faire. Pourquoi et par la faute de qui?