Dans certains pays, les ménages les plus démunis consacrent en moyenne 10% de leurs revenus à l'eau. En Algérie, les ménages consacrent 3,3% de leur revenu à ce liquide vital, soit un taux très voisin de la moyenne au Royaume-Uni (3%), ce qui est en soi un bon indicateur. Mais la situation ne restera pas la même. Alors, la version algérienne de la libéralisation qui a déjà touché de plein fouet les prix de l'énergie, dont le gaz et l'électricité concernera-t-elle aussi cette source vitale qu'est l'eau ? “Oui”, répondent tour à tour les différents acteurs publics de l'eau qui préfèrent plutôt parler de “réajustement progressif des prix, pour aboutir à un prix réel, comme cela se fait de part le monde.” L'enjeu est majeur. Au département des Ressources en eau, les idées pleuvent et la réflexion ne fait que commencer. “L'eau restera subventionnée par l'Etat”, tiennent, toutefois, à rassurer les autorités. M. Amar Benzeguir, Directeur général de l'agence de bassin hydrographique Oranie Chott-Chergui, (ABH), agence créée, il y a neuf ans, pour concevoir des études pour le compte de son ministère de tutelle, plaide pour “un système qui permettrait un rabattement pour les ménages à revenu modeste “. Concept de “l'économie de l'eau”. “L'eau coûte à l'Etat entre 50 à 60 dinars le m3 au sortir de la station de dessalement. Elle est revendue à peu près à moitié prix au consommateur, sans compter le coût de distribution”, explique M.Benzeguir, pour qui “la pollution est le premier facteur qui tire les prix de revient de l'eau à la hausse.” Rivières et fleuves servent d'égouts et de dépotoirs. “Une eau polluée, c'est une eau chère car son traitement coûte cher.” On l'aura, du coup, compris : le système du dessalement de l'eau de mer coûte cher à l'Etat. D'autant plus que ces usines qui purifient l'eau consomment beaucoup d'énergie. Il faudra donc tenir compte, aussi, de la hausse -annoncée pour proche- des prix de l'énergie en Algérie. La hausse du prix de l'électricité prévue aura inévitablement des répercutions sur le prix de revient de l'eau. Autre explication aux “incontournables” hausses tarifaires de l'eau : les conduites. “Ce qui coûte le plus cher dans l'eau, ce sont les conduites. Si vous êtes dans une métropole comme Oran ou Alger, le nombre de consommateurs pour 1 m de conduites est beaucoup plus grand que dans les campagnes. Dès lors, il est évident que le prix de revient soit beaucoup moins élevé dans un agglomération dense que dans une zone éparse”, explique un cadre de l'hydraulique. Idem, pour amortir les coûts d'exploitation, l'Agence nationale des barrages (ANB) empochera, dès 2008, un dinar le m3 (3 DA en 2012) pour lâcher le liquide précieux dans les réservoirs de l'Algérienne des Eaux (ADE). La transaction de la cession de l'eau pompée des barrages se fait, jusque-là, sans la moindre contrepartie pécuniaire entre les deux agences publiques. Le prix de revient de l'eau charriée depuis les barrages, qui englobe sa production, son transport, son traitement et les frais de sa gestion, est estimé actuellement à 29 DA le m3. Pourtant, l'eau est vendue à 14 DA le m3 pour les ménages qui consomment en moyenne 40 m3 et 19 DA le m3 pour la consommation à des fins commerciales ou industrielles, soit à un taux moins cher allant de la moitié au quart (selon la provenance), de son coût de revient et le quinzième du prix en cours en Europe. Un européen consomme en moyenne 200 litres par jour au moment où l'algérien ne consomme -gaspillages y compris- que la moitié soit, un peu moins d'une centaine de litres par jour. Une quantité, qui est certes, largement supérieure à la moyenne de référence du PNUD qui estime que “l'homme doit pouvoir disposer d'au moins 20 litres d'eau potable par jour pour pouvoir échapper à la fatalité des maladies. Gaspillage