Le remaniement ministériel a fini par se produire. Assez attendu par les observateurs politiques et autres échotiers médiatiques, il est réalisé au moment même où les uns et les autres pensaient qu'il n'était plus dans l'agenda du pouvoir. C'est-à-dire à l'instant que le président de la République a choisi. Son message évident se résumerait ainsi : «Je suis le seul maître du calendrier». Dans sa composition, ce gouvernement reflète un peu la personnalité même et l'esprit de son auteur. À savoir, notamment, la complexité, le souci des équilibres, la prime à la loyauté et à la fidélité, le refus de donner l'impression qu'il aurait cédé en tout à la pression des mouvements d'opinion ou de quelconques effets centrifuges ou centripètes à l'intérieur du pouvoir. Surtout, ne pas laisser penser que depuis son accident de santé, il aurait les mains liées par les forces de gravitation et de tension à l'intérieur du régime. Dans ce gouvernement, il y a d'abord les partants. Certains semblant payer les effets des affaires de corruption relatives aux secteurs qu'ils ont eu à gérer. C'est le cas du ministre des Transports, ancien responsable des Travaux publics et pendant un certain temps en charge de la construction de l'autoroute Est-Ouest. Il est écarté du secteur des Transports, générateur de gros contrats d'équipement, même s'il n'est pas éjecté du gouvernement. Il est à présent titulaire de l'improbable portefeuille de l'Aménagement du territoire, du tourisme et de l'artisanat. En apparence, un super ministère, mais pour un ex-ministre des Transports, ça a tout l'air d'être une voie de garage conçue comme une protection politique. Amar Ghoul, bien que son nom eut été mêlé aux scandales de corruption et accusé dans l'enceinte même du tribunal d'Alger d'avoir éventuellement touché des pots de vin, n'est pas pour autant sanctionné. Chef d'un parti qui a vocation à tailler des croupières politiques aux Frères musulmans du MSP, Ghoul sait qu'il est un élément d'équilibre au sein du régime. Non concerné par les affaires de corruption traitées par la Justice, Amara Benyounès est lui aussi protégé, conforté même dans son poste exposé de ministre du Commerce. Lâché à un moment donné, en rase campagne, par le Premier ministre, au plus fort de l'affaire du commerce de gros de l'alcool, il est même conforté à la tête de son département. Il est censé être un des fers de lance de la nouvelle lutte contre les barons de l'importation et autres experts en surfacturation, maquillage de bilans et transferts illicites de devises. A l'image de Ghoul, Benyounès, chef d'un parti du pouvoir, est protégé lui aussi, le régime ayant besoin de son parti qui fait partie de sa vitrine politique. Youcef Yousfi, écarté du département de l'Energie et remplacé par un ancien directeur de l'IAP, l'Institut de pétrole de Boumerdès, proche de Chakib Khellil, semble payer sa manière de communiquer sur le très sensible dossier du gaz de schiste qui a vu l'émergence d'une conscience citoyenne qui a su freiner le pouvoir dans sa volonté de recourir, à terme, à la controversée fracturation hydraulique de la roche mère. Dans le casting ministériel apparait aussi une tendance lourde, celle du maintien des ministres formant la colonne vertébrale du gouvernement : Justice, Défense et Affaires étrangères, exception faite du ministère de l'Intérieur, dont l'ancien titulaire est désormais intégré au cabinet du chef de l'Etat, avec titre de conseiller spécial et rang de ministre d'Etat. Avec le probable départ de l'immarcescible Ahmed Ouyahya pour reprendre les rênes du RND, la présence de Tayeb Bélaïz au cabinet du président de la République a forcément un caractère politique. En prévision de la future révision de la Constitution, il serait question de mettre sérieusement de l'ordre au RND, encore plus au FLN en proie à ses crises cycliques de «redressement» qui le paralysent. Il est notamment question d'éviter à ces deux partis des fuites de militants et de cadres vers le nouveau parti de Ali Benflis. On observe aussi que le nouveau gouvernement compte moins de politiques, davantage de profils techniques parfois séduisants en apparence et un peu moins de femmes, après l'éviction de Nadia Labidi qui semble avoir sérieusement pâti de ses démêlées avec une autre femme de la politique, la tonitruante Louisa Hanoune du PT. Y dominent donc, en dehors des «poids lourds» constituant la colonne vertébrale des secteurs de souveraineté, c'est-à-dire le domaine réservé du Président, les ministres dits techniques, issus de l'ENA ou de l'université. Certains ont même été promus à un poste stratégique, tel celui de l'Intérieur. Il s'agit d'un ancien wali, nommé déjà à la tête d'un «petit» ministère et qui se voit propulsé à l'Intérieur. Il semble avoir bénéficié aussi de l'effet de l'amitié le liant à un des conseillers spéciaux du chef de l'Etat. Là aussi, prime à la fidélité et à la loyauté même si les compétences du ministre en question ne seraient pas en cause. Prime également pour d'anciens piliers de la campagne électorale de la présidentielle de 2014. C'est le cas pour les ministres de l'Industrie et des Travaux publics. Récompense aussi pour les ministres qui donnaient l'impression d'avoir apporté un ton nouveau et qui n'hésitaient pas à aller au charbon. A l'image des ministres de l'Education, la Communication, des Moudjahidine et des Affaires religieuses. Prime aussi à l'université, avec les promotions des nouveaux ministres de l'Enseignement supérieur et de la Poste qui ont des CV impressionnants. Dans le jeu des équilibres, l'on remarque aussi que le Sud et l'extrême-Sud sont à l'honneur, avec une ministre déléguée, une Touareg et un ministre délégué du M'zab, un vrai crâne d'œuf de la finance ! N. K.