Iran: perturbation du service internet à travers le pays    Formation professionnelle: vers l'intégration de 40 nouvelles spécialités dans le domaine numérique dès la rentrée prochaine    Chaib reçoit le SG du Haut-commissariat à l'amazighité    Les amendements contenus dans le projet de loi de l'exploitation des plages visent à améliorer la qualité des services    Para-athlétisme/GP de Tunis: 11 médailles pour l'Algérie, dont 4 en or et un record mondial signé Berrahal    Hydrocarbures: annonce des résultats préliminaires de l'appel à concurrence Algeria Bid Round 2024    AAPI : le groupe pharmaceutique jordanien Hikma discute de ses projets en Algérie    Le président de la République reçoit l'ambassadeur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord auprès de l'Algérie    Accidents de la route : 50 morts et 1836 blessés en une semaine    Agrément à la nomination du nouvel ambassadeur d'Algérie au Koweït    Ouverture à Alger de l'exposition collective "Héritiers de la lumière"    Relizane : le Moudjahid Abed Salmi inhumé à Mazouna    Palestine occupée : plus de 16000 étudiants tombés en martyrs depuis le 7 octobre 2023    Commerce extérieur : le ministère appelle les sociétés d'importation à fournir une liste de documents avant le 31 juillet    Ghaza: l'UNRWA met en garde contre l'arrêt complet des opérations humanitaires    La télévision d'Etat annonce une nouvelle salve de missiles contre l'entité sioniste    La DG de la Communication dément la tenue de toute entrevue médiatique entre le Président de la République et des organes de presse étrangers    L'USMA stoppe l'hémorragie, l'USMK enchaîne    Gattuso devient l'improbable homme providentiel    Quels impacts le classement du GAFI (Groupe d'action financière) sur la liste grise et noire dans la lutte contre la corruption ?    « Lorsque l'intérêt d'Israël est en jeu, l'Amérique oublie tous ses principes »    Le site nucléaire iranien de Natanz subit des dommages superficiels    La première journée des épreuves marquée par une bonne organisation dans les wilayas de l'Est du pays    La technologie Oled décryptée pour les journalistes algériens    Vers une régulation moderne des importations et exportations    Entre modernité et modalités d'accession et de relégation    Une date célébrée à travers plusieurs wilayas de l'est du pays    Futsal: dernier module de la formation fédérale du 28 juin au 2 juillet à Tipasa    Foot/CAN féminine 2024 (décalée à 2025) : début du stage des Algériennes à Oran    C'est parti !    Ghaghaa, la fontaine oubliée... ou l'art d'assoiffer la mémoire    Les lauréats de l'édition 2025 couronnés    Des chercheurs ont créé un outil pour repérer les ouvrages toxiques    L'Autorité nationale indépendante de régulation de l'audiovisuel met en garde    L'Algérie est en mesure de relever toute sorte de défis !    Une série d'accords signés entre l'Algérie et le Rwanda    La Fifa organise un séminaire à Alger    Khaled Ouennouf intègre le bureau exécutif    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Zénith, le temps d'un été
Publié dans El Watan le 17 - 08 - 2006

Un homme attire l'attention, attendant que l'ombre de la branche de romarin qu'il a plantée dans le sol disparaisse totalement, lorsque le soleil sera à l'exacte perpendiculaire au-dessus de la brindille. L'homme prétend que le passage du zénith sur la montagne marque l'heure de la prière dans toute la wilaya.
Nous sommes à 1883 m d'altitude, à l'extrême sud-est de la wilaya de Tizi Ouzou, dans un endroit où l'on croirait toucher le ciel des doigts. De part et d'autre du fameux rocher, au carrefour des trois wilayas de Béjaïa, Bouira et Tizi Ouzou, se dessine toute la Kabylie : infinis mamelons d'ocre, de vert et de marron, descendant progressivement vers les plaines, parsemés sur les crêtes de villages perchés. Vu d'ici, la Kabylie semble imprenable, comme coupée du monde et du temps.
Affluence estivale au pèlerinage d'Azru n'Thor
Chaque été, plus de 15 000 personnes, selon les organisateurs, foulent le sommet d'Azru n'Thor, le «Rocher du Zénith», rendant hommage à la montagne mystique. Les communes de Aït Adella, Zoubga et Taourirt Aït Atsou organisent en alternance cette manifestation estivale importante, fournissant, grâce à des dons financiers individuels, repas gratuits et service de sécurité formé de villageois armés. La manifestation permet de réunir près de 2 millions de dinars de dons par an, dont une grande partie, qui ne sert pas l'entretien du site et la waâda suivante, va aux travaux d'utilité publique dans ces trois communes.
Tous les étés, les habitants de la région se retrouvent sur la montagne, partageant le même couscous. La famille M. vit à Tifilkout, hameau de la commune d'Illilten, à 70 km de Tizi Ouzou, en amont des villes de Larbaâ Nath Irathen (ex-Fort national) et Aïn El Hammam (ex-Michelet). Elle fait partie de ces lignées rompues à la tradition. La grand-mère, revêtant sa plus belle robe traditionnelle, à couleurs vives, rouge et jaune, ne manquerait l'événement pour rien au monde. Même au prix d'une randonnée d'une petite heure, sous la chaleur, et qui ressemble parfois plus à une séance d'escalade lorsque la piste de sable fait place aux roches saillantes à l'approche de la cime. Au terme de sa marche, elle pourra prier les saints de la montagne d'exaucer son vœu. Celui de marier son fils, encore célibataire à bientôt 40 ans. Perpétuant les traditions maraboutiques, la waâda d'Azru n'Thor accueille plusieurs marabouts et vieilles femmes «saintes» qui, aux différentes étapes du pèlerinage et contre quelques billets, vous offriront la baraka jusqu'à l'année suivante.
