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« J'ai éliminé un agha, fidèle ami et serviteur de la France »
Mohamed Marouf dit Moh Dzayer, arrêté à l'époque par la police judiciaire coloniale, Témoigne
Publié dans El Watan le 30 - 12 - 2008


LES LIEUX
Les frères que j'avais contactés à mon arrivée à Alger avaient obtenu ses adresses et un schéma de ses déplacements habituels. Ainsi, ont-ils établi qu'il habitait à Diar Es Saâda (1), vers le Clos Salembier (auj. El Madania), dans cette cité résidentielle qui venait d'être bâtie sur les hauteurs de la ville blanche. Il y occupait effectivement un de ces logements de standing, pour ce temps-là, que lui avait attribué l'administration coloniale pour son zèle dans la chasse aux nationalistes, alors qu'il était caïd en Kabylie puis élevé au rang d'agha avec résidence à Alger. Il habitait un appartement meublé avec son épouse, l'Algérienne, et ses deux enfants, je crois bien qu'il en avait deux, ils avaient déjà un certain âge. J'ai également appris par les agents de liaison dans la capitale, qu'il se rendait régulièrement chez son frère, lequel tenait un grand magasin d'alimentation générale et de fruits et légumes du côté des Groupes laïques, un peu plus bas que le commissariat du huitième arrondissement. Je n'avais reçu aucune instruction spéciale concernant son frère. Mais pour mieux me situer dans l'espace et profiler mon opération, j'ai résolu, malgré le risque d'être reconnu, d'aller sur les lieux et de me représenter, de visu, l'emplacement éventuel de l'action. Je me suis donc rendu au commerce de son frère. Là, j'y ai longuement inspecté les parages et pris la mesure des allées et venues des gens. L'endroit me semblait assez propice et j'ai un instant envisagé de l'allumer dans ce quartier plutôt calme. Ce serait assez aisé, d'autant que des militants m'avaient informé qu'il y venait chaque dimanche pour remplacer son frère lequel se rendait tôt le matin aux halles de Belcourt (auj. Belouizdad) pour s'approvisionner en denrées. Mais c'était avant d'apprendre qu'il avait une deuxième adresse à Bab El Oued. Plus exactement à la rue Coechlin (auj. Abderrahmane Toumyat), au troisième étage d'un immeuble. Il y avait un vulcanisateur à proximité et un petit bistrot sur le même trottoir. Là, il partageait sa deuxième vie, avec une autre femme, une Européenne, veuve d'un commandant de l'armée française. J'étais devant une alternative. Soit l'exécuter dans la boutique de son frangin un dimanche, tôt le matin, ou alors le buter à BEO dans le quartier de sa concubine.
LA CIBLE
Un jour, tout à fait par hasard, vers 15h, juste devant la bâtisse qui abrite l'actuelle mouhafadha du FLN, sur la rue Mizon (auj. Mohamed Tazaïrt), je marchais avec Sid Ali, ou plutôt je suivais Sid Ali à distance d'une dizaine de mètres. Pour des raisons de sécurité, et vu le nombre de patrouilles qui traînaient leurs guêtres dans le coin, nous ne devions pas être vus ensemble. Brusquement une Citroën « Traction-avant » noire, la fameuse « 11 légère » a pilé à hauteur de Sid Ali. Le conducteur s'est adressé à lui. Les deux hommes qui, visiblement, se connaissaient, se sont serré la main et ont engagé la conversation. A l'affabilité des échanges j'ai compris qu'ils étaient même familiers et que l'homme dans la voiture noire faisait confiance à l'agent de liaison. Faisant mine de ne pas connaître Si Ali, j'ai passé mon chemin, tout en accordant la plus extrême attention à la scène. Je m'étais discrètement éloigné mais je gardais un œil attentif sur eux. Puis, après quelques palabres, ils se sont salués, la Traction a démarré, puis s'est éloignée dans le cours régulier de la circulation. En me dépassant, Sid Ali me dit discrètement :
C'est lui.
