Le 8 mai 1945, l'Europe célèbre dans l'euphorie la victoire alliée sur l'Allemagne nazie. Une victoire qui avait mis fin à un conflit planétaire qui dura 6 ans (1939-1945), faisant plus de 60 millions de victimes dont, selon des sources historiques, quelque 60.000 Algériens, conscrits de force dans l'armée française. Le 7 mai 1945 au soir dans l'Algérie occupée, à Sétif-ville, tandis que les colons organisent des bals, chantent et dansent, "les Amis du Manifeste Algérien" (AML), sourds aux flonflons, s'attèlent aux préparatifs d'un défilé pacifique qui devait déboucher, le lendemain, sur le Monuments-aux-Morts, sur le parvis de l'église Sainte-Monique (aujourd'hui mosquée Abdelhamid-Benbadis) où une gerbe de fleurs devait être déposée en hommage à tous les soldats tombés durant la seconde guerre mondiale. Ce fut, du moins, la raison invoquée par les militants nationalistes pour obtenir des autorités d'occupation l'autorisation d'organiser le défilé. La procession devait s'ébranler devant la mosquée de la gare (aujourd'hui Abu Dhar El Ghafari) avant de parcourir l'avenue Georges-Clémenceau (devenue avenue du 8-Mai 1945) pour ensuite bifurquer, face à l'ex-café de France, vers le Monument-aux-Morts pour y déposer une couronne fleurie. En réalité, les nationalistes algériens, sur l'instigation de Ferhat Abbas et des militants des AML, avaient, la veille, parcouru Sétif et ses environs pour appeler à une forte mobilisation et expliquer le véritable objectif de la marche : appeler à l'indépendance de l'Algérie. Le mardi 8 mai 1945 est jour de marché. "Il faisait beau et assez chaud", s'était souvenu le regretté Moudjahid Mohamed-El Hadi Cherif, dit Djennadi, que l'APS avait approché il y a une dizaine d'années, à l'aube du 70ème anniversaire des massacres perpétrés au printemps 1945 à Sétif, mais aussi à Guelma, à Kherrata et leurs environs. M. Cherif, qui fut l'un des principaux encadreurs de la marche historique du 8 mai 1945, transformée en bain de sang par le colonisateur français, avait raconté que le 8 mai 1945, la foule était "de plus en plus dense dès 6 heures du matin". Vers 7 heures, ils étaient déjà entre 9.000 et 10.000 personnes à se presser devant la mosquée Abou Dhar El Ghafari et dans les quartiers voisins (cimetière chrétien, Ain El M'zabi, rue du 3ème RTA, Place de la garde mobile), munis de banderoles et de drapeaux de l'Algérie confectionnés à la hâte, sans compter les centaines de personnes venues d'Amoucha, d'El Ouricia, de Guedjel, d'Ain Roua, de Bougaâ et d'autres villages environnants, et qui s'apprêtaient à rallier la marche pacifique depuis la "Porte de Biskra", la cité des Remparts et les sorties Nord et Est de la ville de Sétif. Selon Mohamed-El Hadi Cherif, 250 louveteaux des Scouts musulmans algériens (SMA), en tenue, sont placés en tête du cortège, alignés en rangées de huit, foulard vert et blanc autour du cou. Avançant lentement et à pas cadencés, précédant une foule immense, ils entonnent "Min Djibalina" (De nos montagnes), que des centaines, puis des milliers de personnes, dès le début du défilé à 8 heures 30 précises, reprennent à l'unisson et, au cœur de la procession, le drapeau de l'Algérie est déployé pour la première fois. Une détonation, un you-you, la débandade, puis le massacre La vue du drapeau vert et blanc frappé d'un croissant et d'une étoile rouges suscite l'indignation des colons français, installés sur les terrasses des cafés, et la colère des policiers qui restent, cependant, calmes au début. Le défilé grossit à vue d'œil, surtout lorsque deux groupes de plusieurs centaines de manifestants le rejoignent depuis le sud de la ville (Porte de Biskra, boulevard du général Leclerc). Une fois arrivée devant le mess des officiers, au début de l'avenue Georges-Clémenceau (face au collège Eugène-Albertini qui allait devenir le lycée Mohamed-Kerouani), la foule est impressionnante. Aux "Vive la Victoire, à bas le nazisme'' scandés par la foule, succèdent brusquement des "Vive l'Algérie indépendante", "L'Algérie est à nous", "Libérez Messali Hadj", "Istiklal !". Tous les témoignages recueillis par l'APS, confortés par des documents d'archives conservées au musée du Moudjahid, s'accordent à affirmer que devant l'ex-café de France, juste en face de la stèle commémorant ces événements, le commissaire Lucien Olivieri, ne supportant pas la vue de l'emblème national, ordonne de retirer pancartes, banderoles et drapeaux. Bouzid Saâl, un jeune militant anticolonialiste de 22 ans, refuse, le menton haut, de baisser le drapeau algérien, le policier tire et le jeune homme s'écroule (il succombera quelques minutes après son arrivée à l'hôpital). Mohamed-El Hadi qui se trouvait parmi les groupes de tête du cortège, avait affirmé, dans son témoignage, qu'un silence de quelques secondes, "lourd et pesant", avait succédé à la détonation. Un silence, avait-il poursuivi, que "déchira" un you-you "strident" provenant du balcon d'un immeuble. La foule est aussitôt prise de panique. Les colons, jusque-là attablés en spectateurs, fuient dans tous les sens. C'est le début des émeutes... L'après-midi, la manifestation gagne la campagne sétifienne puis s'étend à d'autres villes, notamment à El Eulma, à Kherrata et à Guelma où une marche avait également été organisée. Le gouvernement provisoire du général De Gaulle répond par une répression impitoyable, sauvage, sanglante dont le général Duval sera le "maître d'œuvre". La loi martiale est décrétée de Sétif jusqu'à la côte béjaouie. La circulation automobile est interdite et un couvre-feu est décrété. Les chefs nationalistes sont arrêtés, des jeunes scouts et des civils sont sommairement exécutés sur simple suspicion. Des douars soupçonnés d'abriter des indépendantistes sont pilonnés par l'aviation coloniale et incendiés. Des femmes, enfants et vieillards sont tués sans pitié. Ce génocide en règle qui dura des mois a fait 45.000 morts tombés en martyrs.