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Un legs universel
Publié dans El Watan le 20 - 02 - 2016

Des intellectuels et universitaires qui l'ont connue, côtoyée et étudié son œuvre évoquent, dans un auditorium comble, le mercredi 10 février, le legs à la culture mondiale de la première maghrébine et cinquième femme entrée à la prestigieuse Académie française, le 16 juin 2005, et pressentie de son vivant pour le prix Nobel de littérature. Plus de 250 personnes, parmi lesquelles l'ambassadeur d'Algérie, la maire de Paris, la sénatrice PS de Paris, Bariza Khiari, des personnalités du monde de la culture, de la littérature, de l'histoire, des médias et des membres de sa famille.
L'initiative de cet hommage revient à Fadela Mehal, présidente de la Commission culture, patrimoine et mémoire au Conseil de Paris et présidente de La République ensemble, appuyée par le Conseil municipal de Paris et accompagnée par le Cercle des amis d'Assia Djebar et Mireille Calle-Gruber, spécialiste de l'œuvre de l'immense écrivaine et présidente de l'association Archive Claude Simon et ses contemporains à la Sorbonne Nouvelle.
«Nous sommes un peu ses héritières, elle qui de l'Algérie coloniale à l'Académie française a permis que des ponts se tissent entre ces deux pays que l'histoire avaient malmenés, déchirés et qu'Assia avait tenté de réconcilier», a souligné Fadela Mehal, native elle aussi de Cherchell, dans son discours de présentation de l'hommage. Puis la voix cristalline et altière de la poétesse berbère Taos Amrouche – qui avait beaucoup inspiré Assia Djebar – a retenti dans l'auditorium, plongeant l'auditoire dans un silence enchanté.
Des textes de l'écrivaine sont lus par le comédien, auteur et metteur en scène Daniel Mesguich, dont cet extrait de Vaste est la prison dans lequel Assia Djebar écrit : «Longtemps j'ai cru qu'écrire, c'était mourir, mourir lentement à tâtons…, écrire sur le passé les pieds empêtrés dans un tapis de prière». Dans un extrait de Assia Djebar la soif d'écrire, film réalisé par Frédéric Mitterrand et Véronique Oks qui relate les moments forts de l'admission à l'Académie française, Assia Djebar dit : «A partir de L'amour, la fantasia, je rentre en écriture comme on entre en religion». D'autres textes seront lus par l'artiste Djurdjura et le comédien Patrick Potot.
Modératrice de la table ronde «Littérature et cause des femmes», Mireille Calle-Gruber souligne le «rapport ambigu» d'Assia Djebar avec le français, «langue du colonisateur et langue d'émancipation de la jeune fille qu'elle était», au point que l'écrivaine affirmait : «Ce français, j'avais à l'essorer, à le secouer de toutes ses poussières compromettantes». L'universitaire ajoute : «Assia fait entendre le silence en amont des femmes de l'ombre par la littérature. Son combat n'est pas celui des Algériennes seulement mais de toutes les femmes».
Pour elle, deux mots introduisent la pensée d'Assia Djebar («toute femme s'appelle blessure»), dans son roman Ombre sultane, «un récit puissant qui dénonce la polygamie». Le mot qu'elle oppose à polygamie est celui de «sororité», «alliance entre les femmes, solidarité avec les femmes de tous âges, de tous pays». Et de conclure : «Générosité et grâce. Sincérité absolue. Telle était Assia Djebar dans la vie et dans ses romans».
Michèle Perrot, historienne, relève qu'Assia Djebar, «de mère de culture berbère et andalouse… dira l'histoire des femmes dans la langue du père et du colonisateur, pari de sa vie. Les conditions des femmes qui ne choisissent pas leur mari, dominées dans leur culture, leurs traditions par la colonisation, dans la guerre d'Algérie, elles n'ont pas eu la place qu'elles auraient dû avoir dans l'Algérie indépendante. Tout cela traverse l'œuvre d'Assia et plus tard, l'islamisme. Ces femmes dominées sont des femmes qui s'expriment, résistent.
Elles résistent dans leur corps, dans le chant, l'oralité. Elles résistent aussi dans les lieux : le hammam, le patio» (…) «Assia est la femme qui écoute les femmes qui parlent, pour transcrire leurs paroles dans l'écriture, les faire parvenir à l'universalité. (…) Dans un livre magnifique, (La femme sans sépulture, 2002) en tant qu'historienne, elle narre l'histoire de Zoulikha précipitée d'un hélicoptère par des parachutistes français en 1956». Zoulikha, née en 1916, est la première algérienne à avoir son certificat d'études, elle devient postière avant de prendre le maquis. «Assia Djebar règle son problème avec la langue française dans sa biographie ; dans un pays où on ne parle pas de soi, elle va parler d'elle, de son père.