Qui lui ?
L'homme à abattre.
Quoi, le gars avec qui tu parlais ? Répondis-je, interloqué par la coïncidence de la rencontre.
Oui, c'est lui, c'est l'agha.
LE JOUR
Je venais de rencontrer, pour la première fois, l'agha Dahmoune, ma cible. Je ne l'avais jamais vu, pas même en photo. Je ne connaissais de lui que ce qui se disait dans le douar de Ath Yahia Ou Moussa et dans toute la région de Draâ El Mizan. J'avais pour mission de l'exécuter. J'étais descendu du maquis de la Zone 3, avec pour ordre absolu de ne pas échouer. Je tenais cette mission de Krim Belkacem en personne. Le visage de l'agha était désormais incrusté dans ma mémoire. Un homme, aux traits réguliers et une belle prestance, élégamment vêtu à l'Européenne. Nous étions un samedi. Mon cerveau carburait à plein. Désormais, j'avais toutes les données en main et c'était à moi de jouer. Après avoir tourné et retourné dans tous les sens, les éléments en ma possession, je me suis dit en mon for intérieur que le dimanche serait un bon jour pour l'exécuter. Oui, ce serait un dimanche, avant qu'il ne se rende chez son frère. Un dimanche, rue Coechlin, au dessus du Mon Ciné, je lui fais la peau.
L'ARME
Je me suis rendu chez Si El Hocine pour l'informer que je projetais d'opérer le dimanche matin rue Coechlin à BEO et lui demander de me préparer l'arme. En fait, j'avais apporté deux armes du djebel. Moh Nachid, un compagnon de Krim Belkacem qui avait pris le maquis avec lui depuis 1947, me les avait données pour être sûr qu'il n'y aurait aucun impondérable qui viendrait contrarier l'issue de la mission. J'avais donc pris un pistolet 7mm long et un Colt 11.43, un calibre « bellout » (gland). J'avais réservé le Colt … Si des fois… vous comprenez… On ne sait jamais… Tout comme j'avais prévu trois chargeurs en cas de malheur… ce serait jusqu'à la dernière goutte, la dernière force, le dernier souffle. J'avais au fond de moi-même cette appréhension qui me taraudait mais sans altérer ma détermination que j'avais peu de chance de m'en tirer. D'autant que j'agissais en milieu urbain, à Alger et de surcroît à Bab El Oued où tous les Européens étaient armés. Et puis il y avait ces satanés escaliers du Mon Ciné. Le soir-même je me suis rendu avec Si El Hocine aux baraques d'El Kettar, il y avait là un bidonville où nous avons rencontré un certain Arezki. Une connaissance de mon agent de liaison que je voyais pour la première fois. Les armes et leurs munitions étaient planquées au cinéma Bijou (?). Je les ai récupérées puis en me rendant vers mon refuge je n'ai pas pu m'empêcher de passer rue Coechlin. Sa voiture était en stationnement au bas de l'immeuble de l'Européenne. Je suis passé devant le bistrot où il y avait encore de l'animation. Je rentre, je jette un coup d'œil, mon regard croise celui de Mokrane Lefaâ. Il faisait une partie de cartes avec des Européens. Il me reconnaît et m'invite à leur table.
Qu'est-ce que tu fais ? Allez viens, prend place. Prend quelque chose.
Gazouz… Je m'attable avec eux et je repère les lieux au détail près…je ne tarde pas trop pour ne pas me faire remarquer. Après m'être imprégné du quartier je rentre au refuge.
LE COUAC
Je m'étais réveillé très tôt ce dimanche-là. J'ai quitté le refuge et me suis dirigé d'un pas résolu vers la rue Coechlin. Si El Hocine m'intercepte en chemin pour me prévenir que le militant qui devait me récupérer à moto après l'exécution, ne serait pas au rendez-vous pour la simple et bonne raison que la bécane en question était nase.
