«Décrire un personnage, c'est un peu lui donner la vie.» Anonyme L'attention du rédacteur en chef se détourna un instant de l'écran de son PC pour se porter sur son interlocuteur. «C'est un véritable fléau que la mendicité pour notre société. C'est devenu une véritable profession pour des gens sans scrupules. Tiens! Dans notre quartier, j'ai remarqué une assez corpulente vieille dame, âgée mais encore solide: elle vient tous les jours s'asseoir devant le magasin situé au carrefour. Les jambes en tailleur, des yeux reflétant comme un air de défi, elle attend stoïquement que les gens lui glissent la pièce. J'ai noté le fait que ce sont surtout les femmes qui vont au marché qui lui graissent la patte. Elle se confond alors en bénédictions et sort de son répertoire tout un chapelet de généreux souhaits. Il m'est arrivé de lui glisser la pièce moi aussi, mais sans conviction: parce que j'ai vu des femmes plus vieilles et plus mal en point qu'elle qui gagnent leur vie à nettoyer les cages d'escaliers. D'ailleurs, quand je me suis renseigné à son sujet, on m'a dit qu'elle a plusieurs fils mariés et que chaque soir, elle rentre chez elle avec deux couffins bien remplis: elle gagne bien sa journée. Et je ne te parle pas des femmes voilées qui viennent des autres quartiers et bloquent toutes les issues du marché avec leurs mains tendues et leurs jérémiades. Un phénomène national que la mendicité! Plus que la corruption! Mais que vient faire le faux mendiant dans ton récit? Il ne fait rien, c'est un personnage de passage mais il est représentatif dans notre société. Il sert de révélateur à certains personnages du récit comme le père de Méziane le clando. Il y a un autre personnage dont la silhouette est devenue très familière dans le quartier où les caves ont été occupées. C'est un personnage unique: vêtu, été comme hiver d'un bleu de travail et d'un chapeau de paille, une pelle et une pioche sur son épaule, il ratisse toute la cité à la recherche d'un espace vert à nettoyer aux dépens des riverains, bien sûr. Il n'hésite pas à demander aux locataires de l'employer pour qu'il puisse se nourrir, car il avoue même qu'il n'a plus rien à se mettre sous la dent. Personne ne sait où il habite ni d'où il vient: il passe de temps en temps et il est rare qu'un riverain qui vient certainement de réaliser une bonne affaire, touché par son dénuement, lui offre de défricher un espace vert ou de ramasser les ordures qui jonchent le parking. La plupart des riverains détournent la tête en le voyant et il y en a même qui changent de trottoir. Ce personnage n'est aussi qu'un révélateur. Il y a aussi le drogué de l'immeuble: chaque immeuble du quartier en compte au moins un. Certains sont silencieux, discrets et pacifiques. D'autres sont violents et provoquent souvent des rixes au carrefour où ils font chaque soir leur congrès. Celui qui habite dans l'immeuble où toutes les caves ont été occupées est spécial: il ne fait que d'épisodiques apparitions entre deux séjours en prison. Il avait commencé tout jeune à fumer des joints. Il commettait alors des petits larcins pour pouvoir payer sa dose quotidienne. Il est allé même jusqu'à fracturer la portière d'une voiture pour en subtiliser le poste-radio. Une autre fois, n'ayant pas trouvé quoi voler, il harcela sa mère afin qu'elle lui donne un peu d'argent. Devant son refus catégorique, il sortit de la maison en claquant la porte, cassa deux portes de débarras, fractura des boîtes aux lettres et vandalisa une voiture stationnée devant l'entrée de l'immeuble. Il disparut aussitôt. Depuis, tout le monde ouvre l'oeil et le bon à chacune de ses apparitions.»