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Les derniers paysans
Patrimoine culturel immatériel et savoir-faire ancestral
Publié dans El Watan le 28 - 10 - 2008

Ils sont les derniers représentants d'un monde révolu. Un monde du passé dont il ne subsiste plus que quelques clichés et quelques poches de résistance nichées dans des creux de montagnes reculées ou des fonds de vallées où plus personne ne s'aventure.
Eux, ce sont les derniers paysans. Fellahs voûtés, aux mains calleuses et aux visages ridés, taillés au burin du temps. Personne n'est venu leur voler leurs dérisoires secrets : tailler, greffer, accoupler, mûrir, multiplier, élever, produire, améliorer et tous ces verbes qui, dans toutes les langues, conjuguent l'abondance et la richesse aux temps des quatre saisons. Véritables bibliothèques vivantes, ils connaissent pourtant mieux que personne le monde de la terre, des bêtes et des plantes. En silence et dans l'indifférence, ils disparaissent les uns après les autres sans descendance ni testament après qu'on eut dilapidé leur héritage.
A l'évidence, on n'a jamais cherché à les écouter. Sinon, on n'en serait pas là, aujourd'hui à nous bagarrer pour un sachet de lait en poudre, un kilo de patates pourries, de la semoule de maïs transgénique, un kilo de viande congelé ou du poulet qui pue le poisson. A 75 ans, Ahmed Belbachir, est encore un solide vieillard. Ce fellah des Ath Mellikèche a commencé à travailler la terre à 12 ans et n'a lâché la charrue que tout récemment suite à un accident de travail.
Au rythme des saisons, il a fait tous les métiers de la terre tout en louant ses bras sur des plates-formes de parpaings ou pour des métiers occasionnels. Car, c'est bien connu, la montagne ne nourrit pas son homme. Il y a quelques années encore, Da Hmed s'en rappelle, le mazout rouge, celui destiné à l'agriculture, se vendait à 4 cts le litre. Le quintal d'engrais était à 20 DA. Aujourd'hui, il est cédé à 47 500 DA.
L'état n'aide que les riches
« Comment voulez-vous que les gens s'occupent de leurs oliviers quand on importe de l'huile d'olive de Tunisie et que leur production leur reste sur les bras », dit-il. Il n'y a pas de circuit de collecte d'huile d'olive comme du temps où Tamzali achetait toute la production de la Soummam pour l'exporter. L'Etat n'a pas pensé à créer un circuit de collecte et une usine de traitement et de conditionnement comme pour le lait. C'est la même chose pour la figue sèche dont le secret de fabrication n'est plus détenu que par quelques initiés qui ont depuis longtemps pris leur retraite.
Idem pour l'olive séchée. Les rares fellahs qui s'acharnent encore vaille que vaille à s'échiner sur leurs lopins de terre ne bénéficient pas des aides de l'Etat. Et pour cause, dans la montagne, la terre est rarement cadastrée. Pas d'acte de propriété, pas de subvention. Même les certificats de possession que les fellahs établissaient au niveau de leurs communes ne sont plus reconnus. « L'Etat n'aide que les riches », dit da' Hmed. Pour la seule région de Tazmalt Ath Mellikèche, l'association Tazerrajt, qui regroupe les agriculteurs locaux, a recensé 622 agriculteurs en défaut d'actes de propriété.
Quel est le paysan qui peut s'offrir un tracteur à plus de 200 millions de centimes ? Pour cette somme, l'Etat aurait pu offrir 10 paires de bœufs aux fellahs de la région. Ces bêtes de somme sont mieux adaptées aux terrains pentus et accidentés des montagnes de Kabylie. Dans les souks de la Kabylie, il n'y a plus aucun paysan. Il n'y a plus que des marchands de fruits et légumes qui s'approvisionnent au marché de gros. Avec la disparition des paysans, c'est la disparition également des produits du terroir, des variétés et des races locales plus résistantes, car mieux adaptées à la terre et au climat.
Dans le cas des métiers de la terre, le mariage entre la tradition et la modernité n'a pas toujours été réussi. Boualem Belbachir est un maître tailleur greffeur qui s'efforce d'allier le savoir-faire des anciens aux techniques modernes. Il demande conseil aussi bien aux ingénieurs qu'aux vieux fellahs. Les oliveraies de la haute Soummam sont vieilles et elles souffrent de l'abandon qui a suivi l'exode rural et la désaffection des gens vis-à-vis du travail de la terre. Aujourd'hui qu'un retour timide au travail de la terre est observé, la demande dépasse l'offre. Boualem Belbachir et Mekhmoukhen Arezki sont pratiquement les deux seuls maîtres tailleurs à exercer dans tout le bassin de la haute Soummam et la basse vallée du Sahel. Une région qui compte plus de cinq millions d'oliviers.