Faut bien que je décroche quand je l'aurai descendu !, ai-je dit, passablement contrarié, à Si El Hocine.
Ne t'inquiète pas pour ça, nous avons tout prévu, m'a-t-il répondu en me désignant un jeune homme qui était posté sur le trottoir d'en face. Je connaissais ce militant qui se chargerait de mon évacuation. Il s'appelait Youssef Soukhane. C'était le projectionniste du cinéma Le Rialto.
LE GUET-APENS
Je suis arrivé sur les lieux à sept heures. Le soleil était déjà haut et ardent en cette matinée de juillet. Je portais une jaquette ample de toile légère qui cachait parfaitement ma ceinture dans laquelle j'avais glissé le pistolet et le Colt. Mes poches étaient quelque peu alourdies par le poids des trois chargeurs. Je suis rentré dans le bistrot. Le bougnat vaquait derrière le comptoir. Je commandais un café au lait, puis j'allumais une cigarette. La consommation du tabac était interdite par le FLN, mais je tapais le genre comme on dit pour dissiper tout soupçon éventuel. Tout en sirotant mon café j'échangeais des banalités avec le jeune plongeur, un gamin de Kabylie, qui lavait et essuyait tasses et verres. Vigilant, je ne perdais rien de ce qui se passait dans la rue et sur les balcons alentour. Absorbé par le mouvement à l'extérieur, je fus quelque peu surpris par l'arrivée d'un des frères Amoura. Je le connaissais bien. Avant d'aller au maquis, je m'entraînais à la boxe avec son frère chez Bagtache.
Salut Mohamed.
Salut, comment vas-tu ? dis-je, semblant de m'intéresser à lui, priant tous les saints d'Alger, qu'il n'engage pas la conversation. Après quelques « ça va, ça va », il s'en est allé, sans doute découragé par le détachement prononcé de mes réponses. Je repris mon guet. Pour tromper mon impatience et ma nervosité, j'ai dû réciter des dizaines de fois le verset « Qoul Houa Ellahou »… …Huit heures ! Cela faisait une plombe que je poireautais et il n'était pas encore sorti. Que faisait-il ? Il était pourtant là-haut, puisque sa voiture était encore stationnée en bas de l'immeuble. Dans la rue, les patrouilles militaires avaient commencé leur interminable noria. Un va-et-vient continu, dévisageant au passage tout ce qui tombait sous leur regard torve. Une heure que je poireautais au même endroit. Tôt ou tard j'allais attirer le regard d'un des soldats et avec tout l'arsenal que je transportais, j'aurais du mal à me faire passer pour un paisible badaud qui prend le soleil. A un moment, le patron du bar a envoyé le jeune plongeur pour lui acheter des sardines. Il allait sans doute commencer à préparer les kémias pour l'apéritif. Comme pour me compliquer davantage la vie, voilà que passe Ali Aoudia. Il met en route une conversation qui promet de durer. Manifestement libre de son temps, il débite un tas de généralités que je n'écoute pas. Il ne voulait plus me quitter et moi, j'usais de tous les subterfuges muets et gestuels pour l'éconduire et lui signifier poliment mon indisponibilité à tailler une bavette avec lui. Finalement, il a dû se rendre compte de mon agacement puisqu'il a tourné les talons et s'en est allé. Il n'a pas dû tourner au coin de la rue lorsque, avec un soulagement mêlé d'un serrement de gorge, je vois paraître l'agha sur le péron de l'immeuble. Il a acheté un journal. J'étais sorti de l'estaminet mais contre toute attente voilà qu'il s'engouffre de nouveau dans le bâtiment. Il est remonté à la maison. Je m'arrête dans l'élan que j'allais prendre pour presser le pas et le rejoindre. Je l'ai laissé faire. Quelques minutes qui m'ont semblé exagérément longues pour des minutes, se sont écoulées, quand de nouveau il se pointe et se dirige vers sa voiture.