Pour les filles de la famille, toutes âgées d'une vingtaine d'années, ces fêtes d'été sont l'occasion de se retrouver entre cousines séparées le reste de l'année. Plus qu'un haut lieu de sainteté, le pèlerinage a aussi une fonction sociale. Celle des retrouvailles entre membres d'une même famille éparpillés du fait de l'exode rural ou de l'émigration des décennies passées. Mais celle aussi, me dit un observateur averti originaire de Tifilkout, de produire des rencontres entre jeunes filles et jeunes hommes, véritables préliminaires aux demandes en mariage. Car en dehors de la période estivale bouillonnante de fêtes folkloriques et de mariages traditionnels, saison propice à une vie sociale plus intense, le quotidien de Tifilkout peut paraître morne. Les jours ordinaires, rares sont les femmes visibles dans les rues du village qui s'attardent sur leur chemin. Le plus souvent, c'est pour transporter sur leur dos des fardeaux de bois de plusieurs kilos. Et quand une famille cultive des terres, ce sont les femmes du foyer qui en ont la responsabilité. L'on ne verra que très expressément une jeune fille discuter avec un garçon de sa connaissance qu'elle aura croisé au hasard du chemin. La famille M. ne déroge pas à la règle et les filles de la maison, qui étudient à l'année à Alger, passent le plus clair de leur été à demeure. La maîtresse de maison de 73 ans se lève tous les jours à l'aube pour travailler au jardin qui produit légumes et fruits à la base des repas familiaux et faire son ménage. «C'est l'habitude, dit-elle dans la seule langue qu'elle parle, le kabyle. Je ne peux pas rester inactive.» Elle et les femmes de la maison, ses filles et petites-filles, prépareront ensuite le déjeuner, servant les hommes en premier. Elles se retrouveront dans la cuisine plus tard pour profiter à leur tour de la fin du repas. A l'extérieur de la fourmilière, les hommes forment des cercles de discussion quotidiens dans les rues. Beaucoup se disent au chômage, dans l'indifférence du pouvoir central. Selon certaines sources, les budgets des collectivités locales en Kabylie auraient pourtant été renfloués afin de relancer l'activité économique de la région. Cela n'a pas empêché Tifilkout d'être frappé par la désertification rurale.
Entre dépeuplement et désenchantement
Les quelques commerces de la commune d'Illilten, relevant pour la plupart de l'économie informelle, vente de bétail et d'œufs provenant des élevages domestiques, ateliers de mécanique et vulcanisateurs improvisés, ne parviennent pas à résorber la demande d'emploi qui se fait sentir. Les statistiques du chômage ne sont pas disponibles, mais on estime tout de même que 50% des jeunes de Kabylie sont chômeurs, alors qu'ils représentent 70% de la population.
L'économie traditionnelle de la région repose sur l'arboriculture, or jardins, vergers et oliviers aujourd'hui ne servent qu'à la consommation personnelle des familles, sans qu'on ne voit le résultat d'aucun investissement dans l'agriculture productive et commercialisable. Ce n'est pourtant pas l'espace ni les conditions climatiques qui font défaut.
Tifilkout n'est pas épargné par le phénomène de l'exode rural. Beaucoup de jeunes entrevoient davantage de perspectives d'embauche dans les zones industrialisées du Nord. Amar, revenu au village pour fêter le mariage de son fils à la traditionnelle, a réinvesti sa maison le temps d'un été. Le reste de l'année, il tient un commerce sur Oran, à défaut d'avoir trouvé des débouchés intéressants dans sa commune d'origine et ses environs. Au nombre des témoignages similaires, on imagine aisément l'ampleur du dépeuplement de la commune, qui ne connaît finalement qu'une renaissance temporaire l'été. Cette affluence saisonnière est accentuée avec le retour au bled des émigrés kabyles, représentant une majorité de l'immigration algérienne à l'étranger.
C'est d'ailleurs à eux, semble-t-il, que l'on doit les grandes villas en construction où vivent les habitants de Tifilkout. «Les maisons sont construites avec l'argent des émigrés, me rapporte un des riverains. Ils sont notre principale source de revenus.» Propos que j'entendrai encore souvent par la suite. Des maisons qui frappent de prime abord par leur envergure, mais dont on se garderait de dire qu'elles sont confortables. Dans la grande maison qui accueille beaucoup de monde l'été, les aides financières envoyées par un fils émigré ne peuvent rien pour améliorer ni la constance de l'approvisionnement en eau, qui souffre de défaut de pressurisation, ni la qualité de l'assainissement.
Sentiments d'insécurité et d'injustice
Les faibles perspectives d'avenir et solitude peuvent-ils expliquer les records de taux de suicide dans la wilaya de Tizi Ouzou rapportés par la Gendarmerie nationale dans son bilan semestriel pour l'année 2006 ? L'alcoolisme et le trafic de drogue sont des maux notoires. L'insécurité aussi, qui continue d'alimenter les peurs. Plusieurs habitants mettent en garde contre les braquages sur certaines routes jugées dangereuses, «surtout à la tombée de la nuit», et d'éventuels incidents à proximité de «villages plus conservateurs».
Au malaise social se greffe un sentiment d'injustice tenace chez certains habitants de Tifilkout, qui ont la conviction d'une «discrimination kabyle». Des réunions politiques nocturnes sont régulièrement tenues ou improvisées par de jeunes villageois. Les murs du village, marqués à la bombe noire des slogans «Anti-coyotes» ou «RCD traître», confirment un bouillonnement revendicatif.
D'autres interpellations graphiques, témoignage des graves événements de 2001, rappellent qu'ici aussi le passé est rancunier.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.