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Le jour le plus long…
Publié dans El Watan le 20 - 08 - 2005

Plus au sud, à Souika, le quartier arabe, c'était le jour de marché. Des centaines d'habitants des mechtas et des douars de la région vaquaient à leurs emplettes. C'était une journée normale, enfin presque, car il y avait en l'air comme une appréhension. Sans plus. La guerre de libération déclenchée depuis presque une année était une évidence dans l'ancienne Philippeville où l'on se racontait déjà les nouvelles d'el khaoua (les frères). La guerre était bien présente et Skikda avait déjà ses héros : Ali Abdenour, Gharsallah (petit Messaoud), Mellouki, Ramdane, Dellabani, Lessak, Namous, Ourtilani, Bellizidia, Laïfa, Daïf, Khaldi, Bouteldja, Driouche, Bengharsallah… la liste est encore longue. Le militantisme était inné chez une grande partie de la jeunesse skikdie. La ville avait ses actes révolutionnaires et déjà, le 18 juin 1955 à 12 h exactement, sept bombes entreposées dans plusieurs endroits de la ville avaient explosé simultanément. La ville avait aussi ses martyrs et son massacre. Des dizaines de citoyens abattus sauvagement (déjà) par des tirailleurs sénégalais aux ordres des soldats français. C'était le 23 juillet 1943. Les tirailleurs poursuivaient les Arabes et tiraient sur les foules. Les soldats français laissaient faire et ricanaient. Le jour de l'enterrement de tous ceux qui tomberont sous les balles des Sénégalais à Zqaq Atrab, Sebaâ Biar… Ferhat Abbas choqué alors par le massacre se déplacera pour l'oraison funèbre. Au cimetière d'El Kobbia, le carré de ces martyrs est là pour en témoigner. Skikda n'avait pas encore oublié mais semblait déjà immunisée.
Elle était prête à toutes les parades, mais en ce samedi 20 août 1955, elle ne savait pas encore qu'elle allait vivre l'événement qui allait à jamais graver ses initiales dans les tables d'or de la révolution. A Skikda, ce jour-là, l'apparence était à la normalité bien que plusieurs khaoua soient descendus des djebels. Certains ont même été aperçus la veille. Mais personne ne savait ce qui se préparait ni ce qui allait se passer. Même ceux qui prirent part au soulèvement. Tous les participants au soulèvement, que nous avons rencontrés, du simple djoundi au gradé, confirment tous la même version. «Le secret était total. Seuls Zighoud Youcef et ses proches collaborateurs étaient au courant de la date, de l'heure et des lieux. C'est vrai que nous avions des appréhensions car il y avait un intense travail de préparation. On a passé des jours entiers enfouis au lieudit Hadjra El Beïda à moins de 20 km au sud de Skikda. On ne faisait que préparer les bombes, par dizaines, par centaines même. Beaucoup de paramètres nous laissaient comprendre que de grandes décisions avaient été prises par Zighoud suite aux réunions marathoniennes de Boussator, puis à Zamène. Des hommes ont été chargés de collecter les armes, de préparer leurs troupes ainsi que les citoyens. C'est vrai que c'était la guerre, mais nous étions convaincus qu'on allait vers une opération d'envergure. Sans plus. Même ceux qui avaient été choisis pour diriger les opérations n'ont appris la date et l'heure que la veille. Toute personne en dehors du cercle très restreint de Zighoud ment si elle vous dit qu'elle savait.» Les militaires et les services de renseignements français de l'époque ignoraient eux aussi ce qui se préparait, même si Aussaresses, dans son livre Services spéciaux, affirme le contraire en écrivant : «Les recoupements m'amenèrent à la conclusion que, le 20 août 1955 à midi, le FLN lancerait une attaque massive et frontale de quelques milliers d'hommes contre Philippeville», puis «un mois à l'avance, j'avais donc connaissance de cette importante opération du lieu, de la date, de l'heure, des effectifs et de la tactique» mais un peu plus loin, Aussaresses s'oublie pour ajouter : «Le samedi 20 août 1955, pour me détendre, j'ai décidé d'aller sauter (…) A 8 h, j'ai traversé tranquillement la rue pour aller me faire servir un petit déjeuner copieux avec du café fort, des œufs frits et du vin…» Etrange comportement d'un militaire qui savait qu'il allait être massivement attaqué mais préfère tout de même aller se… saouler ! Enfin, laissons les beuveries de côté et parlons du 20 Août.