Beaucoup d'anciens métiers ont disparu
Même chose pour les puisatiers et les sourciers qu'on peut compter désormais sur les doigts d'une main. Les camions-sondes des Syriens, qui travaillent au noir, ont mis en retraite les derniers représentants de cette catégorie. Pourtant, ces engins ne conviennent ni à la montagne ni au piémont où il faut creuser à la seule force de ses bras entre 80 et 120 m pour trouver de l'eau. M. Baloul Mohand Saïd, de l'association Tazerajt, explique qu'il y a 463 puits dans la région. L'aide de l'Etat n'est pas toujours adaptée aux besoins locaux.
A titre d'exemple, l'Etat donne de l'argent pour le fonçage mais pas pour l'approfondissement des puits, opération beaucoup plus importante pour les agriculteurs que le fonçage proprement dit. Beaucoup d'anciens métiers ont presque complètement disparu. Ils ne survivent que dans quelques coins reculés et hors d'atteinte des circulaires ministérielles. A 85 ans passés, Ouaras Idir est à lui tout seul un concentré de tous ces métiers que l'on ne rencontre plus que sur des photographies jaunies.
Il est paysan, maréchal-ferrant, maçon, ébéniste, ferronnier, sculpteur, tisserand et plus, si affinités. Il sait tout faire de ses deux mains même si, sa mémoire qui commence à flancher avec l'âge, ne lui permet plus de citer les 13 métiers qu'il a pratiqués pour affronter une vie de 14 misères. Nous l'avons déniché à Guenzet, un village perdu des Aït Rzine. Assis dans la grande cour pavée de galets de sa maison, il était occupé à manier une râpe à bois. Da Yidhir connaît tout de la greffe du raisin, du figuier, du caroubier, de l'olivier et de toutes les espèces qui ont faire vivre les montagnards. Il vous fabrique mieux que personne un soc de charrue avec du bois de chêne ou d'orme (oulmou).
Il a même amélioré le procédé de fabrication qu'il a simplifié et rendu plus efficace pour les hommes comme pour les bœufs. Opéré récemment de la cataracte, sa vision s'est améliorée, et c'est avec plaisir qu'il a repris ses outils. La pharmacopée traditionnelle est un autre chapitre du savoir paysan que l'on peut retrouver dans les campagnes. La généralisation du recours à la pharmacie et aux médicaments modernes, y compris dans les coins les plus reculés du pays, menace directement aussi bien la connaissance que l'utilisation des plantes médicinales.
Il est vrai que ce domaine particulier est phagocyté par une faune de charlatans et d'herboristes du vendredi qui sévissent dans les souks. On y trouve peu de passionnés comme Djamel, infirmier en retraite. C'est l'amour de la nature qui a conduit ce natif de Takorabt à se passionner pour les plantes médicinales. Puisant aussi bien dans les livres qu'auprès des vieux paysans et des vieilles grands-mères, il arrive à soustraire à l'oubli des pans entiers de la pharmacopée traditionnelle. Avec le temps, les plantes lui ont livré leurs secrets si bien qu'il peut vous donner leurs noms en français, en kabyle et en latin.
Il répertorie tous les usages que l'on peut faire de l'inule visqueuse (magramane), du chiendent (afar), de la jusquiame noire (vounarjouf), du romarin (amezir), de l'armoise (chih), de la globulaire (thaselgha), des sarriettes (thijrarhiyine), de la mauve (mejjir), de l'ortie (azougdhef) et d'autres plantes encore nombreuses qu'il sait dénicher là où elles poussent.
Da Mohand Akli, le dernier salinier
Benhamouche Mohand Akli a 65 ans. Il est l'un des derniers paludiers à s'échiner dans la saline ancestrale de Belaguel, son village natal. Il sème de l'eau et il récolte du sel. Un sel qui vient d'une source qui jaillit des entrailles de la terre et qui n'a pas son pareil pour donner du goût aux aliments ou pour réussir les salaisons et les conserves. La récolte se fait en été, au plus fort de la chaleur. Le reste de l'année, da Mohand Akli charge ses sacs de sel sur le dos de son baudet et s'en va faire les marchés.
Il faut se lever aux aurores pour arriver au souk de Tamokra, Aït Khelifa ou El Qolla. Il fut un temps où le sel de Belaquel faisait vivre des centaines de familles. La saline, véritable usine, fournissait les villes et les villages par caravanes entières. Un jour, un médecin envoyé par le secteur sanitaire de la région, a fait un rapport mettant en cause le manque d'iode dans ce sel, ce qui provoquerait des goitres. Une campagne de « sensibilisation » a suivi cette sentence de mort dissuadant les gens de consommer ce sel. C'est ainsi qu'une mauvaise réputation, vite fabriquée, a tué le produit, l'industrie et toute la région.
Le sel industriel au goût amer a peu à peu remplacé dans les foyers et les marmites le noble sel de Belaguel. Il suffit pourtant de gouter à cette fleur de sel cristalline comme au gros sel de Belaguel pour l'adopter. Da Akli qui a passé toute sa vie à Tamellaht et qui s'est nourri de ce sel n'affiche pourtant pas de goitre. Lui, pas plus que tous les vieux du village qui en ont consommé toute leur vie. Et il continue vaille que vaille à récolter son sel, à le vendre et à le consommer. Comme un défi au temps et à tous ceux qui ont programmé la mort des derniers paysans de l'Algérie.


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