FLASH-BACK
L'homme à abattre, Slimane Dahmoune, « fidèle ami et serviteur de la France », ainsi que le qualifiait la presse coloniale, était un proche parent de Krim Belkacem, un cousin germain pour être un peu plus précis. Il n'y avait aucune rivalité entre les deux hommes comme le prétendait l'administration coloniale à l'époque puisque l'un avait choisi de servir le colonialisme et l'autre a consacré sa vie à la liberté de son pays. Caïd du douar Ath Yahia Ou Moussa puis agha de Draâ El Mizan, il avait échappé à une embuscade que lui avait tendue Krim Belkacem et un groupe de ses premiers compagnons en décembre 1947. Pour cet attentat, celui que la geste populaire surnommera le « Lion des djebels », prendra le maquis et sera condamné plusieurs fois à la peine capitale par les tribunaux colonialistes. Insaisissable, il évitera toutes les chausse-trappes, creusées à son intention par les services de police et de gendarmerie. Le caïd, valet dévoué, poursuivra de sa haine le leader nationaliste et s'acharnera, faute de le capturer, contre sa famille qu'il finira par faire éclater. Devenu agha, il prenait une part active aux opérations et il a été vu nombre de fois aux côtés de hauts responsables politiques et militaires à bord de véhicules et parfois même d'hélicoptères. On disait qu'il avait été choisi par le gouvernorat général comme instrument de propagande, pour se rendre à New York, au siège des Nations unies afin de plaider en faveur de l'Algérie française. Plusieurs tentatives en vue de l'éliminer connaîtront l'échec, bénéficiant comme on s'en doute, d'une protection particulière de la part des autorités coloniales. Il avait fait courir la légende que les balles ricochaient sur son corps et qu'elles n'étaient d'aucun effet parce qu'il portait un « herz » (talisman) que lui avait délivré un puissant « taleb ». On a bien essayé une autre fois de l'abattre mais l'arme du fidaï s'était enrayée. Ce qui ne faisait que renforcer la croyance qu'il était vraiment sous la protection de son grigri. J'allais vérifier la légende.
TROIS BALLES DE FACE EN PLEIN CŒUR.
Je l'ai vu ressortir. Je ne le quittais pas des yeux. Un calme glacial s'était brusquement emparé de moi. Je ressentais une étrange sérénité gagner tout mon être. Mon stress s'était brusquement évanoui. Tout m'apparaissait clairement. J'étais devenu un être mécanique. Tous les gestes que j'avais répétés me revenaient méthodiquement. Je regarde ma montre comme si j'allais à un rendez-vous. Il a baissé la vitre. Je m'approche du lui. Il lève son regard sur moi. Il est un peu surpris. Comme s'il fallait absolument que je dise quelque chose, ces mots me sortent de la bouche :
Ya ouahed el khabith ! J'avais déjà tiré l'arme de ma ceinture. Trois coups. Trois balles de face en plein cœur ! Nous sommes dimanche 22 juillet 1956. Il est 9h23. Des balcons, un cri comme une clameur emplit la rue et le quartier :
Assassin !