Les attaques
A midi, le soulèvement commence et le tout-Skikda s'embrase. Les coups de feu et les explosions des bombes tonnent dans plusieurs endroits. La surprise est totale aussi bien pour les Français que pour les Algériens. Dans différents endroits stratégiques de la ville, des groupes prirent place. Les cibles sont évidentes. La gendarmerie, les commissariats, les casernes. Même l'aérodrome de la ville a été attaqué. En moins d'une heure, la ville était ingérable. A El Kobbia, Bab Qcentina, Sebaâ Biar, de véritables batailles éclatèrent. Aux banlieues Zef Zef et la Carrière romaine, des centaines de paysans guidés par les moudjahidine se dirigent vers le centre-ville. L'armée française ne savait plus où donner de la tête. Les foules venaient des hauteurs de Sebaâ Biar, d'El Kobbia… et versaient toutes vers le centre-ville. Selon des témoignages recueillis auprès des populations et des moudjahidine, la ville de Skikda était devenue un immense champ de bataille. Une bataille qui durera plus de trois heures.
Les attaques, comme le prouvent les quelques témoignages des hommes ayant pris part aux opérations, ont toutes concerné les cibles militaires et policières. Voici, pour la mémoire, le témoignage de ceux qui ont bien voulu parler. D'autres se sont abstenus pour des raisons qui leur sont propres. Ce n'est là bien sûr qu'une partie de l'histoire du 20 Août à Skikda racontée par ceux-là mêmes qui l'ont faite.
D'abord, il y a le témoignage de Salah Mellouki. Le plus jeune des premiers moudjahidine de Skikda. Il était déjà au maquis et faisait partie de la selsla (chaîne) d'une vingtaine d'autres jeunes enrôlés par Ali Abdennour. «En préparation de l'attaque du 20 août, nous avions passé plusieurs jours à El Hadjra El Beïda, un lieudit en pleine montagne aux environs de Bissi. Là on s'occupait à préparer les bombes. On savait que c'était pour des opérations militaires, sans plus. On avait réussi à préparer des bombes artisanales pour plusieurs régions dont Skikda, Guelma, Ramdane Djamel… Après, on nous a instruits de nous préparer pour l'attaque. C'était la veille. Avec 10 moussebiline, on devait attaquer les gendarmes d'El Kobbia. Une fois arrivés sur les lieux, on nous a repérés et on nous tirait dessus, ce qui nous a empêchés d'avancer. Nous étions alors contraints de nous replier vers l'actuelle cité Sicel. On devait attendre un camion qui ramenait de l'essence qu'on allait utiliser comme une arme.
Malheureusement, le martyr Zada, le propriétaire du camion, a été donné et son camion brûlé par les militaires.»
Au cœur de la ville, à Bab Qcentina, l'actuelle place des Martyrs, d'autres groupes s'étaient infiltrés. Le responsable de l'attaque, Hamid Driouche témoigne à son tour : «Nous étions onze et nous sommes venus d'El Alia pour passer la nuit du 19 août à Skikda, chez une famille nationaliste, les Rebaï. Notre mission était d'attaquer la caserne qui existait aux alentours de l'actuelle place des Martyrs. Tous mes compagnons ignoraient ce qu'ils étaient venus accomplir. Ce n'est qu'à 22h que je les ai informés de notre mission. A midi, nous étions déjà sur les lieux et un intense accrochage eut lieu entre nous et les CRS. Messaoud Allouche et Brahim Ramdane ont été touchés. Ils sont morts sur le champ de bataille. Deux autres frères ont été capturés. L'accrochage a duré quatre heures. A 16h, on a cessé le feu comme le stipulaient les consignes données par les responsables. Nous nous sommes repliés par la suite pour regagner le maquis où on nous attendait avec les honneurs.»
A l'aérodrome, quatre moudjahidine conduiront l'attaque accompagnés de plusieurs moussebiline. Allaoua Alguemi raconte. «Nous n'avons appris la date de l'attaque que la nuit du 19 août. C'est Talaâ dit Bourekaïeb qui nous a informés individuellement. On ignorait ce qu'allaient faire les autres groupes. Personne n'était au courant des autres endroits à attaquer. Il y avait avec moi Bekkouche El Gachiche, Salah Bouzeghaïa et Boudraya. Nous étions les seuls armés parmi les 16 personnes qui composaient le groupe. D'autres moudjahidine portaient les bombes. Nous avons passé la nuit en plein air pour être au rendez-vous à midi. Nous avons attaqué les militaires français à commencer par les sentinelles. Nous sommes parvenus jusqu'aux hangars des avions et nous en avions brûlé quelques-uns. C'est au bar que nous avons abattu le plus de militaires, mais nous nous sommes abstenus de jeter les bombes dans la salle d'attente bondée de femmes et d'enfants. C'étaient des voyageurs, plus de 400. C'est une vérité que je dis pour l'histoire. Après plus de trois heures d'accrochage, nous sommes sortis après l'arrivée des renforts. Nous avons perdus trois hommes.» Même jour, même heure, à la Carrière romaine. A quelques kilomètres seulement au sud-ouest de Skikda, une autre bataille est livrée. El Hadj Daïboune témoigne. «Le 19 août, nous avons réussi à rassembler plus de 300 personnes à la ferme de Boulkeroua. Nous n'étions que quelques hommes armés, les autres étaient tous des civils.