Gaspillages et pollutions appauvrissent les ressources en eau. Un Africain gaspille en moyenne 5% du PIB, conséquence des mauvaise gestion des ressources hydriques au moment où les dépenses publiques de l'ensemble des Etats africains peinent à atteindre les 0,5% du PIB dans le secteur des ressources hydriques. On comprend alors aisément pourquoi quelque 5000 enfants meurent dans le monde pour cause de non accès à l'eau. Et ce n'est pas fini : “Les deux tiers de la proportion de la planète seront menacés par une pénurie d'eau d'ici 2025”, avertissent les experts. En Algérie, l'agriculture pompe l'équivalent de deux tiers de l'eau douce consommée. Plus de la moitié de l'eau destinée à l'irrigation, s'évapore avant de parvenir aux champs. Et il faut près 2 000 litres d'eau pour produire un kilo de céréale. Et il y a pire : Les ménages gaspillent plus que les industriels. “Des économies sont nécessaires”, estime M. Benzeguir qui plaide “pour une politique des prix incitant les consommateurs à ne pas gaspiller le liquide précieux.” C'est la notion de “Gaspilleur payeur”. Faut-il alors payer très cher le gaspillage d'autant plus que “le déficit pluviométrique du pays a atteint, durant ces trois dernières décennies de sécheresse, 50%”, selon l'ABH qui estime que le pays enregistre en moyenne entre 300 et 500 mm par an, l'Ouest du pays se situant à 250 mm par an. Dès lors, le dessalement de l'eau de mer s'est imposé comme une solution incontournable. L'Oranie compte déjà 8 stations en exploitation et 4 sont en chantier dont la plus importante est projetée à Merat El Hedjadj (en banlieue oranaise), qui permettra un apport de 500 000 litres par jour, une quantité capable, à elle seule, d'alimenter tout Oran (dont les besoins sont situés à 135 000 m3/j), mais aussi les villes avoisinantes telles que Sidi Bel Abbès, Mostaganem et même Mascara. Une fois les 8 usines opérationnelles -faudrait-il pour autant, qu'elles tournent en plein régime- l'Oranie sera dotée d'un total avoisinant le 1,5 million de litres quotidiennement. Ce sera indéniablement la fin de la crise de l'eau qui a tétanisé l'Ouest durant plus d'un siècle. Malheureusement, le pourcentage d'eau traitée s'élève aujourd'hui à moins de 10 % en Algérie. Contre 66 % en Europe et 90 % en Amérique du Nord. Mais le pas est géant. “Ce qui a été fait ces dernières années n'a pas été fait en 20 ans”, se félicite-t-on à l'ABH. Résultat: Nous sommes loin de l'option d'importer de l'eau de chez nos voisins espagnols ou du lointain Canada. Autre résultat, mais concret cette fois ci: Les projections de restrictions d'eau dans les villes côtières, décidées en hivers dernier, seront levées durant l'été prochain. Certains quartiers oranais sont passé d'une distribution à hauteur d'un jour sur trois (1/3 jours), il y a quelques années, à une alimentation quasi-quotidienne. Le miracle a eu lieu. Et ce n'est pas fini: la région attend encore la réception, en 2009, du mégaprojet dit MAO, consistant en un transfert de l'eau vers les villes de Mostaganem, Arzew et Oran. Mais pourquoi l'Etat continu d'investir dans les barrages sachant que l'indice pluviométrique est faible ? “C'est dans un souci de diversifier les ressources, pour parer par exemple, les panes électriques des stations de dessalement, une sorte de solution de rechange”, explique M. Benzeguir. Les 11 barrages qui alimentent l'Oranie sont à 35% remplis, soit à 10 % de moins par rapport à la moyenne nationale (44,70%). Un taux jugé unanimement de “satisfaisant”. “Pas de stress hydrique”, donc mais beaucoup reste à faire notamment dans la décentralisation de la gestion de l'eau, et la modernisation des structures administratives. Le but étant de favoriser les partenariats entre autorités publiques et entreprises privées, pour une meilleure régie de l'eau.