LE REPLI
J'ai bondi des escaliers du Mon Ciné. Je ne sais comment j'ai fait. Comme si quelqu'un m'attendait en bas pour me retenir de tomber. En trois sauts j'ai enjambé toute la volée d'escaliers et Dieu sait si ils sont raides. Lorsque je suis arrivé en bas, les consommateurs d'un bistrot de la rue Rochambeau (auj. rue Boumezrag) sont sortis et ont voulu me faire barrage. J'ai fait feu, tout le monde s'est mis à plat ventre. Les patrouilles sont restées impuissantes, bouche- bée. Elles pensaient que c'était un commando entier qui avait opéré. Je me suis engouffré dans la voiture qui m'attendait, une Peugeot 202, dont l'immatriculation était, bien entendu, camouflée. Nous avons foncé vers les baraques de La Consolation, démolies depuis, vers le stade Cerdan (auj. Ferhani). Nous sommes remontés vers l'hôpital Maillot (auj. Docteur Mohamed Lamine Debaghine). Heureusement que j'avais opéré un dimanche et qu'il n'y avait pas de circulation. Nous voilà au Pont de fer. Je me suis pointé au rendez-vous avec Si El Hocine. C'était dans un café en face de la prison de Serkadji chez Bouzourène. J'ai trouvé Si El Hocine catastrophé, livide. Il croyait que j'avais été tué ou arrêté. J'ai pris une limonade. Je lui ai dit :
Mission accomplie.
LA PLANQUE
Nous avons quitté les lieux. Les patrouilles énervées n'arrêtaient pas de tournoyer. Tranquillement, comme des promeneurs un dimanche, nous sommes descendus vers le marché de la Lyre puis nous nous sommes rendus à Belcourt (aujourd'hui Belouizdad) en trolley. Nous sommes allés chez un coiffeur qui nous a informés que le refuge était à El Harrach dans un café maure, chez quelqu'un qui s'appelait Lakhdar, un militant structuré qui racontera tout à son oncle. Le café en question n'appartenait pas à ce Lakhdar. Il était la propriété de son oncle paternel qui était un ancien combattant de la France grand invalide de guerre. Il avait été rendu aveugle lors de la guerre 1914-1918. Un homme âgé qui avait une villa à Cinq Maisons. La chemise et le tricot de peau que je portais étaient tachés par la poudre de l'arme que j'avais utilisée. J'ai demandé à changer de vêtements, puis j'ai passé la nuit sur la soupente du café avec mes armes et tout mon barda. Je devais me planquer quelques jours, car les barrages ont été multipliés et les contrôles sont devenus plus fréquents et pointilleux. La mort de l'agha avait fait grand bruit. Au bled, en Wilaya III, on disait « zone » en ce temps-à, car c'était juste avant le Congrès de la Soummam qui devait se tenir un mois après le congrès qui a adopté la terminologie « wilaya » « mintaqua », etc. Au bled donc, ils ont été tenus au courant du succès de l'opération. Quelqu'un était descendu tout spécialement pour les en informer.
« HÔTE » DE LA PJ
Je dois préciser que cette opération s'était déroulée dans le secret absolu et que les frères, même les responsables d'Alger n'étaient pas informés. Les réseaux qui ont été activés l'étaient à titre individuel. D'ailleurs, tout le monde se demandait qui était l'auteur de l'exécution. Le cousin de Lakhdar, le fils de l'aveugle, Si Ouali, était un policier de la Police judiciaire (PJ). Il faut avouer que ça m'avait un peu coupé le souffle de l'apprendre, mais quand j'en ai parlé à Lakhdar, il a vite fait d'apaiser mes craintes. Mais je dois à la vérité d'avouer que je n'en étais pas tranquille pour autant. Je ne dormais que d'un œil, mon arme à portée de main. Cependant après trois jours, la confiance s'est installée entre nous et je me permettais même de sortir en plein jour avec lui. Nous faisions des promenades à El Harrach, nous allions au café et je demeurais armé. Je ne risquais rien, j'étais protégé par la PJ. Je suis resté une dizaine de jours chez Si Ouali. Quand Si El Hocine est descendu après avoir constaté que la nervosité des patrouilles avait baissé d'un cran, nous avons décidé de rentrer en zone III. Les barrages étaient certes moins nombreux mais celui de Menerville (aujourd'hui Thénia) qui était fixe était particulièrement redoutable.
