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Bab El Oued vidé du tiers de sa population
Publié dans El Watan le 10 - 11 - 2011

Après ce fameux samedi 10 novembre, 57 bâtisses ont été détruites pour laisser place à de nouveaux jardins, à une placette, à de petits stades et à une stèle érigée à la mémoire des personnes mortes dans les inondations. Les habitants, eux, continuent de porter le deuil. Je me rappelle de l'odeur des morts que le vent traînait de décombres en décombres, le soir, quand tout s'est arrêté.» Le vieil homme assis sur son banc plisse les yeux et son visage ridé s'assombrit quelques secondes. «Rien ne sert de rouvrir les vieille plaies, parlons plutôt de l'Aïd, du temps qui efface tout sur son passage ou alors de ce nouveau jardin où je passe toutes mes journées», tranche-t-il, presque enjoué.
Autour de lui, une dizaine de bancs disposés sur une placette entourée d'arbres, de plantes et même de fleurs. Au cœur de Bab El Oued, le jardin Enasser, a été construit en 2002, à la place de plusieurs immeubles détruits. C'est là qu'a été érigée la stèle à la mémoire des 733 personnes mortes dans les inondations. Des agents poncent la stèle pendant que d'autres balayent les allées du jardin. «Je vous rassure, ce n'est pas tout le temps aussi propre», ironise le vieil homme. A J-3 de la date commémorative, dix ans après les inondations, on se prépare à recevoir un cortège officiel pour l'habituel dépôt de gerbes de fleurs. Bab El Oued a bien changé en dix ans. Depuis ces fameuses inondations, 30 000 personnes l'ont quitté. Les habitants qui restent ont droit à une nouvelle placette, deux nouveaux jardins et plusieurs aires de jeux qui comblent le vide laissé par les 57 bâtisses détruites après les inondations. Mais la même détresse légendaire continue de coller (à tort ou à raison) à ce quartier mythique d'Alger. Là où les jeunes sont censés souffrir plus qu'ailleurs, là où ils se révoltent plus facilement aussi, où la nature s'est acharnée un certain samedi 10 novembre 2001 et où l'animation et la vie ne cessent pourtant pas de palpiter. Paradoxe fascinant.
Dix ans, le quartier mythique se redessine
Point de départ d'Octobre 1988, des émeutes de janvier 2011 mais aussi et surtout point de chute d'el hamla de 2001. Rien n'y fait. Bab El Oued garde une âme de résistant. «Ici on résiste à tout dignement», lance fièrement Samir, jeune habitant au quartier des Trois-Horloges. Bab El Oued echouhada, il y a dix ans, n'avait pourtant pas résisté aux inondations qui ont suivi leur trajectoire logique et meurtrière vers la mer. Du haut vers le bas, 4 km de boues torrentielles. L'eau a cruellement débordé dans cette commune qui ouvre l'oued Mekacel qui s'écoule depuis les hauteurs de Bouzaréah pour se jeter au large de la plage Padovani. De Frais-Vallon vers Triolet, Bastos, les Trois-Horloges, puis la mer : 733 morts, 53 disparus et 11 corps non identifiés. Dix ans plus tard ? «J'étais dans mon magasin ce jour-là et l'eau a tout emporté, j'ai attendu l'indemnisation promise par l'Etat pendant des années. Mais rien», raconte Hakim, commerçant installé à Frais-Vallon à l'époque. Premier point où l'eau s'est acharnée à 9h45 avant d'arriver aux quartiers situés plus bas, sur le tracé des inondations. Après des mois de lourdeurs administratives, Hakim a renoncé. Il ne fait donc pas partie des 389 commerçants dédommagés par l'Etat. «Ils étaient bien plus nombreux», s'exclame-t-il alors, en montrant du doigt une placette située bien plus bas. Dans le marché informel de Triolet, devenu aujourd'hui une placette vide, ils étaient effectivement des centaines à mourir près de leurs étals, ce jour-là. «Au diable les indemnisations ! Le mal est fait», conclut Hakim, dépité. Dix ans plus tard, on hésite encore entre colère et résignation.
À qui la faute ?