A 20 h, nous allions attaquer la ville de Skikda. Nous les avons encouragés en leur affirmant qu'à cette heure, l'aviation égyptienne allait nous venir en renfort. Il fallait les préparer psychologiquement. Nous avons passé la nuit sur les lieux et personne n'a été autorisé à quitter les lieux. Le lendemain à midi, alors que nous nous apprêtions à marcher sur la ville, plus de 1200 soldats français cantonnés à El Hadaiek ont repéré le mouvement de foule, les chars ont commencé alors à tirer aveuglément sur les vergers mais ceci n'empêcha pas la majorité de parvenir jusqu'à Bab Qcentina. Un accrochage s'en est suivi. Vers 15 h quand nous avons décidé de nous replier, les populations civiles qui nous accompagnaient ont été coincées aux environs de Mechtat Zef Zef. Une grande partie y laissera la vie, les autres seront liquidés le lendemain.»
La souricière du massacre
A Skikda, il est presque 16 h en cette journée d'été. Tous les groupes des moudjahidine se sont repliés en emportant les blessés. La bataille s'est tue et la ville sentait la poudre et la mort. Une odeur qui la caractérisera toujours six jours plus tard. Ceux qui étaient venus pour mener l'offensive sont repartis avec le sentiment du devoir accompli. Il restait cependant aux soldats et aux civils français toute une ville à meurtrir. Toute une population à liquider. Froidement. Skikda devient alors une ville ouverte aux militaires et aux milices. Le carnage peut commencer. Les premiers qui en feront les frais sont les travailleurs du port, les résidents des dortoirs, les voyageurs du Sidi Okba. Sous l'effet de la surprise, ces derniers seront presque tous massacrés. Ne connaissant pas bien la ville, ils sillonneront dans une grande anarchie l'artère principale de Skikda sous les feux nourris. Tous ceux qui se cacheront dans des cafés seront abattus. Le même sort sera réservé aux citoyens venus pour le souk. «On nous tirait dessus des balcons et des terrasses», racontent les habitants de Skikda. Des civils français armés tiraient. Les habitants de Skikda témoignent que, ce jour-là, la haine et le racisme étaient bien évidents. Tout le monde est subitement devenu fellagha. Des hommes à abattre. A Houmat Ettalyène (quartier napolitain), à la rue de la Mosquée, El Kobbia, à El Batoir (l'abattoir)…, on tirait sur tout ce qui était algérien à défaut de dénoncer ceux qui, par peur, venaient s'abriter dans un immeuble. Une inquisition. Les habitants de la ville se souviennent de la peur. Personne n'osait montrer le nez. «On sortait rarement… et généralement on envoyait les enfants pour faire des courses rapidement.» A 16 h déjà, des civils sont abattus à Souika, à Sebaâ Biar, à El Batoir (l'abattoir)…
Les murs gardent encore les impacts des balles. Le café La Paix (qahouat Boughaba) vivra un véritable carnage. Tous les civils qui s'y étaient abrités ont été tués. Aussaresses commandait l'opération en jetant des bombes à l'intérieur du café bondé de monde. Des rafles étaient organisées. On emmenait les civils vers l'ancien stade Cuttoli pour être transférés par la suite au stade de la ville. Le haut lieu du génocide. On aligna tous ceux que les militaires ramenaient aveuglément pour les cribler de balles. Tous les témoignages recueillis auprès des vieux Skikdis rapportent les mêmes faits. «Même les militaires français n'arrivaient plus à enterrer tous les morts. On ramena alors un bulldozer pour creuser des fosses où ils seront entassés. Devant l'ampleur du massacre, on décida alors d'utiliser le même bull pour charger les cadavres sur des camions du service communal de ramassage des ordures et on les emmenait au Zef Zef à la sortie de la ville. L'opération a duré jusqu'à la tombée de la nuit pour reprendre les jours suivants. On en tua beaucoup. Par milliers.» Le carrousel de l'horreur durera encore quelques jours, comme les rafles et les tortures. On tuait aussi dans les douars et les mechtas avoisinants. A Mechtat Zef Zef, située à moins de 5 km à la sortie ouest de Skikda, un autre carnage a été commis. Plus de 4000 civils furent abattus et tous les gourbis brûlés.
Quelques jours après, le croiseur français Montcalm arrive au port de Skikda. Il pilonnera aveuglément tous les hameaux se trouvant le long de la bande côtière allant de Skikda à Collo. D'autres victimes tombent. La répression a été féroce, aveugle. Un génocide mené contre un peuple à qui on n'a jamais demandé pardon.


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