Elle comprend que le français va lui permettre de dépasser l'interdit… Elle a ainsi résolu cette ambiguïté d'écrire en français, d'écrire de façon presqu'apaisée. Elle va se débrouiller pour que le français devienne son français, devienne algérien. (…) Il est rare dans notre société qu'un auteur ait traité toutes les formes d'expression : histoire, mémoire, archives…»
Modérateur de la deuxième table ronde «Assia Djebar et l'histoire, l'histoire des femmes», l'historien Gilles Manceron a rappelé que l'écrivaine «a participé à l'histoire de son pays. En 1956, elle renonce à une carrière qui s'annonce brillante en quittant l'Ecole normale de jeunes filles de Sèvres pour suivre la grève des étudiants algériens. Elle rejoint Tunis où elle travaille auprès des réfugiés algériens.
Elle a étudié et enseigné l'histoire, tout en ayant un goût pour la littérature, à Tunis et à Rabat et à Alger après l'indépendance. Son œuvre littéraire est nourrie de références historiques. Dans son œuvre, les femmes sont toujours courageuses, les hommes sont l'objet d'une attente, d'une interpellation, d'un espoir».
La romancière Maïssa Bey affirme avec émotion qu'Assia Djebar «a beaucoup compté dans (sa) vie de lectrice qui découvrait avec admiration qu'une femme pouvait prendre la parole, dire l'intime et l'intimité. Avec audace, avec liberté. (…) Je crois que c'est elle qui m'a ouvert les chemins de l'écriture. (…) J'ai eu une autre révélation, celle du lien entre l'histoire des individus et l'histoire collective. Il est essentiel, grâce à des auteurs comme Assia Djebar, d'écouter ces vies ensevelies, qu'on n'a pas l'habitude d'entendre.
Assia Djebar a donné la parole aux femmes et retrouvé sa propre parole, sa parole d'origine, la langue berbère. Assia n'était pas un porte-parole mais un porte-voix, on ne peut pas comprendre Assia Djebar si on ne comprend pas cela. (…). «Ces voix qui m'assiègent», disait-elle… «Elle a ouvert des champs que l'on ne risque pas de refermer.»
Et de constater avec tristesse que «la voix d'Assia Djebar a été inaudible longtemps en Algérie, car elle dérangeait. Je souhaite qu'elle retrouve en Algérie la place qu'elle mérite». Un lycée à Oran porte désormais son nom, à l'initiative de la ministre de l'Education nationale, a-t-elle ajouté.
Amel Chaouti, fondatrice du Cercle des amis d'Assia Djebar, considère que «la parole d'Assia est un patrimoine. C'est comme cela que je le vis depuis que j'ai rencontré tardivement son œuvre et créé il y a onze ans le Cercle. (…) C'est de ma place de lectrice que j'arrive à m'interroger, m'émouvoir. Née en 1971 à Alger, je ne connaissais pas mon histoire, ma mémoire féminine algérienne. Elle est la première à m'avoir donné le goût d'entrer d'une autre façon dans l'histoire nationale». L'académicienne a travaillé aussi sur le deuil, sur la rupture, le traumatisme, relève Chaouati.
Pour Michèle Idèls, codirectrice des Editions des Femmes-Antoinette Fouque, Assia Djebar voulait «sortir la voix non écrite des femmes ‘desquamée tant elle n'a jamais vu le soleil', selon ses propres termes. (…) Assia savait d'où elle écrivait». Et de souligner : «Nous avons partagé le combat des deux côtés de la Méditerranée pour la liberté des femmes en Algérie persécutées par le FIS». Gilles Manceron rappelle que ce n'est pas par hasard que la romancière a choisi comme nom de plume Djebar. «Intransigeante, elle l'était notamment sur la question des femmes et de leurs droits».
Pour Nassima Bougherara, historienne, Assia Djebar «prend une distance avec l'histoire au moment où elle la vit, pour l'analyser. (…) Toute son œuvre se situe dans ce continuum : l'espace méditerranéen, l'Algérie, la France, l'Algérie femmes, femmes-courage, femmes-résistance, femmes battantes, femmes-rébellion. A l'intérieur de ce continuum, elle va poursuivre sa recherche d'archéologue».
Gilles Manceron a souligné que Djebar évoque les violences massives de la colonisation comme «une forme de déni de l'histoire coloniale, le déni des deux sociétés auxquelles elle appartenait». Et dans un clin d'œil à l'actualité, il aajouté : «Deux révisions constitutionnelles dans les deux pays aboutissent, l'une et l'autre, au rejet de ceux qui ont deux nationalités». Enfin, cette remarque émouvante d'un enfant d'une dizaine d'années : «C'était une femme de paix, ce serait bien si elle vivait encore…»
N. B. (Bureau de Paris)


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