LE RETOUR EN ZONE III
Je me suis installé près de la fenêtre dans le bus. Si El Hocine s'est assis à côté de moi. Pour me faire un look de paysan, je me suis coiffé d'une chechia, mais je portais toujours cette superbe jaquette dans laquelle je me sentais très à l'aise et qui me permettait de dissimuler mes armes, que m'avait offerte Sid Ahmed Derouaz. Nous sommes au barrage de Thénia. J'avais dit à Si El Hocine.
En cas de pépins, tu ne me connais pas, je ne te connais pas. Je saute du véhicule et je disparais. Je me suis préparé au pire donc prêt à bondir. Les militaires sont passés dans la travée en dévisageant chaque passager, l'arme au poing, le doigt sur la gâchette. Rien ne s'est passé. Arrivés aux Issers, nous sommes descendus. Nous nous sommes rendus chez un coiffeur. Nous avons pris des rafraîchissements et il m'a dit d'attendre là. Nous attendions un taxi et je devais monter avec d'autres passagers. Nous avons attendu une heure environ que le taxi soit plein. Le temps m'a semblé infini. Que se passait-il ? J'allais lui demander de nous accompagner sur-le-champ. Mais je tournais en rond parmi tous ces militaires, en attendant que le satané taxi se remplisse. Finalement, nous avons fini par démarrer. De là, nous sommes montés à Ouled Yahia Ou Moussa, le douar de Krim Belkacem puis vers le maquis. J'y ai rencontré Moh Nachid et d'autres compagnons. Là-bas, les gens ont à peine cru en l'élimination de l'agha. Faut pas oublier qu'on disait de lui qu'il était immunisé contre les balles. Les gens n'ont cru à sa mort que le jour où il a été enterré et que l'information a été publiée dans les journaux. J'ai repris ma section, environ 45 djounoud, j'ai été décoré par le Conseil de wilaya qui m'avait accordé la Médaille de la résistance. Il n'y avait pas encore de grades. Ils ne sont apparus également qu'après le Congrès de la Soummam. C'est en juillet 1957 que j'ai été arrêté après un accrochage à Beni Aârif.
L'IDENTIFICATION
Le signalement du véhicule dans lequel j'avais pris la fuite a été diffusé dans les journaux : une 202 grise, etc. Son propriétaire au lieu de la faire disparaître et de l'oublier un temps, comme je le lui avait conseillé, a cru qu'en lui changeant de peinture, il allait dissiper tout soupçon. Mais il ne m'a pas écouté. Ne voilà-t-il pas qu'il décide de la remettre à un tôlier. Comme il travaillait au cinéma Rialto, il n'a pas été loin, il l'a confiée au garage Denis, pour lui changer de couleur. Ce garage était tenu par un Européen. Le Denis en question ayant lu l'information a appelé les flics pour leur signaler la voiture. D'autant que celle-ci ne nécessitait pas, visiblement, la réfection de sa peinture, vu qu'elle était en bon état. Le tôlier a vite compris que le propriétaire voulait en fait la maquiller. Deux motards se sont présentés, ils ont arrêté le malheureux projectionniste.
EPILOGUE
La suite est aisée à comprendre. Il a été condamné à « perpette ». Le motard qui devait me récupérer après l'action est mort chahid au maquis. Et moi qui vous parle… condamné à mort.
Notes de renvoi
1- Diar Es Saâda (la cité du Bonheur). Quartier réalisé en moins d'une année, de conception moderne, construit sur le chemin des Crêtes (Clos Salembier). Entrepris dans sa première tranche par la municipalité Jacques Chevallier, l'exécution en fut confiée à Jacques Pouillon. Les terrassements ont commencé le 4 août 1953 et l'ensemble a été livré en novembre 1954. Ses 725 logements ultramodernes (pour l'époque) étaient complètement équipés (réfrigérateur, cuisinière, salle de bains, chauffage central, etc.). Les locaux commerciaux, le marché, deux écoles, l'une de filles, l'autre de garçons, regroupant 1400 enfants, un garage de 400 voitures, des terrains de sport, des jardins, ont été immédiatement créés.


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