Un peu plus de trois mois après les événements qui ont conduit à la chute de deux présidents arabes, le Tunisien, Zine El Abidine Ben Ali et l'Egyptien, Mohamed Hosni Moubarak, la révolte, loin de s'affaiblir, s'étend chaque jour davantage dans le Monde arabe et prend des amplitudes que personne n'avait, d'aucune manière, pressenti. Le fait est que désormais, beaucoup de têtes couronnées et de régimes dictatoriaux sont en sursis. L'explosion juvénile est générale et semble irréversible quelles que soient les ripostes, féroces – comme en Libye, au Bahreïn, au Yémen et en Syrie – ou enrobées de manoeuvres dilatoires – comme en Algérie, au Maroc, en Jordanie, en Arabie Saoudite – qui lui sont opposées. Il est symptomatique que ce ne sont ni les traditionnels partis politiques – souvent impliqués dans les périphéries du pouvoir – ni des associations organisées qui sont derrière des révoltes spontanées sans ordre du jour, directives ou perspectives précises si ce n'est le départ de despotes qui ont dénaturé la chose politique et marginalisé leurs pays. Dès lors, la jeunesse arabe, qui ne se reconnaît pas dans des dinosaures qui ont spolié ses droits (liberté et connaissance, droit de s'exprimer et d'entreprendre), a induit une rupture définitive avec des pouvoirs sans vision (politique, sociale et économique) et coupés de leurs peuples. De fait, le Monde arabe engoncé dans son immobilisme, s'est fossilisé quand ses gouvernants assument le pouvoir pour le pouvoir au détriment de leurs pays; quand cette région s'est retrouvée désespérément en marge du développement mondial; quand ses élites brimées, interdites, pourchassées ou forcées à l'exil, appauvrissant d'année en année ses capacités de travail, de création, de production. Les despotes arabes ne se sont même pas aperçus que la région qu'ils dominent est la seule au monde à croupir et à n'avoir pas évolué, condamnant leurs peuples à la stagnation et à la régression. C'est contre tout cela que se sont rebellés les jeunes du Monde arabe, que des dirigeants obtus n'ont pas compris ni su évaluer la dimension réelle de ces révoltes. Le Libyen, El Gueddafi et le Yéménite, Saleh illustrent parfaitement ce postulat, qui, après respectivement 42 et 33 ans au pouvoir, n'ont même pas l'humilité de quitter des postes qui les ont rendu archi-milliardaires alors que leurs peuples plongent dans la pauvreté. C'est cela la vérité d'un Monde arabe croulant sous les richesses mais dont les peuples sont parmi les plus pauvres du monde. Les dirigeants arabes sont-ils fiers de ce fait? Gageons qu'ils n'en n'ont même pas conscience. En fait, après une «petite» ouverture, par la réduction des mandats présidentiels dans le sillage du vent de liberté qui soufflait de l'Est, les choses ont rapidement repris leur cours normal dans un Monde arabe décidément allergique à la démocratie, aux droits de l'homme et libertés de dire, de faire et d'entreprendre. Peut-il en être autrement lorsque monarques et autres «présidents à vie» ont figé la vie de la nation arabe alors que le cercle autour de ces potentats se rétrécissait comme peau de chagrin? Des despotes devenus autant de parasites qui ont neutralisé leurs pays et étouffé leurs élites contraintes à l'exil pour faire valoir leurs aptitudes. Or, ces élites, indésirables dans leurs pays d'origine, sont devenues à l'étranger des sommités dans leur domaine de compétence et, souvent, reviennent dans leurs (anciennes) patries accueillies comme «VIP», courtisés par ceux-là même qui les ont contraints à partir. L'exemple des Algériens Elias Zerhouni (aujourd'hui naturalisé américain) et Kamel Sanhadji – formés à la fac de médecine d'Alger – est édifiant lorsque l'on songe à ce que subissent leurs condisciples restés au pays – bastonnés par le premier flic venu. Voilà ce que la jeunesse arabe ne veut plus supporter. Elle veut créer et prospérer, vivre sans crainte et participer au développement de sa patrie. Ce n'est pourtant pas sorcier!