Les torrents qui se sont déversés en plusieurs étapes ont atteint Triolet vers 9h45. Des dizaines de personnes ont péri à la rue Mohamed Kouache. Ses routes inclinées sont aujourd'hui parsemées de nouveaux avaloirs ouverts au lendemain de la catastrophe. Certains sont déjà dégradés – des bouts de fer dépassent –, d'autres sont carrément bouchés par des tas d'ordures. Cependant, leur seule présence rassure. «Heureusement qu'ils ont pris la peine de placer ces avaloirs», confie Hamid, entouré d'une dizaine de personnes postées à l'entrée de la boulangerie qui ouvre la rue Kouache. «Oui, l'Etat a fait des efforts après 2001, mais c'est parce qu'il était bien obligé de se rattraper», explique Moh, un autre jeune du quartier. Dix ans plus tard, la même question les tarabuste toujours : à qui la faute ? A l'armée qui, pour empêcher les terroristes de s'échapper, a obstrué dans les années 1990 le tunnel qui s'ouvre de Frais-Vallon pour mener jusqu'à la mer ? A l'APC qui n'a jamais pris au sérieux l'entretien des avaloirs ? A la nature qui ne pardonne pas ? «Rabbi Sabhanou !», pense, pour sa part, Hassan Kettou, maire de Bab El Oued. «Je ne suis en poste que depuis 2007, mais la polémique n'est pas permise quand c'est le seul fait du Bon Dieu !», souligne-t-il. Le jeune Moh n'a pas peur d'identifier la raison : «C'est à cause des négligences des autorités que Saïd et Raïssi sont morts.» Qui sont Saïd et Raïssi ? Quelques-uns des admirables héros morts en sauvant des vies…
Des héros en série
Les habitants de Bab El Oued gardent en mémoire les images d'horreur de cadavres emportés par les eaux. Certains ont fait leur deuil, d'autres ne le feront peut-être jamais. Leur deuil repose aussi sur l'évocation des héros du 10 novembre : Salim, le policier de Triolet, Saïd Naâmane ou encore Raïssi. «Saïd a eu l'idée de placer une échelle dans son immeuble à Triolet pour sauver 20 personnes hurlant à mort. Au moment où il s'est rappelé de sa mère qu'il voulait protéger, l'eau les a emporté tous les deux», raconte le jeune Sofiane, le regard plein d'admiration et de regrets. «Raïssi avait 25 ans et ce jour-là, il n'a eu peur de rien ! Il a sauvé 10 personnes à Frais-Vallon qu'il a retenues à l'aide d'une corde, mais la boue a fini par l'emporter alors que son père tentait de le retenir», raconte un autre jeune du quartier, avant d'être interrompu par l'un de ses aînés : «Il a lâché son père pour ne pas l'emporter avec lui et il est parti en l'implorant de lui pardonner.» C'était à Triolet, mais son corps a été emporté jusqu'à la mer.
L'appel de la mer
Là où il y a dix ans jour pour jour, à 10h, l'eau raclait et détruisait violemment le béton comme la chair, les gens vont et viennent naturellement aujourd'hui. A la place des Trois-Horloges, à quelques mètres du jardin Enasser, des cris d'enfants, des vendeurs à la sauvette, quelques ordures qui traînent ici et là sur les longs trottoirs qui zigzaguent pour mener jusqu'à la mer. Mohamed, la soixantaine passée, connaît bien toutes ces rues pour y avoir passé de longues années. «Elle était en voiture avec moi quand on a été surpris par la violence de l'eau. Je me suis laissé emporter hors du véhicule, elle a résisté. J'ai survécu, je l'ai cherché durant des jours. J'ai fini par la retrouver à El Alia (cimetière, ndlr)», raconte-t-il, avec pudeur. Depuis, Mohamed a refait sa vie et continue de lutter pour ses six enfants. L'Etat lui a versé une indemnisation de 750 000 DA pour la perte de sa femme. Cinq cents autres familles ont perçu cette somme. Mais Mohamed insiste : «Ne parlons pas argent, c'est indécent.» Place au silence. L'eau, comme la mémoire, repasse toujours là où elle est déjà passée, dit-on. La crainte d'autres catastrophes est toujours là, mais la vie reprend son cours et les urgences du quotidien imposent l'oubli. Un oubli factice, évidemment. Mohamed en sait quelque chose. «Que dire ?», murmure-t-il en fermant les yeux. Deux dames entrent dans sa bijouterie pour lui transmettre les vœux de l'Aïd et repartent aussi vite, laissant de douloureux souvenirs ressurgir loin de tous les regards. A quelques mètres de là, d'autres regards en direction de la plage Padovani. Des jeunes et moins jeunes sont à mille lieues du sinistre de 2001 qui a vu des dizaines de personnes prendre appui sur ce même rebord pour attraper des corps flottant dans les eaux.
Seules comptent à présent ces vagues lisses, ces promesses au large, la colère étant retenue au rivage.


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